[Tribune]
Patrick Communal ancien avocat à la Cour d’Orléans. DR
Le juriste orléanais Patrick Communal, avocat de droit social défenseur notamment de nombreux demandeurs d’asile, revient sur l’adoption en conseil municipal d’Orléans d’une “Charte de la Laïcité” a fait couler beaucoup de salive et d’encre à propos de son article 7 autorisant les élus à communier avec leur écharpe à l’occasion exclusive de la messe solennelle des Fêtes de Jeanne d’Arc.
Après un historique personnel de la laïcité (article #1), endossant sa robe d’avocat, il nous propose (article #2) une lecture singulièrement différente ce texte polémique pour arriver à une conclusion quant à ses conséquences qui semble avoir échappé à beaucoup de contempteurs de cette initiative:
“Le diable est souvent dans les détails”
L’abbé et le hussard noir
C’était vers la fin des années cinquante. Il était grand, affichait une maigreur ascétique, vêtu d’une soutane marquée par la patine du temps, usée, à certains empiècements, jusqu’à la trame ; il possédait peu de choses, vivant de la charité des croyants mais donnant à plus pauvre ce qui lui restait. On l’avait vu négocier la vente d’un coussin brodé pour acheter un paquet de gauloises au clochard venu sonner à sa porte et lorsque le cordonnier, ne voulant plus réparer des bottines éculées, lui offrait une paire de chaussures neuves, il exigeait de conserver les vieilles en échange. L’abbé gardait ses distances avec les bourgeois, n’acceptait les invitations à dîner qu’à la table des ouvriers, c’est lui qui m’a raconté l’histoire de cet homme qui répandait le souffle des béatitudes sur les routes de Judée et de Galilée.
Il était plutôt petit et rond, portait une canadienne de cuir et un béret basque, j’admirais la souplesse qu’il affichait pour lancer sa bicyclette, le pied gauche sur la pédale, penchant le buste en avant, la jambe droite tendue à l’arrière par-dessus la selle. Je n’ai jamais été capable de démarrer à vélo de cette façon. Pour faire la classe, il revêtait une blouse grise ; il ne croyait pas au ciel, se moquait volontiers des curés, persuadé que notre émancipation passait par la connaissance, la science, et la raison. Hussard noir de la République, il m’a appris l’écriture, à la recherche de l’élégance des mots, et invité à mettre un pied dans l’ascenseur social. Je lui dois beaucoup.
Le conflit entre le prêtre et l’instituteur, entre l’Église et la République pouvait sembler d’un autre temps mais il avait survécu à deux guerres mondiales et prenait par instants une allure tragi-comique quand la majorité de droite du Conseil Municipal, votait une subvention à l’école libre. Ce jour-là, le programme scolaire était un peu bousculé et nous avions droit à une péroraison sur les valeurs de la laïcité : « Vos grands parents s’affirmaient unis comme au front, vos parents unis comme au camp et vous direz à vos enfants que vous étiez unis comme à l’école ! »
Cette version vintage du débat sur la laïcité a connu son point d’orgue avec la manifestation géante du 24 juin 1984 à Paris qui avait pour objectif de faire échec à l’intégration des écoles privées, majoritairement confessionnelles et catholiques, dans un grand service public de l’éducation nationale. Rappelons-nous… En privé, Jacques Douffiagues (alors maire d’Orléans) s’amusait d’avoir usé d’une présentation astucieuse des comptes pour faire voter Jean Pierre Sueur, « à l’insu de son plein gré », en faveur du financement des autobus qui mèneraient les manifestants à Paris, et le répondeur téléphonique de la mairie d’Orléans diffusait le chœur des esclaves du Nabucco de Verdi devenu l’hymne d’une droite versaillaise ayant fédéré autour d’elle les adversaires résolus de la laïcité.
Une identité culturelle menacée
Depuis, l’Islam est venu troubler le jeu de rituels rodés par les républiques successives et a converti la droite à la laïcité, et comme les convertis sont souvent les croyants les plus zélés, la querelle politique a connu une seconde jeunesse pour renouer parfois avec les pires outrances. À l’extrême droite, on découvre la « catho-laïcité », celle de ceux qui veulent interdire le voile partout et installent des crèches de Noël dans les mairies. Mais la laïcité connaît également un certain renouveau au sein d’une partie de la gauche, sous la poussée des tenants d’un printemps républicain qui voient dans la progression de l’Islam une dangereuse contestation de l’universalisme des Lumières et en appellent à Voltaire et Diderot pour voler au secours d’une identité culturelle qu’ils imaginent menacée.
Dans sa version vintage comme dans sa coloration plus contemporaine qui voit le jour avec l’affaire des lycéennes voilées de Créteil, la laïcité est une démarche idéologique juxtaposée à un cadre juridique qui tempère ses débordements. L’idéologie vise à réduire l’expression du religieux dans l’espace public pour le circonscrire au domaine de l’intime, elle multiplie les injonctions à la neutralité qui font figure d’autant d’interdits. Le cadre juridique est un rappel permanent de la liberté de conscience, d’opinion et d’expression qui prévalent en tous lieux, dans les seules limites des nécessités de la sécurité et de l’ordre public.
Seul l’État est astreint à la neutralité. Le Conseil d’État apparaît comme le gardien du temple des libertés, sa jurisprudence est séculaire. Le 19 février 1909, à la requête de l’abbé Ollivier, archiprêtre de la cathédrale de Sens, il annule un arrêté municipal qui entendait interdire les processions religieuses funéraires sur la voie publique et invoque, à l’appui de sa décision, l’article premier de la loi de 1905 qui rappelle que la liberté de conscience étant garantie par la République, seules les nécessités de l’ordre public pourraient imposer des restrictions à l’exercice de la liberté des cultes, cette liberté pouvant dès lors s’exercer dans l’espace public. Le 26 août 2016, la haute juridiction reprend les mêmes arguments de droit pour suspendre un arrêté du Maire de la commune de Villeneuve-Loubet qui entendait interdire, sur les bords de mer, le port du burkini au nom de la laïcité. Le Conseil d’État, dans sa formation de référé, a rappelé à nouveau que seuls des troubles à l’ordre public auraient pu justifier qu’on restreigne les libertés, aucune règle de neutralité n’étant susceptible de s’imposer aux citoyens circulant dans l’espace public.
Les communes, les élus locaux, ne font pas la loi et doivent se limiter à l’appliquer. Une décision du Conseil constitutionnel du 18 octobre 2013 le rappelle fort à propos en édictant que les maires et adjoints sont tenus, de par la loi, de célébrer les mariages de couples du même sexe sans pouvoir invoquer une clause de conscience.
Si les élus locaux ne font pas la loi, nul en revanche ne peut restreindre leur liberté de conscience, d’opinion et d’expression. Ces libertés sont garanties au-delà de la loi de 1905 pour ce qui est de la religion, par la protection constitutionnelle des libertés et par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme qui n’opère pas de distinction entre conviction religieuse et opinion. C’est sur ces bases que la Chambre criminelle de la Cour de cassation condamne, en 2014, pour discrimination, le maire de Montreuil qui, au nom du principe de laïcité et d’une prétendue obligation de neutralité, avait interdit de parole, en conseil municipal, une élue qui arborait une croix, en lui demandant d’ôter ce signe religieux avant de s’exprimer, ce qu’elle avait refusé…
À suivre : Orléans : de la charte à la loi, la laïcité revue par l’avocat Patrick Communal #2