« La chambre des dupes », ce livre éblouissant figurait parmi les quatre ouvrages retenus pour la dernière liste du prix Goncourt 2020. La prestigieuse académie ne lui a pas accordé son prix, peut être parce qu’elle ne l’a pas trouvé assez grand public. En effet il faut être attiré par l’histoire et aimer une langue française recherchée pour se plonger dans les cinq cents pages qui traitent d’une période assez courte, de 1741 à 1744, pendant laquelle Marie-Anne De Mailly-Nesle propulsée duchesse de Châteauroux est la favorite adorée d’un Louis XV dominé par son besoin effréné de sexe et prêt à beaucoup pour le satisfaire, un faible qui abandonne ses maîtresses dès qu’elles ne sont plus en état de le servir.
Marie-Anne de Nesle, Marquise de La Tournelle, Duchesse de Châteauroux (1717-1744) par Jean Marc Nattier Chateau de Versailles
Le souverain est alors un trentenaire qui commence à exercer sa propre manière de gouverner. Il est un roi peu intéressé par la vie politique. Déjà apparaissent l’inconduite de sa vie privée et les intrigues incessantes autour de ses favorites, ses velléités à gouverner seul doublées d’un manque de fermeté qui le conduisent à contourner secrètement ses ministres plutôt que d’imposer ses décisions.
Versailles siège de toutes les intrigues
L’auteur, Camille Pascal qui pour son premier roman, « L’été des quatre rois » a obtenu le prix du roman de l’Académie française ne se contente pas de décrire les amours du roi. De sa plume malicieuse et parfaitement documentée, il restitue pour son lecteur le quotidien de la vie de cour à Versailles éblouissante mais fétide et tortueux marigot. Pour obtenir une place au service du roi , de la reine, du dauphin ou de la dauphine ce qui permet de disposer d’un appartement dans le palais et des revenus, les courtisans multiplient les alliances aussi vite conclues que défaites car le favori d’aujourd’hui peut devenir l’exilé du lendemain.
Toujours avec l’humour qu’on lui connaît et d’exquises pirouettes à l’intérieur des phrases, celui qui fut un temps la plume du Nicolas Sarkozy alors chef de l’Etat, et qui est maintenant membre du Conseil d’Etat enrobe l’ascension fulgurante de Marie-Anne de Mailly-Nesle dans la magnificence et les petitesses de ce palais, dépeint à tous les étages y compris celui des femmes de chambre et des marmitons, sans oublier ce qu’est à proprement dit la maison du roi avec ses gardes, ses régiments, ses services, ses rites.
Après deux sœurs aînées, cette belle ambitieuse devient l’objet de la passion royale. Avec le soutien de son oncle, le maréchal de Richelieu, habile roué, impénitent libertin, elle se hisse à la position de toute puissante favorite suscitant craintes et jalousies chez les courtisans et la haine du peuple. Se mêlant de politique, elle pousse le roi dans la guerre de la succession d’Autriche. Elle le rejoint à Metz où il dirige les mouvements militaires et où l’adultère royal devenu public fait scandale.
L’humiliation de Netz
A Metz, le souverain tombe malade et on le croit à l’article de la mort. L’église en profite pour l’obliger à se repentir publiquement. Au XVIIIe siècle, on craint encore beaucoup l’au-delà, la damnation et la vindicte divine. Les hommes d’église exercent un véritable pouvoir sur les âmes, fussent-elles royales. C’est la chute d’une favorite mais aussi l’affaiblissement de l’image monarchique. L’humiliation publique de Louis XV exigée par le parti dévot motivera la haine du souverain envers les jésuites.
Elégant, brillant, admirablement documenté, ce roman unique en son genre impressionne par la justesse de son analyse du pouvoir à un moment bien déterminé de notre histoire et par la qualité de son écriture. On entre tout à fait dans les mœurs, l’esprit et la langue de l’époque.
Françoise Cariès
“La chambre des dupes”
Camille Pascal Plon 508 pages, 22euros