On connaît bien Josef Nadj à Orléans, puisqu’il a dirigé le Centre chorégraphique national de cette ville de 1995 à 2016. Il a monté Omma, un spectacle autour de la naissance de l’humanité reprogrammé ce vendredi par la Scène nationale d’Orléans. Huit danseurs originaires de différents pays, issus de formations et parcours divers, passés par les danses traditionnelles, la lutte, le conte, le rap, la danse classique ou encore l’acrobatie, nous entraînent dans le monde primitif et nous font passer de la tribu proche du monde animal à l’enterrement, pratique hautement humaine. En essayant de transmettre l’âme de la danse.
Huit hommes en costumes gris, comme Joseph Nadj a très souvent habillé ses interprètes. Huit hommes en ligne qui se mettent à respirer, inspirent, expirent. Et l’un d’eux émet un son, les autres reprennent. Puis un autre se plie en deux, un autre encore se tourne et l’engrenage est enclenché. Huit hommes qui bougent leurs corps, huit hommes qui dansent, et qui forment groupe, tribu, société. Il y a à la fois les mouvements individuels et les mouvements de groupe, chacun pour soi mais aussi image formée par l’ensemble. De la danse, quoi.
De la danse qui n’a pas de grammaire
On ne sait pas ce que représente tel mouvement de l’un ou de l’autre. En revanche, les mouvements du groupe s’organisent, font image. Et à ces images peuvent être associées des significations, des éléments narratifs. La jungle, l’animalité qui est en nous, la tribu primitive. La bande son qui ne se base que sur des rythmes renforcent cette direction. Aucune mélodie, juste le groupe qui se règle sur la respiration commune, un troupeau de vivants s’organisant sous nos yeux.
De la danse brute
Chaque homme essaye un mouvement, les autres le reprennent. Lorsque les huit hommes se retrouvent en ligne, que ces huit corps bougent ensemble et pareillement, là, on se retrouve dans de la danse émotionnelle qui nous enchante, nous séduit, vient nous cueillir pour nous emmener vers les images suivantes. Plusieurs séquences au cours du spectacle, certaines assez floues, d’autres plus nettes. Les plus remarquables, peut être, les plus marquées en tous cas, ces gestes de mineurs exploités au fond de la mine. Renvoi vers l’exploitation outrancière des corps de ces travailleurs de force. Qui pourtant devant nous restent des danseurs.
Des danseurs mis en scène par Joseph Nadj
Car c’est peut être là que le metteur en scène est le plus présent. Ses chorégraphies ont toujours été un peu décalées, se basant souvent sur l’imaginaire des pays de l’Est dont il est originaire. Ses spectacles sont toujours au bord, frisant la performance, jamais totalement impliqués dans les problématiques de danse, mais plutôt de corps en mouvements qui racontent par des images, des ambiances, des tonalités. Omma ne déroge pas à cela : ce n’est pas vraiment une chorégraphie, c’est un spectacle de moments vécus par des danseurs qui évoluent dans l’espace, rassemblés de temps en temps par le chorégraphe metteur en images.
Des danseurs qui dégagent une force évidente
Ces huit hommes, dans la simplicité du dispositif et dans l’arrangement scénique, nous emmènent irrésistiblement dans leur cérémonie envoûtante. On ne sait pas trop ce qui se passe, mais leur beauté individuelle et collective fait son effet. Un enterrement style Nouvelle-Orléans va clôturer l’évolution, figure déjà annoncée au milieu du spectacle. L’homme est le seul être vivant à enterrer ses morts, dans une cérémonie qui là aussi organise les corps, morts comme vivants, en une danse. L’âme peut alors s’en échapper, fil rouge du spectacle, puisqu’elle est constamment dans le geste, dans les rapports entre danseurs, dans la danse, dans la beauté.
Cette naissance de l’humanité, imaginée par un blanc et représentée par huit danseurs noirs, est à la fois prenante et mystérieuse. Omma est un spectacle fort qui touche des questions de fond. Mais la danse fait son effet, le rythme, l’harmonie, la beauté agissent et nous emmènent. Première réponse, peut être ?
Bernard Cassat
“Omma”
Chorégraphie Josef Nadj
Interprétation Djino Alolo Sabin, Timothé Ballo, Abdel Kader Diop, Aïpeur Foundou, Bi Jean Ronsard Irié, Jean-Paul Mehansio, Marius Sawadogo, Boukson Séré
Collaboration artistique Ivan Fatjo
Lumière Rémi Nicolas
Musiques Tatsu Aoki et Malachi Favors Maghostut, Peter Brötzmann et Han Bennink, Eureka Brass Band, Jigsaw, Lucas Niggli, Peter Vogel
Régie générale Sylvain Blocquaux
Régie son Shoï
Photos : captures du teaser, Atelier 3+1 / Josef Nadj
Scène nationale d’Orléans