Massifier l’habitat et développer l’activité économique dans les communes tout en préservant la nature : possible ? Charte de l’arbre, label d’engagement pour la nature, Plan Local d’Urbanisme (PLU), Plan Climat Air-Energie Territorial (PCAET), Plan d’Aménagement et de Développement Durables (PADD), Schéma de Cohérence Territorial (SCoT)… sont toujours pavés de bonnes intentions à l’égard de l’environnement. Mais les équilibres sont fragiles et tournent souvent à l’avantage des promoteurs. Face aux incohérences et à un ras-le-bol général, des collectifs citoyens de la métropole orléanaise et plus ont choisi de monter au créneau pour sauver de l’abattage des parcelles boisées ou forestières destinées à des programmes immobiliers. Pot de terre contre pot de fer ?
Coupe d’arbres pour laisser place au futur projet de construction d’une résidence face Loire dans el quartier Pasteur à Saint Jean de Braye. ©EB
« Maire ou promoteur ? ». À Ardon, la question fuse comme un boulet de canon de la part du collectif (bientôt constitué) de riverains et de commerçants de Limère et de La Bollière plus remontés que jamais. Dans un secteur très boisé, à l’entrée de la Sologne, « La Commune a signé un arrêté, en date du 5 janvier 2021, autorisant un Permis d’aménager sur une parcelle de 7,5 ha (entre IKEA et le Golf de Limère) pour la création d’une zone d’activité commerciale de 9.999m2, et un déboisement de 4 hectares. (…). Ce projet n’a fait l’objet d’aucune études d’impact environnementale, de biodiversité, ou économique pour la création de ces cellules commerciales », décrit la pétition sur change.org.
Abattre pour bétonner : un véritable non sens pour ce collectif (mais pour bien d’autres !), à l’heure où les sociétés doivent relever les défis de la transition écologique, avec notamment l’objectif du ZAN (Zéro artificialisation nette), inscrit par l’État comme l’un des objectifs du Plan biodiversité.
« Ce n’est pas le maire qui décide »
« On va créer ici une zone commerciale déguisée, lâche un membre du collectif, alors même que le secteur est considéré par le SCoT comme une barrière végétale à conserver. Le maire n’entend que le rapport de force. On nous dit que l’on veut rester dans notre ghetto protégé… C’est faux ! Développer la commune de façon maîtrisée oui mais accepter d’artificialiser 100% de la parcelle, c’est inacceptable ».
Le Golf de Limère avec au fond les terrains où serait implantée la Zone Commerciale. ©CollectifArdon
Située au nord de Limère, cette ZAC concernée est, selon le PLU, découpée en trois parties : habitat (allée de Limère), loisirs (Golf, Balnéades, hôtel) et activités économiques tertiaires et commerciales, « là où une zone restante est à commercialisée », indique Jean-Paul Roche, maire d’Ardon. Soit 7,5 ha. « Ce sont les services de l’État qui ont donné l’autorisation du déboisement le 21 août 2020 et du défrichement. Ces mêmes services n’ont pas jugé nécessaire de faire une étude d’impact sur la biodiversité. Tous les signaux étaient au vert. Ce n’est pas le maire qui décide. S’il y avait une opposition alors que la loi est respectée, le maire se mettrait en situation conflictuelle avec l’aménageur qui pourrait aller au contentieux. Je regrette seulement que cet arrêté du Préfet n’ait pas été contesté dès le mois d’août et que le collectif ne soit pas venu me voir », poursuit l’élu qui souhaite une rencontre avec l’aménageur et le collectif pour expliquer clairement le projet dont un permis de construire, en cours d’instruction, qui a été déposé pour accueillir la concession Porsche d’Olivet qui souhaite s’agrandir. « Cette bande de 7,5 ha appartenait au Département qui a choisi de la céder, ayant vu sa compétence économique transférer aux Com’Com avec la loi NOTRe… On ne peut pas rentrer tout le monde dans les métropoles et faire que des Dolines, il faut bien aussi créer des emplois ! ».
Partie de Monopoly
Des scénarios comme celui-ci, il y a en a beaucoup. Et le nombre de collectifs qui fleurit pour s’opposer à des projets immobiliers semble se multiplier dans la métropole d’Orléans. « D’un projet complètement idiot, on va faire un beau parc, explique Joseph Gimenez du collectif du Sanitas. Pour la petite histoire, en mai 2019, des riverains s’opposent à la construction de deux immeubles dans le quartier Madeleine à Orléans, et sauvent des arbres remarquables et centenaires de l’abattage. « Serge Grouard était pour arrêter ce projet. Ce qui a été validé au premier Conseil municipal. Ce parc fera 2 ha et sera l’un des plus grands d’Orléans. C’est important d’avoir une qualité de vie près de chez soi. Pour le Groupe 3 du GIEC, il faut densifier les villes pour préserver les terres agricoles mais plus les gens sont dans le béton, plus ils ont envie d’en sortir ! »
Mais pour densifier les villes, encore faut-il avoir du terrain. C’est l’aventure perpétuelle des promoteurs à l’affût des moindres parcelles mises en vente, la plupart du temps par des propriétaires privés en quête d’un jackpot foncier.
À Saint Jean de Braye, d’autres collectifs sont en croisade. Après le collectif Saint Loup qui a pétitionné fin 2020 pour sauvegarder un ensemble arboré de 3000 m2 où des arbres centenaires servent d’écrin à une bâtisse bourgeoise au 150 faubourg de Bourgogne, c’est au tour du collectif Péguy Pasteur. Plus haut, le 104 bis avenue Charles Péguy a le bon goût d’offrir une vue imprenable sur le canal d’Orléans et la Loire. Idéal pour un nouveau projet de résidence R+2 de 10/15 logements sur 2.600 m2 avec un parking qui arriverait juste au pied de la terrasse d’un riverain : « l’aménageur nous a même proposé de racheter éventuellement nos parcelles ! ». Fin novembre 2020, le propriétaire y fait abattre des arbres. « La nature qu’on détruit, c’est un îlot de fraîcheur en moins !, s’insurge l’une des résidentes montrant un courrier de Jean-Paul Imbault, adjoint au maire en charge de la Ville Jardin de la biodiversité à Orléans Métropole, précisant que « le maire m’a toutefois signalé que s’ils avaient su plutôt, les choses auraient été bloquées car la ville possède une ‘Charte de l’arbre’ qui permet de protéger les arbres ». Ajoutant pour terminer que « l’abattage a dû se faire dans la clandestinité »…
Dans cette magnifique propriété de Saint Jean de Braye, bientôt un cœur d’îlot ? ©CollectifSaintLoup/Ch.B
Un arbre ne fait pas partie d’un Espace boisé classé (EBC), il n’est pas situé à moins de 500 m d’un bâtiment classé ? Alors son propriétaire a le droit d’en faire ce qu’il veut à moins que des mesures précises au Plan local d’urbanisme (PLU) ou au Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI) lui en interdisent. « Nous sommes en passage du PLU en PLUM*. Il y a des failles et des choses sont à faire évoluer, avoue Franck Fradin (EELV), adjoint délégué à l’agriculture et au patrimoine naturel et bâti à la mairie de Saint Jean de Braye : divisions de terrain, construction en 2e et 3e ligne, imposer des replantations pleine terre, faire des cœurs d’îlot – le 105 faubourg de Bourgogne pourrait en être un sur une partie –, passer des terrains en zone naturelle ou en bois classé… Le PLU actuel a recensé 80 arbres remarquables sur des espaces publics et privés, nous comptons aller à 100 ».
La justice saisie à Saint Cyr-en-Val
L’incompréhension et la colère ont aussi gagné Saint Cyr-en-Val où fin 2018 début 2019, la commune lance un projet de création d’un futur éco-quartier avec 266 logements (terrains à bâtir, logements à location sociale…), « La croix des Vallées », sur le domaine de Morchène. « 28 ha de forêt vont être rasés. Une enquête d’utilité publique a été lancée mais de façon très confidentielle, explique un représentant de l’association VHVS45 (Vivre Harmonieusement entre Val et Sologne). Plus de 750 signatures ont été rassemblées sur une pétition pour obtenir un référendum et un débat : la mairie s’est assis dessus ! ». Qu’à cela ne tienne, l’association lance alors mi 2019 un recours en justice pour mettre fin au projet. « Une commune qui compte déjà 3000 habitants va passer à environ 4000 ! Nous ne sommes pas contre l’agrandissement de la commune mais plus intelligemment. Cela va générer des problèmes de circulation et d’inondation : nous ne sommes pas en zone inondable mais des études hydrologiques montrent qu’il y a des zones de rétention d’eau qui créeront des mares autour des maisons… ».
Un nouveau PLUM pour la Métropole orléanaise
Forcément, nous ne pourrons pas faire ici le tour de la question. Ni le tour des maires, ni des aménageurs pressés de boucler leurs projets avant que la RE 2020 en application à l’été ne les contraignent à intégrer des performances énergétiques dans leurs constructions, et encore moins des collectifs qui, face à un sentiment d’abandon et de mépris, n’ont d’autres choix que d’aller au rapport de force pour pointer le non sens et l’incohérence politique et économique face aux enjeux écologiques présents (Cf. le combat judiciaire du Collectif « Gien, Sauvons les platanes ci-dessous). Mais ces frondes traduisent une réelle prise de conscience et une volonté citoyenne de faire bouger les lignes et d’inciter les communes à ce changement de paradigme. Les politiques, conscients pour certains, l’ont bien compris, adaptant leur PLU. Celui de la métropole d’Orléans, le PLUM en cours d’élaboration, va évoluer. Une concertation en mars est d’ailleurs prévue en fonction des conditions sanitaires, avant un arrêt de projet d’ici l’été, une enquête publique à la rentrée et, enfin, une approbation courant le premier trimestre 2022.
« Ce PLUM développe actuellement plusieurs outils permettant de valoriser et de préserver les espaces naturels en milieux urbains afin d’organiser un développement durable du territoire et de préserver la qualité de vie des habitants », nous fait savoir la Métropole. Parmi lesquels : « l’identification sur les plans de zonage de « prescriptions paysagères » au nombre de 10 : cœurs d’îlots, franges agricoles, parcs et jardins, arbres remarquables… et interdisant les construction nouvelles ». À noter qu’à ce jour 1 100 ha seraient préservés en zone urbaine : 657 cœurs d’îlot (187 ha), plus de 880 arbres protégés ou encore 468 franges paysagère ou agricole (394 ha). Le PLUM prévoit aussi « la mise en place de coefficients de pleine terre : une part de chaque parcelle qui ne peut être imperméabilisée et la mise en place d’un coefficient de biotope sur les secteurs les plus urbains. Une obligation de plantation d’arbres à compter de 150 m² d’espace libre dans les zones résidentielles et une obligation de plantation d’arbre tous les 4 places de stationnement pour les parcs aériens de stationnement ; ou encore un travail sur la fonctionnalité écologique des espaces de nature au travers d’une orientation d’aménagement et de programmation ‘trame verte et bleue’ ».
Espérons que la protection de l’environnement prime un peu plus sur l’intérêt économique.
* PLUM (Plan local d’urbanisme métropolitain).
Estelle Boutheloup
Photo de Une ©EB
Quel droit pour l’arbre ?
Valérie Cabanes, juriste en droit internationale, spécialisée dans les droits de l’homme et le droit humanitaire, écologiste et essayiste française (Un nouveau droit pour la terre, Ed. SEUIL 2016, et Homo Natura, Ed. Buchet Chastel 2017), nous répond.
Quel statut a un arbre ?
L’arbre est très peu protégé par notre droit. Ce n’est pas un sujet de droit et ne peut donc pas se défendre sur le rôle qu’il a à jouer. En 1977, il obtient un statut juridique par le Code de l’urbanisme et le Code forestier (Label Natura 2000…). Il est considéré comme un meuble ou une propriété, comme une chose, un patrimoine sur un terrain privé, un immeuble s’il jouxte un monument historique, et bénéfice alors de la même protection si le monument est lui-même classé. Les arbres vénérables très anciens (200-300 ans) doivent par ailleurs être inscrits au Plan d’urbanisme par les communes.
Quelles avancées y a t-il eu sur la protection des arbres ?
Dans le cadre de l’urbanisation, le collectif « Gien, Sauvons les platanes » a utilisé un article du Code de l’Environnement, le L 350-3, et a réussi à faire protéger un alignement d’arbres condamnés par le plan d’urbanisme de la ville. Cette décision inédite donnée par le Tribunal administratif d’Orléans le 10 octobre 2019 contre la mairie de Gien fait maintenant jurisprudence. Une première en France !
L’association A.R.B.R.E.S aussi est à l’origine de la Déclaration des droits de l’arbre proclamée le 5 avril 2019 à l’Assemblée Nationale. L’État s’est aussi engagé sur le zéro artificialisation des sols… Il ne faut pas hésiter à aller chercher les lois et prouver qu’une action est une ineptie, il faut y mettre plus que son plaisir personnel !