Les masques, puis les tests… Et maintenant la vaccination. La pandémie de Covid-19 n’a de cesse de nous placer face à nos limites, nos incohérences. Il y a bien eu, certes, l’exploit scientifique de créer un vaccin en quelques mois. Mais, cette fois, c’est la stratégie politique qui ne suit pas et peine à mettre à disposition les précieuses fioles.
Les salles municipales de 16 communes du Loiret se sont transformées en vaccinodrome pour 960 administrés de 75 ans et plus. Photo Elodie Cerqueira
« On a tout faut depuis le départ : les masques, on n’en avait pas, on s’est fait surprendre, n’importe quel gouvernement se serait fait surprendre, soit ! Après les tests on s’est fait avoir ! Maintenant les vaccins, ça ne marche pas… donc on a un problème de stratégie ! » A l’entrée de la salle polyvalente de Beaune-la-Rolande (Loiret), monsieur le maire, Michel Masson, peine à dissimuler son amertume.
Pourtant, ce 4 mars est une belle journée pour sa commune : une journée pendant laquelle 60 personnes auront tout de même pu recevoir une première dose de vaccin, dans la salle municipale, transformée pour l’occasion en vaccinodrome par le Conseil départemental du Loiret. Grâce au « Centre de vaccination itinérant », un groupe d’agents (un médecin, deux infirmières et du personnel administratif) mobilisé par le Département, donc, et qui, au 15 mars, a déjà administré 960 doses de Pfizer à des administrés de 75 ans et plus, dans 16 communes rurales du Loiret.
Une initiative pionnière en France, pour tâcher de compenser une stratégie vaccinale gouvernementale que d’aucuns jugent lacunaire vis-à-vis des habitants des plus petites communes. « Ici, c’est 60 personnes qui seront vaccinées et c’est déjà ça, se rassure l’édile. Ce centre de vaccination itinérant, c’est la bonne idée. Ici, dans notre salle communale, il y a de l’espace donc pas de risque de contamination. » Et de relever malgré tout : « Nous qui sommes sur le terrain, nous n’en devons pas moins gérer l’immense frustration des gens, car, sur une commune comme Beaune-La-Rolande, il va y avoir 60 vaccinés, certes, mais sur 400 prétendants éligibles, de plus de 75 ans. »
Michel Masson, maire de Beaune-la-Rolande (Loiret) salue l’initiative du Conseil départemental du Loiret : la mise en place d’un centre de vaccination itinérant permettant la vaccination de 60 de ses administrés de 75 ans et plus. Photo Elodie Cerqueira
Cette situation de pénurie, les communes rurales comme le pays tout entier la vivent en écho à bien d’autres qui l’ont précédée. Il y a un an, en effet, le gouvernement nous assurait de l’inutilité du port du masque ; mais on sait aujourd’hui que ce commandement était essentiellement lié aux stocks insuffisants qui ne permettaient pas de doter l’ensemble de la population. Déjà, à l’époque, il aura fallu des initiatives et des actions locales, tant des collectivités que des petites mains volontaires, pour que les Français puissent au plus vite bénéficier d’un masque, fusse-t-il en tissu, bricolé et non normé. Oui, tout était alors autorisé ! Puis, les stocks gonflés à bloc, il est devenu obligatoire, presque partout, mais plus en tissu ! Il ne serait finalement pas efficace…
Puis est arrivée l’heure de tester, pour tracer et éventuellement isoler. Mais, là encore, pénurie. Une fois de plus il aura fallu des semaines pour que les tests arrivent en nombre suffisant sur le territoire français et que se mette en place une campagne généralisée de dépistage. Fin 2020, l’arrivée du vaccin a nourri les espoirs les plus fous de mettre un terme à cette succession de confinements, déconfinements, couvre-feu… Début janvier, Olivier Véran, ministre de la Santé et des Solidarités, annonçait même une campagne ambitieuse de vaccination… Jusqu’à ce qu’encore une fois, la pénurie ne vienne contrarier l’agenda.
La pénurie et – peut-être aussi – la non prise en compte de certaines difficultés de terrain et, notamment, la question des territoires ruraux, dont les habitants de plus de 75 ans, comme les autres parfois, ne sont pas tous susceptibles de se déplacer vers de grands centres urbains de vaccination. Et dont les médecins et pharmaciens, quand il y en a, ne peuvent pas nécessairement assurer les injections. Ce que relève Michel Masson : « Les gens qui sont en campagne, ils n’ont pas moins de droits que les autres et, de facto, ils sont défavorisés… Ils n’ont pas de médecin, ils n’ont pas de transports en commun… Et maintenant, on ne leur donne pas de vaccin. »
Jacqueline, 92 ans, faire partie des 60 élus de la commune de Beaune-la-Rolande à recevoir la première dose de vaccin le 4 mars 2021. Elle est d’abord reçu par un médecin (de la PMI), ici la pédiatre Dr Esmain, pour un questionnaire de santé. Photo Elodie Cerqueira
Ce n’est certainement pas Jacqueline, 92 ans, qui va contredire le maire. « Je trouve que c’est déjà très tardif, car il y a longtemps que je réclamais cela. A Pithiviers je pouvais y aller, mais on m’a dit que je n’étais pas éligible ! » Après un échange avec le Dr Esmain, pédiatre à la PMI, pour un questionnaire de santé, puis l’injection avec une infirmière (de la PMI elle aussi) réquisitionnée pour l’occasion, Jacqueline commente : « On sent rien, c’est formidable ! (rires) Après avoir attendu si longtemps, je fais partie des privilégiés, il y a des gens qui n’ont pas été convoqués parce qu’il n’y pas assez de vaccins. Mais on ne peut pas mettre un peu plus d’argent sur la table ou quoi ? Si vous mettez de l’argent sur la table, comme en Amérique, vous êtes servis ! »
Didier Roch, directeur délégué de la gestion de crise du conseil départemental du Loiret, en dit plus sur cette stratégie « palliative » mise en place avec le concours de l’Agence régionale de santé : « L’ARS nous a alloué 10 doses par jour, soit 60 vaccins. Avec cela, nous pouvons ouvrir un centre de vaccination différent chaque jour et vacciner les gens au plus près du terrain. » Marie-Pierre Le Men, responsable des musées de Lorris et de Gien, est devenue le chef d’orchestre de cette opération : « Au fil de l’expérience on a optimisé les emplacements pour que ce soit plus pratique pour les gens qui viennent, qui sont quand même très âgées, on limite et on facilite le déplacement des personnes entre chaque point, on évite qu’ils fassent trop de pas. Au début c’était très intense, ça m’a un peu empêché de dormir mais c’est une très belle aventure. Maintenant, on a l’expertise et les communes aussi. » Les équipes sont désormais parfaitement au point pour aborder dès ce 16 mars, une nouvelle itinérance d’un mois pour la deuxième injection.
Une méthode empirique efficace, qui contraste avec les recommandations parfois assez théoriques issues des différentes instances nationales en charge de la gestion de la pandémie. Que ce soit, finalement, en matière de masques, de tests… et finalement aujourd’hui, en matière de vaccination.
Elodie Cerqueira