[Sexisme ordinaire] La misandrie, version féministe

Pourquoi parler de misandrie dans un dossier consacré au sexisme ordinaire ? La réponse ne va pas de soi si l’on considère la définition du Larousse qui estime qu’une personne misandre « éprouve du mépris, voire de la haine, pour le sexe masculin ; qui témoigne de ce mépris (s’oppose à misogyne.) » Mais en fait ce mot est repris aujourd’hui par tout un courant féministe dont l’objet de haine est non pas les hommes mais leur comportement dominant (parfois à leur insu) issu du patriarcat et cela change tout !

Par Sophie Deschamps

Il n’est pas facile à manier ce mot « misandrie ». Rien d’étonnant puisqu’il est apparu récemment, dans les années 1970 pour faire le pendant du mot misogynie, qui désigne celui qui méprise et hait les femmes. A un détail près, c’est que dans notre société patriarcale inégalitaire et dominante, il est impossible que ces deux mots aient les mêmes répercussions dans notre vie quotidienne. Et c’est tant mieux puisque le projet des féministes n’est pas de rabaisser, de blesser ou de tuer les hommes mais juste de devenir leurs égales à la maison, au bureau, au café, dans la rue… en faisant la peau aux inégalités subies quotidiennement.

La misogynie tue, pas la misandrie

Car bien sûr, l’inverse est malheureusement faux et c’est là tout le problème. Ainsi, il faut année après année faire le macabre décompte des femmes qui meurent ou sont blessées par leur compagnon. C’est par exemple cet homme qui a violemment frappé sa conjointe de 28 ans au visage à coups de poing et de parpaing (sic) le 11 juin dernier à Montargis (Loiret), la blessant sérieusement à la mâchoire. Toujours à Montargis le 21 juillet une autre femme de 50 ans a failli succomber aux coups de couteaux assénés par son ex-compagnon sur un parking du centre-ville.

En 2021, on déplore 80 féminicides (102 en 2020 et 146 en 2019, chiffres du ministère de l’Intérieur). Une hausse alarmante qui a d’ailleurs conduit le gouvernement à présenter en urgence dès le 9 juin 2021 six mesures « pour renforcer la protection des victimes et mieux suivre les auteurs de violence conjugale ».

Des hommes misogynes malgré eux

Mais pour que les chiffres baissent, il faut que hommes et femmes aient conscience de vivre dans un système de pensée patriarcale qui encore trop souvent « invisibilise » les comportements misogynes. Ainsi, l’écrivain Martin Page reconnaît dans la chronique “Pourquoi je ne suis pas féministe” (publiée dans le premier numéro du trimestriel féministe La Déferlante) avoir sèchement interrompu plusieurs fois la libraire du lieu où il présentait son livre : « Il serait illusoire de croire que les hommes engagés contre le sexisme sont débarrassés de pensées et comportements misogynes. Les bonnes intentions sont rattrapées par la force et la profondeur d’une socialisation inégalitaire en notre faveur. Nous restons des dominants. »

Une vision féministe de la misandrie

Ce battage médiatique autour de la misandrie a commencé avec la sortie de l’essai de Pauline Harmange Moi, je déteste les hommes, en septembre 2020. Avec ce titre volontairement provocateur, l’autrice, qui précisons-le est mariée, entendait jeter un pavé dans la mare du patriarcat actuel et son cortège de violences sexistes et sexuelles. Mais elle a été très vite  accusée de misandrie. Plus cocasse, un chargé de mission du ministère délégué à l’Égalité femmes-hommes a voulu faire interdire le livre, ce qui paradoxalement lui a fait de la publicité et assuré son succès en librairie.

Voici donc sa définition de la misandrie : « Je vois dans la misandrie une porte de sortie. Une manière d’exister en dehors du passage clouté ; une manière de dire non à chaque respiration. Détester les hommes, en tant que groupe social et souvent en tant qu’individus aussi, m’apporte beaucoup de joie (…) Si on devenait toutes misandres, on pourrait former une grande et belle sarabande. On se rendrait compte (et ce serait peut-être un peu douloureux au début) qu’on n’a vraiment pas besoin des hommes. On pourrait, je crois, libérer un pouvoir insoupçonné : celui, en planant très loin au-dessus du regard des hommes et des exigences masculines, de nous révéler à nous-mêmes. »

C’est aussi Alice Coffin, qui, dans son livre Le Génie Lesbien, a dérangé en déclarant qu’elle « privilégiait désormais les œuvres écrites, filmées ou composées par des femmes ». Elle s’en explique bien sûr dans son livre : « Les productions des hommes sont le prolongement d’un système de domination. Elles sont le système. L’art est une extension de l’imaginaire masculin. Ils ont déjà infesté mon esprit. Je me préserve en les évitant. Commençons ainsi. Plus tard, ils pourront revenir. » Mais bien sûr, seule la phrase citée plus haut a été retenue et sortie de son contexte.

Un front nécessaire des femmes contre la domination masculine

En revanche, personne ne semble s’être offusqué du fait que dans le numéro 9 de la revue trimestrielle Zadig : Femmes, Une révolution française (printemps 2021), l’article intitulé Le bonheur des livres proposait une « balade guidée en compagnie de Faulkner, de Rabelais et de la Boétie ». Ou quand l’écrivain italien Italo Calvino conseille  dans un essai de (re)lire les classiques en ne citant que des œuvres d’hommes ! On peut aussi rajouter que le prestigieux prix Goncourt créé en 1892 a été attribué depuis sa création 105 fois à un écrivain et 12 fois à une femme ! Pire, depuis les années 2000 seules trois femmes l’ont reçu : Marie N’Diaye en 2009, Lydie Salvayre en 2014 et Leila Slimani en 2016 !

C’est aussi cet ancien cadre de la DRAC du Centre-Val de Loire qui déclare tranquillement en 2019 à Cécile Loyer, présidente  du collectif HF Centre : « Mais madame, les hommes sont des chefs, vous devez vous y faire ! » alors que celle-ci se plaint du manque dans notre Région de femmes à des postes de responsabilité dans la Culture. 

Pour Alice Coffin, il est aussi nécessaire de ne jamais critiquer la moindre femme en public. Une ligne de conduite qu’elle justifie ainsi : « S’en prendre à une femme de pouvoir, c’est débrider la machine à sexisme (…). J’évite de critiquer publiquement une femme, une autre minorité, je sais trop bien qui en tirera profit. » 

Fawzia Zouari, présidente Parlement des écrivaines francophones en 2021. Photo Sophie Deschamps

En revanche on peut interpeller ces femmes collectivement comme l’a fait Fawzia Zouari, présidente du Parlement des écrivaines francophones le 9 octobre dernier dans son Appel d’Orléans en ces termes : « Nous ne renoncerons pas devant le fait d’affirmer que seules les valeurs universelles doivent nous guider, encore moins d’interpeller certaines de nos sœurs qui se fourvoient en ralliant des courants machistes, confondant leur intérêt avec celui de leurs oppresseurs, devenant les relais d’idéologies qui se fondent sur une idée de leur infériorité. »

Un féminisme encore mal compris

Mais force est de constater toutefois que certaines femmes pensent encore que le féminisme, c’est vouloir prendre le pouvoir sur les hommes et les dominer, donc d’être misandres au sens premier du terme. Ainsi, l’animatrice télé Alessandra Sublet était invitée le 23 mai 2021 sur France 2 dans l’émission 20h30 de Laurent Delahousse pour la sortie de son livre J’emmerde Cendrillon (Ed. Robert Laffont, mai 2021). À la question du journaliste : « Êtes-vous féministe? » elle a répondu « Non parce que pour moi, le féminisme c’est aller sur un chemin dangereux. » Elle n’a pas précisé lequel et c’est bien dommage mais elle a tout de suite précisé : « Je suis pour l’égalité des femmes et des hommes.(…) J’aime les hommes et je n’ai aucune envie de vivre dans un monde d’Amazones », tout en ajoutant : « Je revendique une chose, c’est parfois beaucoup plus difficile pour une femme d’avancer dans certains domaines et le regard des autres se portent plus violemment sur les femmes. » Alessandra Sublet semble être une féministe qui s’ignore puisque justement les combats féministes d’aujourd’hui vise avant tout l’égalité femmes-hommes qu’elle appelle de ses vœux.

On l’aura compris, il s’agit de lutter contre un système, le patriarcat, qui même s’il a perdu de sa superbe demeure bel et bien, et non contre les hommes en général. Et la misandrie fait tout simplement partie comme on vient de le voir des outils pour en venir à bout.

Commentaires

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  1. La philosophie grecque nous proposait d’être conscients de notre androgynie psychique ( les qualités féminines et masculines , différentes et complémentaires, sont présentes en chaque être humain quelque soit sa génitalité). La fin de la domination patriarcale est un signe très positif de l’émergence de cette conscience androgyne dans la réalité de nos relations humaines.

  2. Avant de commencer nos gesticulations féministes, les filles, nous devrions déjà supporter nos soeurs. Quand je vois le traitement et la haine déclenchée par une Hidalgo, une Pécresse, une Morano, et plus loin et quoiqu’on pense, des Aubry, Royal et remontons jusqu’à Cresson … je n’en ai pas vu beaucoup à mes côtés pour prendre leur défense. Pendant ce temps les mecs rigolent. Sista’ Powa’

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