Patrick Communal ancien avocat au barreau d’Orléans. DR
Elle est bretonne, elle a été pétrie de foi chrétienne toute son enfance. Elle vouait un culte spécial à Thérèse de Lisieux qui représentait à ses yeux la piété, l’abnégation, la vocation, l’absolu chrétien. Thérèse portait le voile, pleine et naturelle expression de foi, symbole d’obéissance à Dieu, libre sacrifice religieux.
Elle aurait pu entrer au Carmel, mais à l’adolescence, elle s’est convertie à l’Islam et ce voile, qu’elle a toujours porté depuis toutes ces années, était à ses yeux, comme ceux de Thérèse, la même et libre expression de sa foi et sa réponse à l’appel de Dieu. Elle raconte que ce n’est pas le respect et la courtoisie qu’elle a rencontrés alors, mais l’indicible violence du racisme, elle n’était plus une femme religieuse, elle était une femme soumise, brandissant le drapeau vert de l’islamisme, offensant la sacro-sainte laïcité, prosélyte, symbole de toutes les crispations et de toutes les oppressions, à la fois faible chose et dangereuse menace politique, dénuée d’intelligence, de bonté, d’intégrité et de foi.
Gwenn, nous dit que ce changement ne vient pas d’elle. Il vient seulement du regard de l’autre, qu’elle est innocente de ce regard, alors elle porte son voile sans honte ni détour parce qu’elle n’a pas à céder un fil de ce qu’elle est, pour satisfaire l’injustice.
Ces mots que j’emprunte à Gwenn sont la première réaction que j’ai envie d’apporter à la lettre ouverte que les responsables du laboratoire Loiret de la laïcité ont adressée à Caroline Janvier députée LREM.
Quand on adresse une lettre ouverte, ce n’est pas à la réponse de son destinataire que les rédacteurs attachent le plus d’importance, sinon elle serait fermée, raison qui m’autorise à en faire ici un commentaire critique, dès lors qu’elle a été transmise à la rédaction de Magcentre.
Tout est parti d’un tweet de Jordan Bardella, vice-président du Rassemblement national commentant une affiche électorale de La République en marche dans le département de l’Hérault sur laquelle apparait Sara Zemmahi, ingénieure qualité et candidate portant le voile. Dans son tweet, Jordan Bardella demande à Marlène Schiappa si c’est cela la lutte contre le séparatisme et Stanislas Guérini, délégué général LREM, réplique en indiquant que les valeurs portées par sa formation ne sont pas compatibles avec un port ostentatoire de signes religieux. Il enjoint donc aux candidats de changer cette photo sous peine de perdre le soutien de LREM.
Caroline Janvier répond alors que courir après le Front national ne servira qu’à faire gagner leurs idées et que le choix exprimé par Stanislas Guérini revient à exclure du champ républicain une partie de la population. Après avoir rappelé que la Loi n’interdit pas le port de signes religieux pour un élu, elle ajoute que ce choix, c’est rendre impossible la participation à des élections – le cœur de la démocratie – pour des citoyennes françaises, en l’occurrence des citoyennes musulmanes qui portent le voile. Finalement, c’est quelque part aussi faire le jeu de l’Islam radical, qui va leur ouvrir la porte1.
Dans leur lettre ouverte, Gilles Kounowski et Sébastien Colin exposent, à la députée du Loiret, que si elle a juridiquement raison, puisque le droit de cette candidate de porter le voile est sur ce point absolument inattaquable, elle aurait politiquement tort parce que le principe constitutionnel de laïcité ne saurait, disent-ils, se réduire à un seul cadre législatif et à sa jurisprudence. Ils en appellent à l’histoire de la France et à celle de la philosophie des Lumières et, un peu plus loin, au droit des femmes qui n’inclut manifestement pas, aux yeux de ces laïques, le droit de s’habiller comme elles l’entendent. Il est paradoxal d’opposer le régime juridique de la laïcité pour lequel j’ai déjà écrit ici, en d’autres circonstances, que c’est avant tout un régime de liberté, avec la laïcité énoncée comme principe politique, qui viendrait en restreindre considérablement le champ. La députée du Loiret ne saurait ignorer, selon nos deux chantres de la laïcité, que le voile dont se pare la candidate LREM de l’Hérault est un symbole plus politique que religieux, qu’elle porte en connaissance de cause ou pas…
En théologiens éclairés de l’Islam, puisque les lumières inspirent leur démarche, ils rappellent que Kahina Bahloul, première femme imame de France, le dit très clairement : « le voile n’est pas une obligation religieuse » Le voile ajoutent-ils est un marqueur identitaire fort, promu par les courants politiques extrémistes se revendiquant de l’Islam des origines (Salafistes, Frères musulmans, mollah chiites iraniens…) et sa signification est sans ambiguïté, elle manifeste la soumission des femmes, non pas à un Dieu universel… mais la soumission aux hommes, mâles dominants… La laïcité, concluent-ils, existe pour mettre un terme aux passions tristes, façon de nous suggérer qu’ils auraient peut-être lu Spinoza ou, plus simplement, qu’ils pastichent Emmanuel Macron, pour énoncer une conviction qui en revisite singulièrement la notion2.
Gwenn, citée en exergue, avait en partie répondu ; le voile semble se définir chez nous, non pas par les raisons intimes qui inspirent les femmes musulmanes qui le portent, mais par le regard qu’on pose sur elles. Celui que posent Gilles Kounowski et Sébastien Colin, s’il apparaît totalement dénué de bienveillance et de tolérance est marqué par la peur de l’autre, cette forme quasi-obsessionnelle d’anxiété qui parcourt le champ politique, dans sa confrontation à la différence… (Passions tristes, dites-vous ?).
Il est diverses raisons qui peuvent conduire une femme à porter le voile ; s’il n’est pas une obligation, il demeure un choix, parfois inspiré par une forme de mysticisme, de cheminement spirituel intérieur, de piétisme, ou encore un désir d’affirmation et de fierté de ce que l’on est face au discours ambiant dominant qui stigmatise. Il peut aussi répondre simplement à une tradition familiale, un certain conformisme communautaire… qu’importe, soutenir que le voile n’obéirait qu’à un modèle unique de représentation symbolique, qui devrait s’imposer à tous et guider les choix politiques, relève d’une forme d’aveuglement totalitaire.
Un dernier point pour conclure ; en citant Kahina Bahloul, Gilles Kounowski et Sébastien Colin semblent appeler de leur vœux un Vatican 2 de l’Islam, comme tous les ministres de l’intérieur qui se sont succédés Place Beauvau, depuis Jean Pierre Chevènement. Il y a effectivement au sein de l’Islam des théologiens réformateurs qui entendent s’inspirer de la philosophie contemporaine, de l’humanisme et de l’apport des sciences pour adapter le discours religieux. Il y a d’autres théologiens, plus conservateurs, parfois littéralistes qui s’opposent à ces réformateurs. Ces débats-là existent dans toutes les religions. Mais le discours dominant en France, celui que les leaders politiques, les parlementaires, ont adopté sur l’Islam, discours très stigmatisant, est plutôt de nature à mettre en difficulté ces réformateurs considérés, par une partie de leur communauté, comme les « collabos » d’un Islam de France aux relents concordataires, bonapartistes et néo-coloniaux.
L’Etat français, comme le Grand Orient de France, devraient s’en tenir aux principes de la laïcité, c’est-à-dire ne pas s’en mêler, et stigmatiser un peu moins une partie de nos compatriotes. C’est la meilleure façon de promouvoir le vivre ensemble…en laissant les évolutions se construire naturellement. Il semble que Caroline Janvier l’ait parfaitement compris.