Des Floraisons: “C’était trop bon d’être sur scène et d’hurler en courant !”

Après avoir proposé au public avant les fêtes le “Cabaret Lèche vitrines” dans deux commerces de la cité, la Scène nationale d’Orléans continue, avec bonheur et passion, d’encourager et soutenir intra-muros le vivier de la création contemporaine. Du 6 au 9 janvier, à l’occasion d’un festival Des Floraisons en direction d’un public de professionnels, interlocuteurs nécessaires des jeunes créateurs et d’auteurs déjà confirmés, pas moins de neuf spectacles ont été à l’affiche.
François-Xavier Hauville, directeur de la Scène nationale d’Orléans, qui n’entend pas déroger dans le plus strict respect des contraintes sanitaire à sa mission : “En raison des conditions sanitaires actuelles, le public ne peut malheureusement pas assister aux spectacles du festival. Malgré cela, et parce qu’il est important que la culture vive et s’exprime, nous avons eu l’idée de poursuivre ce festival à huis clos et uniquement à destination des professionnels de la culture et des médias afin de permettre aux artistes de partager leur travail tout en se tournant vers l’avenir. Pour notre structure, il s’agit bien là de continuer à mettre en lumière des chorégraphes à l’énergie et la créativité débordante tout en confrontant les esthétiques, les genres, les styles mais aussi et surtout les expériences de vie.”

Vocabulaire baroque et matière vivante

Peaux Troisième Hymne © Alix Roulland


“Peaux”, est une chorégraphie, troisième hymne de Zoë De Sousa présenté le 8 janvier, sur la scène de la salle Antoine Vitez.  Une œuvre belle et touchante jouant de profonde manière avec le clair-obscur célébrant le corps au cœur d’une corolle de lambeaux de tissus, mues jonchant le plateau. De séquences en séquences, de pauses en éloquents assauts de tendresse, “Peaux” nous offre les corps à recueillir entre la paume de nos yeux, tels des présences ou des sentiments de vivre et de partir. Magnifique de lenteur, resplendissant de tension.
En clôture du festival, voici “Lou”, le 9 janvier, toujours salle Vitez, un nouveau portrait chorégraphique de Mikaël Phelippeau. Place ici à l’hymne lapidaire de la fusion du “vocabulaire baroque” et de la “matière vivante”. Il s’agit du portrait de Lou Cantor “dans son rapport à la danse baroque” poursuit le chorégraphe avec attention et enthousiasme. Voici un spectacle ciselé comme de la dentelle initiée par le projet Fabrique des écritures de la compagnie de Béatrice Massin qui, depuis trente ans, donne une dimension contemporaine à la danse baroque. A noter que cette dernière envisage de passer commande, dans l’avenir, aux chorégraphes Gaëlle Bourges et peut-être à Maud Le Pladec, actuelle directrice du Centre chorégraphique national d’Orléans. 
Ce samedi, sur la scène de la salle Antoine Vitez, Lou Cantor, arrivée de manière impromptue s’emploie à tracer sur le sol une carte imaginaire aux itinéraires déroutants, un miroir de son corps dansant, une toile invisible. Son chemin dansant. Très vite une voix s’élève contre ce regard que l’on pourrait porter sur une danse “poussiéreuse, sophistiquée, maniériste” et évoque “le plaisir à la ressentir en tant qu’interprète”. 

“Heureusement que des lieux se mouillent”

Sur des extraits des “Folies d’Espagne”,  de Lully, essence de la musique baroque du XVIIe, mais aussi sur des variations sur un thème de Corelli, de Rachmaninov, Lou Cantor donne de manière gracieuse la beauté du “pas grave” et de l’offrande du “poignet dessus”. Un court instant, Béatrice Massin rejoint sa fille sur scène pour quelques pas et gestes d’une radieuse harmonie.  Dans “Lou”, tout ne dure que trente minutes et réclame une précision de chaque instant sans que ne se perde une once de légèreté et de vigueur. Lou Cantor : “J’étais très impressionnée à l’idée de savoir qu’une pièce m’était consacrée. C’était très intimidant mais nous avons très vite déjoué tout cela et le solo est devenu une pièce en soi”. Et la danseuse de poursuivre :  Les intonation et les mots ont été rigoureusement choisis, pesés, de même que les temps d’attente entre chaque variation, c’est grâce à cela que je ne me suis pas noyée”. 
 

Lou © PatrickCockpit_HansLucas


A l’issue de la représentation, complices, souriantes et savantes sont Béatrice Massin et sa fille lorsqu’elles évoquent le rapport de la danse à l’espace et au dessin du jardin à la française, le trajet de marche et le déroulé, un art alors réservé aux hommes, une partition dansante du XVIIe où les mouvements des bras ne sont jamais notés mais laissés à la libre interprétation de l’interprète comme le sont les ornements de la musique baroque. Passionnant.
Ici, dans ce spectacle, Lou Cantor parle, danse, siffle, se confie, évolue sur la musique d’hier diffusée par son portable d’aujourd’hui, se vêt et se dévêt sur scène. C’est minimaliste, du cousu corps où la fragilité s’offre de manière intime et radieuse. Et puis voici que la grâce devient tout à coup explosive. L’artiste tourne sur la cène dans un travelling où le maelstrom de sa voix nous saisit. Lou Cantor : “Nous sommes chanceux, ce spectacle a déjà beaucoup tourné. La situation actuelle est douloureuse, heureusement qu’il y a des lieux comme celui-ci qui se mouillent. Oui, c’était trop bon d’être sur scène et d’hurler en courant”.
 
Jean-Dominique Burtin
 
 

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