Faut-il bûcher pour être essentielles ?

[Billet] Si les femmes qui lisent sont dangereuses, que dire de celles qui écrivent ? Et d’autres qui vendent leurs ouvrages ? Par sainte Nitouche et saint Pansard, alors que les librairies sont enfin devenues des commerces essentiels, l’édition 2021 du Festiv’elles de la métropole orléanaise pâti du couvre-feu. Au temps de la Renaissance, quelques sorcières et autres humanistes auraient pu ainsi éviter le bûcher.

Le féminin, c’est le moins. Le féminin, c’est l’invisible. Le féminin est peut-être le secret caché dans le coffre-fort qu’est le corps de la femme“. Dans son dernier ouvrage, Laure Adler n’est pas tendre pour nous raconter “Le corps des femmes” à travers le regard des artistes, majoritairement masculins, au fil du temps. ” Ce qu’ils ont voulu faire de nous“.

Bing ! Pauvre Néo Triboulet qui s’est pris la remarque en pleine grimace, et l’ouvrage avec, lancé d’une maîtresse main par son impertinente jumelle. Une sorte de double très peiné qui ne lui a pas laissé placé un mot. “Avec son bouquin, Laure Adler a fait de l’or. Toi, tu en feras un billet“, m’a-t-elle imposé, en me tendant une plume devenue d’un coup très lourde à soulever, plombant la légèreté de ma verve habituelle. Excusez-moi, mes seigneurs. La farce est cruelle.

Pensez-donc. L’ouvrage, déjà épuisé fin décembre, vient tout juste de revenir dans les librairies qui, heureux hasard, sont désormais reconnues “commerce essentiel“. L’impétrante va s’empresser d’aller y acquérir d’autres beaux ouvrages de la dame, tels “Les femmes qui lisent sont de plus en plus dangereuses“, ou “Les femmes qui écrivent vivent dangereusement“. Les femmes qui écrivent, par exemple, engagées dans des spectacles déprogrammés pour cause de covid 19, tels ceux prévus en métropole orléanaise dès ce 8 mars dans le cadre du Festiv’Elles 2021. Alors que Saint Denis en Val était venue rejoindre les rangs des plus de 10 autres communes participantes. Il y a de quoi en faire plusieurs livres, au poids inégalé.

Allais-je en rester là ? Que nenni. Ma sorcière bien aimée avait d’autres atours dans sa manche. “Même à la Renaissance, les femmes aimées l’étaient moins pour leur esprit que pour leur corps, que ces messieurs disaient “honorer” surtout pour vérifier leur capacité à assurer une descendance. Et François 1er avait un beau tableau d’honneur, ma foi“. Certes. Et, me rappelle une petite voix maligne, l’amour de la beauté n’empêchait pas la cruauté. Les sorcières, aujourd’hui réhabilitées, notamment par Mona Chollet, y étaient aussi emmenées au bûcher, comme les libraires, le rappela Michel Zévaco dans… Triboulet (!). A Paris, en 1546, Place Maubert, « on a brûlé un homme parce qu’il aimait ses frères et prêchait l’indulgence et proclamait le bienfait de la science. Cela se passait du temps où il y avait des rois comme François et des saints comme Ignace de Loyola ». Brûlée avec ses livres, la victime de cet autodafé était l’orléanais Etienne Dolet. Maintenant, pour faire la même chose, les sociopathes ont leurs réseaux.

Allez, à bientôt, mes cousines. En ce lundi 8 mars, comme tous les jours, ce n’est pas sorcier de montrer que vous êtes essentielles. Vous en brûlez d’envie.

Néo Triboulet

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