[Tribune] Orléans: de la charte à la loi, la laïcité revue par l’avocat Patrick Communal #2

[Tribune]

Patrick Communal ancien avocat à la Cour d’Orléans. DR

Le juriste orléanais Patrick Communal, avocat de droit social défenseur notamment de nombreux demandeurs d’asile, revient sur l’adoption en conseil municipal d’Orléans d’une “Charte de la Laïcité” a fait couler beaucoup de salive et d’encre à propos de son article 7 autorisant les élus à communier avec leur écharpe à l’occasion exclusive de la messe solennelle des Fêtes de Jeanne d’Arc.
Après un historique personnel de la laïcité (article #1), endossant sa robe d’avocat, il nous propose (article #2) une lecture singulièrement différente ce texte polémique pour arriver à une conclusion quant à ses conséquences qui semble avoir échappé à beaucoup de contempteurs de cette initiative:

“Le diable est souvent dans les détails”

 

Une “Charte de la laïcité” inutile et/ou transgressive

Ce rappel historique et juridique (article #1) m’a semblé indispensable avant de commenter la charte de la laïcité adoptée au mois de décembre 2020 par le Conseil municipal d’Orléans. Ce vote fait suite à un contexte tragique marqué par des attentats sanglants qui ont endeuillé le pays et frappé les esprits. Pour autant, ce n’était sans doute pas nécessaire d’exprimer son émotion autour d’un texte dont l’objet n’est pas dénué d’ambiguïtés, ambiguïtés entre incantation politique et édiction de règles qui s’imposeraient pour l’avenir à l’activité municipale. L’incantation politique n’engage que ses auteurs, quant au dispositif réglementaire, soit il est un rappel de la loi existante, et dans ce cas il est inutile, soit il déborde du cadre de la loi et il est illégal puisque les élus locaux ne font pas la loi. Cette charte de la laïcité est donc exposée au double risque d’être inutile ou transgressive.

Les choses commençaient plutôt bien avec ce rappel du principe d’égalité des citoyens qui implique l’égalité en droit des pratiquants. On se souvient qu’il y a quelques années, Serge Grouard avait commis une lettre ouverte aux musulmans de France qui exposait que ces derniers, du fait d’une présence plus récente sur notre territoire, avaient plus de devoirs que les autres citoyens, même s’il avait pris la précaution de se situer sur le plan moral et non celui du droit, ce qui pouvait donner à penser que l’égalité des droits ne s’inscrivait pas dans son référentiel des valeurs morales, nous sommes aujourd’hui rassurés.

L’article 3 de la charte énonce que « les élus s’engagent à ne verser d’aide, sous forme de subvention ou de toute autre manière, aux associations que dès lors que celles-ci s’engagent à respecter les valeurs et principes de la République. Les élus s’engagent à en vérifier l’application effective ». En premier lieu, les élus ne versent rien, ils peuvent simplement voter des subventions. En second lieu, tout le monde est prêt à s’engager au respect des valeurs de la République, la difficulté tient à ce qu’il s’agit d’un contenu extrêmement flou : de quelles valeurs parle-t-on ? De celles de Cedric Herrou , agriculteur qui impose la reconnaissance du principe de fraternité par le Conseil constitutionnel ou de celles de ces préfets de la République qui dépêchent avant le lever du jour, des policiers pour lacérer au cutter les pauvres tentes de demandeurs d’asile laissés à la rue ou dans les bois en plein hiver par les autorités de l’état ? Celles de Didier Lallement (préfet de police de Paris) ou du président de la ligue des droits de l’homme ? De Jacques Douffiagues ou du regretté militant  Jean Pierre Perrin Martin ?

L’article 4 édicte que l’utilisation des équipements municipaux est subordonné au respect du principe de laïcité. On imagine qu’est à nouveau suggérée l’interdiction de tenues de bain dans les piscines municipales telles que celles proscrites par le Maire de Villeneuve Loubet. Le principe de laïcité ne permet pas une telle interdiction ainsi que l’a rappelé le Conseil d’État. Certes, le maire d’Orléans pourra faire comme le maire de Grenoble et quelques autres, invoquer des normes d’hygiène, auquel cas, ces dispositions n’ont pas vraiment leur place dans une charte de la laïcité qui n’est pas censée traiter de l’hygiène publique. Cette présence est en définitive de nature à jeter le doute d’un détournement de procédure si une interdiction hygiénique est adoptée.

L’article 6 expose que « les élus et particulièrement le Maire, se doivent d’adopter une attitude personnelle neutre et laïque dans l’exercice de leur mandat. » Le Maire et ses adjoints sont bien entendu astreints à une obligation de neutralité qui n’est pas seulement religieuse lorsqu’ils agissent au titre de la direction des services publics municipaux ou par délégation de l’état comme officiers d’état civil ou de police judiciaire mais ces fonctions ne couvrent pas la totalité du mandat dans le cadre duquel, le principe de liberté d’opinion et d’expression demeure la règle ainsi que l’a rappelé la Chambre criminelle de la cour de cassation dans une décision de 2014.

Le buzz de l’article 7

L’article 7 a occasionné beaucoup d’échos dans les médias, un « buzz » sur les réseaux sociaux, ce qui était peut-être le but recherché. Les réseaux et la presse qui leur prend la main sont souvent primesautiers. Au regard du contresens général de cette charte qui affiche une confusion fort répandue entre idéologie laïque et régime juridique de la laïcité, la question soulevée parait subalterne : « dès lors qu’ils portent les effets distinctifs de leur fonction, les élus s’astreindront au strict respect de la neutralité républicaine lors des cérémonies religieuses. Le caractère national, historique et exceptionnel des fêtes johanniques constitue la seule exception à cette règle ». Il est ressorti des débats qu’a suscité cet article 7, que la question était de déterminer si un élu ceint de son écharpe tricolore et assistant à la messe du 8 mai, pouvait participer au rite religieux, notamment en se signant, récitant une prière ou en recevant la communion. Ce texte soulève deux questions : le port de l’écharpe tricolore astreint-il à une obligation de neutralité religieuse ? Peut-on écarter l’obligation de neutralité en invoquant la tradition ?

La réponse à la seconde question parait positive ; dans son arrêt fondateur Abbé Ollivier de 1909, le Conseil d’État évoquant les travaux préparatoires au vote de la loi du 9 décembre 1905 note « que l’intention manifeste du législateur a été, spécialement en ce qui concerne les funérailles, de respecter autant que possible les habitudes et les traditions locales et de n’y porter atteinte que dans la mesure strictement nécessaire au maintien de l’ordre ». Dans des décisions plus récentes, les juridictions administratives censurent l’installation de crèches de Noël dans les mairies sauf lorsque celle-ci répond à une tradition culturelle locale. Il parait évident que c’est l’ensemble du rituel des cérémonies johanniques qui s’affranchit du principe de neutralité religieuse et il est non moins évident que ce rituel s’inscrit dans une tradition séculaire.

Beaucoup estiment que le port de l’écharpe tricolore impose une obligation de neutralité religieuse, pour autant, nous n’avons trouvé aucun texte législatif ou réglementaire, ni aucune décision de justice qui étaye une telle obligation. N’ayant pas la science infuse, je remercie les lectrices et lecteurs qui pourraient apporter un contredit sur ce point avec les références appropriées, dans un commentaire de bas de page. La France est signataire de la convention européenne des droits de l’homme qui place sur le même plan, liberté d’expression religieuse et de convictions de tous ordres. L’article 9 de la CEDH ne permet pas, selon nous, d’établir un régime différent entre la liberté d’expression religieuse et la liberté d’expression des convictions et c’est ce que semble faire l’article 7 de la charte de laïcité qui opère cette distinction en n’évoquant que la neutralité religieuse.

Et un article 8 qui ne fait pas loi

Pour en terminer avec une image plus douloureuse, que pourrait conférer la Ville d’Orléans au principe de laïcité, l’article 8 de la charte : « L’exercice du service public, notamment municipal, intégrant les délégations de service public de la commune, requiert la neutralité républicaine et proscrit à ce titre le port de signes religieux distinctifs. » Aujourd’hui la neutralité ne s’impose qu’aux fonctionnaires municipaux et agents de droit public. Les personnels soumis au droit du travail dans les compagnies concessionnaires ne sont pas assujettis à la règle de neutralité des fonctionnaires mais à un principe général de liberté qui autorise, par exemple, le port du voile parce que c’est toujours de cela qu’il s’agit dans les avatars d’aujourd’hui de la querelle laïque. Ces dispositions sont prévues dans le projet de loi sur le séparatisme mais ne peuvent dans l’immédiat être édictées par la commune qui, rappelons-le à nouveau, ne fait pas la loi.

Si ces règles étaient étendues, une femme portant le voile ne pourrait pas participer aux aides aux devoirs dans une association de quartier subventionnée, conduire un autobus, ou exercer des tâches de secrétariat à la compagnie des eaux, elle pourrait, en revanche, continuer à y nettoyer les latrines puisque les entreprises de nettoyage qui emploient à bas coût des femmes musulmanes ne sont pas délégataires d’une mission de service public.

Voilà qui confortera peut-être l’image d’une république post-coloniale mais en aucun cas celle d’une république fraternelle.

Commentaires

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  1. Merci M. Patrick Communal pour votre robuste éclairage d’avocat sur l’épisode picrocholien de la charte municipale orléanaise. Votre exhaustive analyse pourrait s’enrichir de la production du Laboratoire Loiret de la Laïcité sur le sujet : https://labolaiciteloiret.wordpress.com et votre allusion au burkini par un précédent texte de Magcentre : https://www.magcentre.fr/182458-itsi-bitsi-petit-burkini/ . Par ailleurs, vous dites, à propos du dispositif réglementaire proposé, que : « il est un rappel de la loi existante, et dans ce cas il est inutile ». Il me semble qu’il est toujours bon de rappeler, surtout par ces temps troublés, la Loi. C’est d’ailleurs ce que vous accomplissez dans vos talentueuses tribunes.
    Je fais le souhait de vous lire régulièrement réapparaître dans les tribune de magcentre.fr

  2. M. Communal fait une bonne analyse juridique de la situation, mais lui le gauchiste rejoint le très droitier maire d’Orléans sur le respect d’une tradition qui bafoue la République laïque. A-t-il oublier que les lois peuvent évoluer, et que si certaines traditions peuvent être conserver pour ceux et celles qui le souhaitent (culinaires…) d’autres ont heureusement été écartées définitivement par la Loi : peine de mort, inégalités des femmes, criminalisation du viol, interdiction des châtiments corporels pour les enfant…Aujourd’hui dans le monde des femmes et des hommes se battent contre l’excision, l’état juridique d’infériorité des femmes…la liberté.
    Franchement comment peut-on défendre cette cérémonie qui rassemble la sabre, le goupillon et les édiles d’Orléans. Message bien réactionnaire envoyé par M. Communal.

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