La leçon de journalisme de Florence Aubenas

Présidente des 24e Rendez-vous de l’histoire, la journaliste grand reporter au Monde, Florence Aubenas a magistralement ponctué une édition consacrée au travail en évoquant notamment son livre Le Quai de Ouistreham.

Par Jean-Luc Vezon

Passionnée par son métier, Florence Aubenas a confié sa vision d’un journalisme éthique et d’investigation. Photo Jean-Luc Vezon

« Vous êtes digne d’entrer dans notre corporation ». Le compliment appuyé du président du Conseil scientifique des Rendez-vous de l’Histoire Jean-Noël Jeanneney vaut tous les articles du monde. Interrogée une heure durant par l’historien, membre de l’Académie française, Pascal Ory, Florence Aubenas a littéralement captivé l’hémicycle de la Halle aux Grains par ses talents de conteuse. Symbole du journalisme d’immersion, « utile et précieux, en dessous des radars » comme l’a justement dit Jean-Noël Jeanneney, Florence Aubenas n’a pourtant pas eu la vocation.

Florence Aubenas passe sa jeunesse à Bruxelles puis entre au Centre de Formation de Journalisme (CFJ) par hasard après divers concours. Elle débute comme secrétaire de rédaction puis est très vite confrontée au terrain qu’elle ne quittera plus. Ce sera le Rwanda dont elle couvre la guerre civile pour un grand quotidien. « J’avais la carte de presse qui était alors un bouclier. Aujourd’hui, les journalistes sont devenus des cibles », déplore-t-elle.

Jeune journaliste, elle est confrontée à la détresse des civils : « J’étais un peu Bécassine à la guerre au début mais j’ai compris qu’il était difficile de juste faire son métier sans aider les populations, qu’il est parfois dur aussi de repartir… ». Elle sauve alors des enfants. Au Kosovo, généreuse, elle met à disposition son téléphone.

Immense succès, son livre Le quai de Ouistreham tiré d’une immersion en tant que femme de ménage sur les ferrys à Caen va faire entrer Florence Aubenas dans le cercle fermé des écrivains journalistes témoins de leur temps. Ce récit du travail de femmes déclassées, qui fera l’objet d’un très beau film d’Emmanuel Carrère, lui posera de nombreuses questions sur l’humiliation, la résistance et, bien-sûr, la façon dont elle exerce son métier.    

De retour en France pour couvrir l’affaire d’Outreau, l’une des plus grandes erreurs judiciaires du XXe siècle, elle comprend vite la machination. Celle qui concède « avoir gardé la curiosité de quelqu’un qui n’est pas d’ici » gardera de cette expérience l’envie « de comprendre un peu plus » et de témoigner. Son dernier livre L’inconnu de la Poste (Ed. l’Olivier, 2021) illustre cette volonté d’un journalisme d’enquête et de vérité.

Engagée un temps au sein de l’Observatoire international des prisons (OIP) en tant que présidente (2009-2012), Florence Aubenas porte plus que tout l’idéal de justice : « On évalue un régime à ses marges. Les prisonniers restent des citoyens, ils ont des droits. A ce titre, la France n’est pas un modèle de démocratie ».

Internet, meilleur ami du journalisme

L’avenir du journalisme ? Florence Aubenas se montre résolument optimiste : « Internet et son flux d’informations courtes, fausses et souvent non vérifiées est paradoxalement le moyen pour les vrais journalistes de montrer l’intérêt d’une information vérifiée et développée ». Les 400 caractères de Twitter sont à ses yeux le symbole de cette information des fakes news et autres approximations qui « dépasse les lignes rouges ». Face à cette dérive, le journalisme d’enquête avec des articles de fond retrouve ainsi une place alors qu’on le croyait au rencart.

Florence Aubenas se montre par contre inquiète par la porosité entre le journalisme et la communication. « Le risque, c’est la noyade. Ministères ou grandes entreprises inondent les rédactions de communiqués qu’il faut vérifier. Au Monde par exemple, il y a un service de 15 décodeurs », précise cette professionnelle pour qui l’éthique donne sens à son métier.

La mer, thème de l’édition 2022

La Mer, le thème de l’édition 2022. Photo Jean-Luc Vezon

Comme chaque année, Jean-Noël Jeanneney a livré le secret du comité scientifique des Rendez-vous de l’Histoire. C’est la mer, thème éternel s’il en est, qui rassemblera donc à Blois du 5 au 9 octobre 2022 la grande communauté des historiens de France. Rendez-vous est pris. 

Camille Fauroux, prix Augustin Thierry

L’historienne Camille Fauroux a reçu le Prix Augustin Thierry, distinction de l’équipe des Rendez-vous de l’histoire pour son ouvrage issu de sa thèse intitulé Produire la guerre, produire le genre. Des françaises au travail dans l’Allemagne nationale-socialiste (1940-1945), publié aux éditions EHESS. En évoquant l’histoire des femmes volontaires pour travailler dans les usines allemandes, Camille Fauroux aborde un sujet difficile et quasi vierge. Graciées à la Libération pour ne pas ternir le mythe d’une France résistante, ces femmes ont pourtant dû affronter le regard terrible d’une société patriarcale. « C’est l’enquête sur l’histoire d’un silence qui interroge des zones d’ombre de notre mémoire nationale sous le prisme des rapports de genre », a déclaré la jeune récipiendaire longuement applaudie.

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