Le Centre Dramatique National d’Orléans programme Les Bonnes, la pièce de Jean Genet, mise en scène par Robyn Orlin. Cette performeuse sud africaine transcende tous les codes pour créer un spectacle éblouissant. La violence baroque du génie de Genet explose sur une scène qui est aussi un film, puisque rien n’est ce qu’on croit, et devient éclatant comme une tragédie antique.
Par Bernard Cassat
Les deux soeurs, Photo Jerome Seron
Les Bonnes, c’est d’abord un texte. On connaît le combat de Jean Genet contre le système, ses positions politiques tranchées mais aussi son sens puissant de la révolte contre la morale bourgeoise capitaliste. Son homosexualité, l’un des grands thèmes de son œuvre, le pousse à rejeter totalement une société qui le rejette lui même. Passé très tôt dans sa vie du côté des mauvais garçons, il vit dans sa chair comme dans ses textes la répression sociale, et cherche la rédemption par la poésie.
Sa pièce contient tous ses thèmes, avec une mise en avant de la conscience de ses propres contradictions, et du malaise qui en découle. Deux sœurs, bonnes chez une grande bourgeoise, ne cessent d’aller et venir dans un rapport amour/haine pour leur maîtresse. Ou plutôt fascination/répulsion. Elles s’habillent en maîtresse, elles miment ses manières, et en même temps décident de la tuer. Leur jeu de rôles inversés va jusqu’au bout. Cette critique plus révoltée que politique atteint une dimension purement tragique qui transcende ces relations de dominées pour atteindre une réflexion fondamentale sur l’homme.
Un spectacle hybride
Mais c’est aussi du théâtre. Robyn Orlin, danseuse et performeuse sud-africaine blanche et hétéro, comme elle le dit dans une interview, s’en est emparée pour monter une lecture teintée de sa propre expérience, le système de l’apartheid. Genet déjà brouillait les rôles : les bonnes imitent les maitresses jusqu’à vouloir leur ressembler. Robyn fait de ces deux personnages des hommes, et des hommes noirs. Elle introduit ainsi un thème absent du texte, la question du genre. Pour renforcer ces ambiguités, Robyn utilise comme décor les images d’un film de 1975 que Christopher Miles a tiré du texte de Genet. La scène est donc quasi nue, réduite à sa dimension de plateau par l’éclairage. Et un système de caméras introduit les acteurs dans l’image du film projetée. Le savoir-faire de performeuse de Robyn fait de ce dispositif une totale réussite. Il rentre complètement dans le propos de la pièce.
Les questionnements jusqu’à la folie. Photo Jerome Seron
Sous nos yeux, rien n’est vraiment ce qu’il est. L’homme noir est une femme blanche, la bonne est une maitresse. Et le théatre n’est pas du théatre, puisqu’on rentre dans un film, mais un art hybride. Une bande son, sensée être celle du film, musique magnifique qui accompagne les mots, sous-tend le spectacle du début à la fin, comme dans un film de Sergio Leone.
Le glissement du sens, le vrai dans le faux de l’apparence (« le jeu est dangereux », dit une des deux sœurs), l’inquiétude sur son identité et sur son désir, tout cela emmène Genet, avec le lyrisme baroque qu’il sait mettre en mots, dans une envolée époustouflante et folle de la sœur criminelle, appuyée par un dédoublement visuellement magnifique de l’image. La violence de toutes ces incertitudes nous touche, et pas seulement à l’esprit. Toute l’équipe a créé un spectacle flamboyant où les interrogations d’aujourd’hui sont mises dans la perspective de celles d’hier. Pour poser avec force les mêmes questions.
Les bonnes
Conception Robyn Orlin
Avec Andréas Goupil, Arnold Mensah, Maxime Tshibangu
Création lumières et régie générale Fabrice Ollivier
Création costumes Birgit Neppl
Création vidéo Eric Perroys
Création musique Arnaud Sallé
Assistante stagiaire à la mise en scène Adèle Baucher
Production et diffusion Damien Valette
Coordination Louise Bailly
Film : The Maids (1975), réalisé par Christopher Miles, avec Glenda Jackson, Susannah York et Vivien Merchant