La vaccination est la priorité dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19. Les aléas d’approvisionnement puis la crainte de risques sérieux pour l’un des vaccins ont entravé la campagne vaccinale. L’apparition de variants du virus Sars-Cov 2 inquiète. Eclairages avec le Docteur Briand* responsable des rubriques santé à Magcentre.
Était-il bien nécessaire d’interrompre les injections du vaccin d’AstraZeneca ?
Jean-Paul Briand : Oui, au regard des incertitudes sur de possibles effets secondaires graves qui devaient être levées. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) s’est prononcée pour dire que ce vaccin était sûr et efficace. Cet avis a été confirmé par l’Agence européenne des médicaments (AEM), dont la France suit les avis. Par ailleurs, ce vaccin vient de démontrer qu’il était efficace à 80% pour les formes symptomatiques et à 100% pour les formes graves chez les séniors. La Haute Autorité de Santé (HAS) l’a désormais recommandé pour les plus de 55 ans.
Beaucoup de scientifiques estimaient qu’il n’y avait pas lieu d’arrêter l’utilisation du vaccin d’AstraZeneca car le risque, même avéré, était infime. Qu’en pensez-vous ?
J-P.B. : La mesure de suspension n’était pas une décision scientifique mais un choix politique gouvernemental. Il a été fait au nom du « principe de précaution » et dans l’attente de l’avis de l’AEM. Il existait un possible sur-risque de thrombophlébite cérébrale (TVC) et de coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) chez les plus jeunes. Ces risques d’induire des thromboses sont très faibles rapportés au nombre de vaccinations. Il y a eu 17 millions de doses injectées du vaccin incriminé et 37 accidents thrombotiques constatés. Lorsqu’un vaccin est administré à des millions de personnes, il est obligé que certains événements négatifs, qui se seraient produits de toutes façons, soient observés. En admettant que le vaccin fût l’unique cause, ce qui n’est pas le cas, il n’y aurait qu’un accident thromboembolique sur 460 000 vaccinations. A titre d’exemple, sur 100 000 femmes, utilisant une contraception oestroprogestative pendant un an, 60 évènements cardiovasculaires graves sont observés. Le bénéfice du vaccin reste bien supérieur au risque mortel que fait courir le Sars-Cov 2. Malheureusement, cet évènement a ralenti la montée en charge de la vaccination.
Cet incident ne va-t-il pas donner des arguments supplémentaires aux anti vaccins ?
J-P.B. : Les personnes qui militent contre la vaccination sont des convaincus dogmatiques. Leur rejet des vaccins n’est pas basé sur la raison mais appartient aux domaines des croyances ou de la suspicion systématique du discours scientifique . La suspension momentanée de l’utilisation du vaccin d’AstraZeneca est la preuve du sérieux des mesures de sécurité vaccinale et de l’extrême prudence des décideurs politiques. Tous les traitements efficaces ont des effets secondaires, parfois redoutables. Ils nécessitent une pharmacovigilance constante et ont des indications, comme des contre-indications, strictes. C’est la balance entre le bénéfice espéré et les risques encourus qui justifie médicalement leurs usages. Aujourd’hui, la préoccupation essentielle n’est pas la croisade déraisonnable des anti vaccins, arguant de leurs éventuels effets secondaires nocifs mais les variants du Sars-Cov 2.
“Chaque semaine, de nombreuses mutations et de nouvelles lignées virales du Sars-Cov 2 sont observées, que ce soit au Royaume-Uni, Brésil, Etats Unis, Afrique du Sud, France (Bretagne) et dans de nombreux autres pays…”
Alors la véritable inquiétude ne serait-elle pas de savoir si ces mutations successives suppriment l’immunité ?
J-P.B. : Effectivement, c’est actuellement la crainte à avoir. Le Sars-Cov 2 est un virus dont le génome est composé d’un seul filament d’ARN qui peut coder 9 860 acides aminés, conduisant à la production de 20 protéines dont la protéine Spike. Or la réplication des virus à ARN n’est jamais fiable et des mutations se produisent constamment. On observe ainsi des délétions (un acide aminé disparaît), des insertions (un nouvel acide aminé est introduit dans la protéine), des duplications (un acide aminé est anormalement répété) ou des substitutions (un acide aminé en remplace un autre). Dans le cas du Sars-Cov 2, ce sont essentiellement des substitutions. Chaque semaine, de nombreuses mutations et de nouvelles lignées virales du Sars-Cov 2 sont observées, que ce soit au Royaume-Uni, Brésil, Etats Unis, Afrique du Sud, France (Bretagne) et dans de nombreux autres pays… Or, sa protéine Spike (protéine S) est particulièrement importante. C’est elle qui fixe le virus aux cellules pour qu’il puisse y pénétrer puis se répliquer. Lorsque des mutations portent sur la protéine S, il est toujours à craindre qu’un groupe de Sars-Cov 2 ainsi modifié, ayant des caractéristiques annulant l’immunité naturelle ou vaccinale, s’échappe. Si cette crainte se réalisait, les vaccins, qui cherchent à neutraliser la protéine S, perdraient de leur efficacité.
Est-ce le cas avec les vaccins actuellement en cours ?
J-P.B. : C’est possible mais pas certain. A ce jour de très nombreuses incertitudes demeurent concernant les conséquences réelles des variants sur l’évolution de la pandémie et sur l’efficacité des vaccins actuels. Les scientifiques vérifient constamment si l’immunité naturelle obtenue après l’infection ou celle issue de la vaccination sont efficaces vis à vis des mutations. Le séquençage systématique des génomes permet d’identifier et de suivre les nouveaux variants qui circulent. Comme pour le virus de la grippe, des versions des vaccins actuels, adaptées aux protéines des nouvelles lignées sont en cours d’étude. Par ailleurs des chercheurs appellent à travailler sur un vaccin universel efficace contre tous les variants possibles.
Les vaccins sont-ils la seule stratégie pour combattre l’épidémie?
J-P.B. : L’émergence de nouvelles souches virales se poursuivra tant que durera la propagation du Sars-Cov 2, principalement en zones urbaines où sa transmission est plus facile. Les mesures de protection individuelles et collectives (porter correctement les masques, tousser et éternuer dans le pli du coude, utiliser des mouchoirs jetables et les jeter après utilisation, limiter les contacts, ne pas se serrer la main ou se faire la bise, se laver fréquemment les mains au savon) sont toujours aussi essentielles, avec la vaccination et le dépistage.
Le 15 mars dernier l’HAS a autorisé les tests antigéniques dont certains ont été étudiés dans les hôpitaux de la région Centre Val de Loire. Dans la foulée, le Professeur Jérôme Salomon, Directeur Général de la Santé, a annoncé le lancement des autotests. Pourquoi ne pas envisager d’envoyer au domicile des personnes à risque ou non immunisées, chaque semaine, par la Poste, ces autotests ? Une équipe de chercheurs de Harvard et de la Yale University a d’ailleurs démontré que les tests antigéniques à domicile pourraient éviter des millions d’infections pour un coût minime, comparé aux conséquences humaines et financières d’une hospitalisation. Ce serait un moyen utile et efficace de se détecter puis de s’auto-confiner si nécessaire, afin de stopper les chaines de contamination.
Propos recueillis par Estelle Boutheloup
*Ni virologue ni expert en épidémiologie, le Docteur Jean-Paul Briand construit ses propos à partir de ses lectures de textes scientifiques et de ses souvenirs de faculté de médecine