Premier film de Laurent Zeller, dont le scénario est tiré de sa pièce de théatre, The Father a remporté des récompenses en veux tu en voilà. Sur le thème de la perte de la réalité par un vieil homme atteint de troubles profonds, le scénario va jusqu’au bout. Servi par des interprètes hors pairs, ce propos terrible d’une heure quarante se regarde avec intérêt mais sans passion.
Imogen Poots, Olivia Colman et Anthony Hopkins. copyright-cran-49
On est dans un très bel appartement londonien où un homme âgé écoute de l’opéra. Images des pièces bien meublées, de la cuisine, des objets. Et cet homme déambule dans ces pièces avec l’insouciance du quotidien. Une femme entre et le rapport père-fille se déroule devant nous : Anthony, puisqu’il s’appelle comme son interprète Hopkins, ne reconnaît pas sa fille, lui demande ce qu’elle vient faire chez lui. C’est par des scènes comme celle là que Zeller installe ce qui fait tout l’intérêt du film : où est vraiment la réalité. Parce qu’on apprend assez vite que l’appartement est celui d’Anna, qu’Anthony vit chez elle, même s’il ne l’admet pas. Surtout que l’appartement change parfois. La cuisine a la même disposition, mais les placards sont anciens, puis modernes lorsqu’Anna y est. Pleins de détails comme celui-là font vaciller les certitudes du spectateur.
Le temps, en tout cas la chronologie, n’est pas fiable elle non plus. Un poulet sert de repère. Anna vient de l’acheter, le pose sur la table de la cuisine, le met au four puis le mange avec son père à table. Mais ces différentes séquences ne sont pas dans l’ordre. Certaines sont vécues deux fois. Parce que la réalité, donc la chronologie, se trouve confrontée à la puissance du vécu totalement subjectif d’Anthony qui ne fait plus toujours le lien entre les différents éléments. Et les personnages qui gravitent autour du couple père fille sont eux aussi remis en question : mari d’Anna, amant, infirmière de jour, personnel de maison de retraite ? Les dialogues entremêlent tous ces gens pour raconter l’histoire qui sans doute se déroule dans la tête défaillante d’Anthony, mais qui aussi peut être la réalité. On ne saura pas vraiment tout avec certitude.
Un huis clos total
Surtout que le film n’hésite pas à traiter les personnages « normaux » de la même façon qu’Anthony. Anna, en l’occurrence, à qui la douleur et la fatigue font venir des envies de meurtre. Ou son amant, qui rudoie Anthony et devient à ses yeux un membre du personnel de la maison de retraite. Ces « jeux » de rôles font la force du récit. Qui finit mal, bien sûr. Mais qui montre très bien la douleur de ces gens chez qui la perte de réalité n’est pas tout à fait constante, et qui vivent donc des moments de conscience extrêmement douloureux.
Ce huis clos total ne tient que par l’éblouissant jeu des deux acteurs, Hopkins bien sûr, mais Olivia Colman aussi, expressive avec peu, émouvante. On sent le théatre derrière, même si les images très soignées déroulent un cinéma élégant qui décrit minutieusement l’enfermement d’un homme dans son propre monde. Ce qu’au fond tout le monde redoute le plus, autant pour soi que pour les proches. D’où une obligatoire distance.
Bernard Cassat
The Father
Réalisation : Florian Zeller
Scénario : Florian Zeller, Christopher Hampton
Interprètes : Anthony Hopkins, Olivia Colman, Mark Gatiss, Rufus Sewell, Imogen Poots
Photo : Ben Smithard