La journée internationale des droits des femmes a conduit Magcentre sur le chemin de la rencontre avec des personnes qui déclinent leur art au féminin. En matière de musique, y a-t-il des nuances, des particularités à l’exercice de fonctions d’encadrement lorsqu’on est une femme ? Chercher à tous crins une résonance de genre sur la fonction n’est pas notre propos mais laissons la parole à Elisabeth Renault, qui assure, au sein conservatoire d’Orléans, la direction du grand chœur symphonique, de l’ensemble vocal, du chœur de jeunes, ainsi que la classe de direction de chœur.
Quel est votre parcours ?
Elisabeth Renault : Je suis issue d’une famille de musiciens, dans une fratrie de cinq filles qui ont toutes fait du piano. Dommage que nos parents n’aient pas diversifié les instruments, on aurait pu faire un quintette ! (rires) J’ai commencé mes études à Poitiers (piano, musicologie), puis j’ai rejoint le Conservatoire National de Musique de Lyon où j’ai rencontré de grandes pointures du monde musical, notamment Bernard Tetu qui dirigeait le chœur universitaire. Je suis devenue son assistante. Avec mes diplômes en piano (Diplôme d’Etat d’accompagnement de chœur) et en direction (Concours d’Aptitude national) j’ai plongé dans l’univers de la direction du chœur. J’adore le grand chœur symphonique, son répertoire, ses potentialités…
Après quatre ans d’exercice à Lyon, je suis allée à Brive puis j’ai répondu à une annonce au conservatoire d’Orléans. J’ai été recrutée par Jean-Marc Cochereau en 2003.
Quelles sont vos fonctions au conservatoire ?
E.R. : Actuellement, je suis en responsabilité de trois formations, chacune ayant son registre et ses caractéristiques. Le grand chœur, c’est l’attrait du répertoire, le chœur de jeunes, ce sont des voix fraîches, un « terreau magnifique », l’ensemble vocal, c’est de la dentelle, de belles qualités vocales qui me permettent des choix parfois osés, la classe de direction, avec la diversité des profils, m’entraîne vers une approche pédagogique très individualisée. J’ai longtemps dirigé le chœur d’enfants, c’était une autre approche, exigeante et spécifique, mais travaillant à 80 %, j’ai passé la main à Emilie Legroux-Germond.
Quelle est la marge de manœuvre d’une cheffe de chœur dans une institution comme le conservatoire ?
E.R. : Le conservatoire, c’est un monde de 80 professeurs, avec une structure administrative qui peut parfois être lourde. Il n’y a pas particulièrement de machisme mais des personnalités très fortes. Je m’y sens à ma place, avec mon expertise et la légitimité de ma fonction. Dans la programmation, je peux être force de proposition, avec les limites budgétaires qui ne m’appartiennent pas.
Comment travaillez-vous avec le chef d’orchestre, quels sont les rôles respectifs ?
E.R. : Ça n’est pas le même métier. Je prépare le chœur en amont, il dirige l’œuvre intégrale. En répétitions tutti, je suis un peu la troisième oreille, je prends des notes et donne les derniers conseils lors de la répétition intermédiaire. Marius Stieghorst est impressionnant, mais nous avons une très bonne collaboration. Je suis considérée avec ma spécificité. La partition, c’est un écrin. Pour accéder au bijou, il faut la clé. La mienne est la technique et la connaissance du chœur, les voix, le texte, la respiration, les appuis… Quand approche le concert, j’ai le sentiment d’avoir abouti, de livrer « la Mercédès clés en mains » (rires) Et l’intelligence, c’est de s’adapter l’un à l’autre.
Votre condition féminine a-t-elle un impact particulier dans l’exercice de votre profession ?
E.R. : Globalement non, mais je pense avoir une sensibilité particulière, apporter une touche personnelle. Cela dit, je ne me suis jamais posé la question de la légitimité en tant que femme mais plus sur des qualités professionnelles d’expertise. Mon expérience de pianiste/accompagnatrice fait partie de mes spécificités.
Pour vous diriger c’est…
E.R. : (court silence) Diriger, c’est voyager, en bonne compagnie, aller à la rencontre d’un compositeur. Le concert, c’est un moment de grâce, une parenthèse dans la vie quotidienne tumultueuse. Préparer le chœur, c’est cheminer le plus loin possible dans la musique, surtout ne pas figer, laisser agir le plaisir, aller jusqu’à la félicité, la plénitude.
Sur ces derniers mots, le regard d’Elisabeth Renault s’évade. La nostalgie de la période avant covid est grande et l’on sent remonter les souvenirs des concerts prestigieux qui faisaient la part belle à Bach, Puccini, Bernstein, Carl Orff.
Sans revendication ni drapeau, presque à son insu, par la seule force de sa présence, de son engagement et de son authenticité, Elisabeth Renault fait partie de celles qui, tranquillement mais sûrement, font avancer la cause des femmes.
Propos recueillis par Anne-Cécile Chapuis