Au cinéma des Carmes à Orléans: deux étonnants films iraniens

L’Iran est à l’honneur sur les écrans du cinéma les Carmes en cette fin du mois d’aout. Deux films très différents, autant dans les thèmes que dans leur esthétique et leur traitement. L’un intimiste dans la société bourgeoise d’une époque révolue, l’autre qui brasse les problèmes sociaux et de lutte contre la drogue dans la société d’aujourd’hui. Deux volet passionnants du riche cinéma iranien.

L’échiquier du vent a été tourné par Mohammad Reza Aslani en 1975. Il est sorti en avant-première l’année suivante au Festival International du film de Téhéran. Il est alors mis en quarantaine pour son audace, puis tombe dans les filets de la censure en 1979 qui l’interdit comme film « non islamique ». Les bobines sont perdues, mais une copie a été retrouvée par la fille du réalisateur dans une brocante. Il sort aujourd’hui dans une version restaurée par The Film Foundation, la Cineteca di Bologna et l’Image Retrouvée à Paris.

Un drame qui vire au mélodrame

Près de cinquante ans après, on peut donc découvrir cette œuvre somptueuse, déchirement d’une famille bourgeoise dans un huis clos renforcé par la paralysie du personnage central, Petite Dame. Elle accuse son beau-père d’avoir tué sa mère, Grande Dame, pour s’accaparer la fortune de celle-ci qui devait lui revenir. Deux neveux, et surtout une servante jeune et ambitieuse, complètent ce drame, traité comme une tragédie grecque. Des scènes de lavandières en extérieur viennent ponctuer le déroulement du récit comme les choeurs antiques, vantant la bonté de Grande Dame. Mais dehors le temps tourne à l’orage et à l’intérieur est venue l’heure des règlements de comptes.

Le travail de cinéma est magnifique. Cadrages précis au millimètre, soin des décors, cet escalier double par exemple, où s’affrontent ces gens qui tous jouent double jeu. Deux miroirs, en haut des marches, tout comme ceux du salons, multiplient les reflets des personnages. Des séquences longues construisent un écrin visuel époustouflant à ces déchirements, comme cette scène de repas au début. La servante et son aide mettent d’abord la table, par terre puisque c’est l’usage dans l’Iran sans doute des années cinquante. La nappe sur les tapis, la symétrie de l’image, les gros plans sur des détails, le sel renversé par le petit valet puis ramassé par la servante, la beauté des objets, les carafes de liquide blanc, tout construit des images impeccables. Et la même minutie, le même qualité visuelle décrit les gens. Inutile pour le récit, mais quel plaisir que le lavage des mains de Haji Amou, le maître de maison, sous l’eau de l’aiguière versée par la servante qui est peut être aussi sa complice.

La beauté formelle n’empêche pas des longueurs. D’autant que le drame devient vraiment mélo, voire frise le grotesque sur la fin. Mais ce film sidérant, un peu daté, constitue une belle curiosité qui vaut le détour ! Son auteur tournera très peu d’autres films par la suite. Il aura plutôt un parcours de scénariste, d’écrivain et de poète.

Un ton original pour un film policier maîtrisé de bout en bout

Autre ambiance, presque antinomique, pour La loi de Téhéran. On est là dans un film policier filmé par Saeed Roustany dans l’Iran actuel. Un policier du genre incorruptible s’attaque à un patron de la drogue. Banal, se dira-t-on. Mais non. On est loin de toutes les séries, et même des films occidentaux construits sur le même sujet. Autant au niveau de l’histoire, précise et clairement développée, qu’au niveau du type de cinéma. Roustany manie les foules, les grands nombres. Il n’hésite pas à mettre en images une descente de flics dans un bidon ville de tuyaux de béton, par exemple. Des centaines de figurants, voire plus. Un rythme terrible, un affolement généralisé, une puissance d’image difficile à réaliser mais simple, qui va droit au but. D’autant que cette foule va se retrouver en prison. Dans des scènes incroyables de bunker grillagé qui font penser au procès de la mafia à Palerme. Jusqu’au bout, la foule va avoir son importance : deux armées qui se font face, celle des drogués et celle des policiers qui les traquent. La scène finale sur une autoroute ressemble plus à une émeute filmée pour les infos, mais c’est bien de la fiction!

Payman Maadi dans le role du policier

Mais au milieu de cette puissance du nombre, des destins individuels vont se nouer, des personnages émergent de la foule. Les chefs tout d’abord, qui vont se confronter pour que la guerre finisse. Mais aussi beaucoup d’intermédiaires, dans des séquences construites comme des récits dans le récit. Celle du début par exemple, ce jeune gars qui tente de fuir en courant, se délestant de son paquet de drogue, qui trouve au bout de sa fuite haletante son destin tragique. Les personnages de policiers se précisent petit à petit. Le trafiquant aussi. Et c’est parce qu’il y a débat entre eux que ce film est aussi intense. Par les explications, par les coups bas ou les coups fourrés, par les revirements et l’implacable attitude du policier. Mais aussi par des rôles plus secondaires, cet enfant de dix ans coincé par son père dans l’enfer de ce monde de la drogue, cette femme qui porte sur elle la drogue revendue par son mari. Ou le personnage du juge, dur mais juste, qui cherche, qui comprend, qui remplit son rôle avec intelligence. Et derrière tout cela, très présente sans pour autant émerger, la misère économique et sociale.

Ces deux films témoignent chacun à leur façon de ce pays que l’on connait mal, qui nous semble englué dans l’obscurantisme religieux, mais qui reste pourtant un très grand pays de cinéma. Ce jeune réalisateur de 32 ans, Saeed Roustany, en est une nouvelle pousse.

Bernard Cassat

 

L’échiquier du vent

Réalisation Mohammad Reza Aslani

Interprètes Fakhri Khorvash, Mohamad Ali Keshavarz, Akbar Zanjanpour, Shohreh Aghdashloo

Directeur photo Houshang Baharlo

 

La loi de Téhéran

Réalisateur Saeed Roustany

Interprètes Payman Maadi (le policier), Navid Mahammad zadeh (son lieutenant), Houman Kiai, Parinaz Izadyar

Directeur photo Hooman Behmanesh

 

 

 

 

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