Quand la culture est art politique

 Dans « Une Révolution culturelle ; Dits et écrits, Jack Lang », le journaliste sociologue Frédéric Martel lève le voile sur les archives du très emblématique ministre de la Culture, Jack Lang qui fut aussi député-maire de Blois.

Ah le syndrome de la page blanche… Pour l’ancien ministre de la culture de François Mitterrand, Jack Lang, la chose est réelle. « J’ai essayé. Je voulais écrire moi-même mes mémoires mais je n’y arrivais pas », confie l’ancien député-maire de Blois pourtant habitué des rayonnages. Et même à quelques succès de librairie. On pense certes à ses « François 1er » et autres « Laurent le Magnifique » mais aussi à des écrits moins romanesques comme son récent manifeste pour « La langue arabe, trésor de France ». Aussi l’aveu peut surprendre en pleine promotion de « Jack Lang, une révolution culturelle », publié chez Bouquins, sous la houlette de l’écrivain-sociologue Frédéric Martel. A croire que remonter le fil de sa vie est un exercice plus difficile qu’il n’y paraît. Surtout quand le cœur du livre repose uniquement sur ses écrits et ses dires.

Fragments de vie

Doit-on y voir une pudeur ? Pas sûr sachant que l’ancien député du Loir-et-Cher a déjà dévoilé ces dernières années des « fragments de vie partagée » pour reprendre partiellement le titre d’un de ses livres. Non, simplement la volonté, semble-t-il, d’avoir un autre regard, peut-être moins flamboyant, sur ces années « rue de Valois ». Tant l’ancien maire de Blois sait qu’il incarne le renouveau culturel des années 80-90.

Renouveau qui au fil des 1300 pages laisse apparaître des batailles, des victoires mais aussi des défaites. On pense ainsi au palais de Tokyo à Paris dont la remise en état et la reconversion en grand Palais du cinéma, imaginé en 1985, n’alla pas plus loin que les premiers 80 millions de francs engagés à l’époque. Et ironie de l’histoire pour l’actuel patron de l’Institut du monde arabe, c’est un ministre de la Culture socialiste, la Strasbourgeoise Catherine Trautmann qui en « porta le coup de grâce», en 1998. Comme quoi nul n’est prophète en son pays !

Multi-cartes

Petits secrets et anecdotes mais point de révélation fracassante dans ce drôle de verbatim, qui s’appuie sur les archives de l’ex ministre, qui ajouta un temps les couleurs de l’Éducation nationale à son blason. Non que l’éphémère porte-parole du gouvernement Cresson (mai1991-avril1992 NDLR) cherche à empiéter sur les domaines qui ne sont pas les siens mais on ne dit pas non à ce type d’aventure. Surtout à François Mitterrand, l’homme qui « a une patience d’ange avec vous ». «Il est vrai, ajoute Jack Lang, que j’avais un lien très spécial avec lui ».

« 1% culturel»

Petite confidence vite balayée par Jack Lang qui se joue de l’intemporalité pour saluer le travail monumental de Frédéric Martel. Pendant plusieurs mois, l’auteur de Sodoma (enquête au cœur du Vatican NDLR) s’est plongé dans les notes, les lettres et autres discours de l’ancien député-maire de Blois. De ces trouvailles, point réellement de démarche militante de l’ancien chargé de mission de la rue de Valois (1992-1993) mais des faits. Et au fil des courriers et mémos ministériels, l’apprêté du combat pour finaliser un projet, orienter une stratégie politique… apparaît en pleine lumière. Car sous couvert d’arguments techniques et financiers, ils sont légion à vouloir torpiller dès le 1er septennat les réalisations culturelles. Et pas seulement les hommes de Bercy, qui voient déjà d’un très mauvais œil l’engagement du candidat Mitterrand de porter le budget de la Culture à 1%. Ou encore celui de les déloger de l’aile Richelieu du Louvre pour recréer le Grand Louvre en affectant le bâtiment tout entier au musée. Sans oublier la destruction du parking de la cour Napoléon, qui accueillera quelques années plus tard la fameuse pyramide de Pei.

Fondements culturels

Architecture, cinéma, télévision, musique, livre, peinture, mécénat… Tout est bon pour Jack Lang qui ne résume pas la politique des arts à quelques items et grands projets parisiens. Bien au contraire. Pour lui « tout est art ». Même celui de se vendre. Et il faut bien reconnaître qu’en levant le long délai de communicabilité de ses archives personnelles, l’ancien maire de Blois rappelle que la culture n’est pas que tropisme parisien. Il reprend pièce par pièce, comme Frédéric Martel dans cette « Révolution, culturelle » , les éléments phares de la politique culturelle, imaginée et imposée par François Mitterrand,  « homme de la rupture et de la continuité, ». Une énumération qui explique aussi pourquoi ses successeurs à la Culture ont tant de mal à tourner la page Lang. D’autant que l’homme, à 81 ans n’est toujours pas prêt à se retirer du jeu. «L’élection de Joe Biden à la Maison blanche me rappelle 81 », glisse l’ancien professeur de droits publics, qui poursuit ses correspondances et notes. Pour preuve, dans une nouvelle adresse au président Macron, il suggérait récemment l’idée d’un new deal culturel, à l’image de ceux de 58 ou 81 pour enjamber la crise sanitaire. ».

Z.C.