Ozon ose filmer le récit de son amie Bernheim

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Amis et collaborateurs sur plusieurs films, François Ozon reprend en images le récit d’Emmanuèle Bernheim qui raconte le suicide assisté de son père. Un réalisme rigoureux laisse en retrait toutes les questions de société du sujet pour mettre en valeur la puissance des images et le jeu d’acteurs remarquables.

Par Bernard Cassat

Film osé sur un sujet scabreux, celui du suicide assisté, a-t-on entendu souvent. Certes. Sujet dans l’air du temps aussi. La loi Léonetti de 2005 renforcée par celle de 2016 interdit en France le suicide assisté, mais n’empêche pas la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Alors que des pays limitrophes, Suisse ou Pays Bas, autorisent la fin de vie choisie.

Les deux sœurs et leur père amoindri. Capture écran

C’est ce qui est arrivé à Emmanuèle Bernheim. Son père, après un AVC, a souhaité en finir, trop diminué physiquement mais en totale possession de ses esprits. Elle le raconte dans un récit court, Tout s’est bien passé, paru en 2013. Alain Cavalier, à partir de ce récit, a un projet de film avec son amie Emmanuèle, qui jouera son propre rôle et lui celui de son père. Mais elle apprend son cancer en début de tournage, et le film ne se fera pas comme prévu. Cavalier le sortira sous le titre Etre vivant et le savoir, documentaire prenant sur la fin de vie, celle du père et celle d’Emmanuèle.

Elle a aussi été la scénariste de François Ozon pour plusieurs films. Il se sent donc totalement légitime pour tirer de ce récit un film très proche du texte. Il reprend même le titre du livre. Il y a donc une double transcription, celle d’abord de l’auteur qui raconte avec des mots la fin de son père et comment il l’a impliquée dans cette décision. Puis la transcription de ces mots en images. La présence d’acteurs très connus renforce la distance d’avec la réalité, et pourtant Ozon nous plonge dans un récit qui suit au plus près cette réalité de narration : chronologique, totalement linéaire, sans imagination sinon celle de la mise en images. Les quelques flash back rapides, sans doute pas nécessaires, ne perturbent pas l’avancée régulière du récit.

Une approche froide d’un récit brûlant

A partir de cela, que nous apporte ce film ? Toutes les données légales sont abordées à un moment ou à un autre, mais elles sont simples et claires. On ne peut pas dire qu’il traite le sujet de manière philosophique ou morale. Le réalisme strict laisse ces approches en creux. Les personnages, les deux sœurs surtout, quittent plusieurs fois des situations devenues insupportables, indiquant sans discours leur désaccord ou leurs questionnements. Et leur attachement à leur père malgré ou à travers des relations compliquées n’évite bien sûr pas une émotion qu’elle vivent sans vraiment nous la faire partager. La froideur réaliste du récit éloigne le pathos, ce qui fait la force du film. Mais en même temps en atténue le propos.

Hanna Schygulla fait le lien avec la Suisse. Capture écran

Reste le savoir faire brillant de François Ozon et de ses acteurs merveilleux. Sophie Marceau, terriblement juste et précise, Géraldine Pailhas dans le rôle de sa sœur malaimée du père, André Dussollier, formidable d’énergie contenue et de puissance relationnelle irradiante, Charlotte Rampling dans un rôle difficile de femme diminuée, Hanna Schygulla, merveilleuse ange de la mort. Avec des rôles secondaires magnifiques, Jacques Nolot, Eric Caravaca et Grégory Gadebois. Leur très grand talent cache le sujet pour en faire un moment de cinéma très réussi.