Wallis-et-Futuna, aux antipodes de la métropole, commémore le soixantième anniversaire de la loi qui lui confère le statut de Territoire d’Outre-mer. Le 29 juillet 1961, la France de De Gaulle reconnaît enfin une identité républicaine aux 10000 habitants de cette terre perdue dans l’immensité du grand océan Pacifique. La diaspora métropolitaine éparpillée dans une constellation d’associations cultuelles et culturelles organise une série de manifestations pour donner de la couleur à l’évènement oublié du calendrier officiel. Rassembler la discrète communauté autour d’un four traditionnel n’est pas son seul objectif. Elle veut marquer sa différence, sortir de l’invisibilité. Dans le Loiret, des wallisiens se préparent depuis plusieurs mois.
Le groupe de danse orléanais Felave’i Fiafia (photo PV)
La diaspora
Dans l’hexagone, la diaspora de Wallis-et-Futuna occupe une place discrète. En métropole, elle compte pourtant plusieurs milliers de personnes (sans doute plus de 10 000 personnes).
Petelo a été responsable du poste de sécurité d’une grande entreprise orléanaise pendant trente ans. Au même moment, Soane, un doux géant, a veillé sur les sorties de caisse d’un grand supermarché de Poitiers. Tous les deux ont choisi de rester en France après leur carrière militaire. Ils sont aujourd’hui retraités et ils n’envisagent plus de retourner au pays du Pacifique. Leurs enfants sont nés en métropole. Ils sont comptables, enseignants, commerçants.
Ces destins ont été tracés par les engagements signés en 1961. Malia, une petite femme menue au regard déterminée explique calmement aux familles venues à sa rencontre comment ce texte a profondément transformé leurs vies : « si vous pouvez aujourd’hui accompagner vos enfants à l’école, si vous pouvez aujourd’hui vivre et travailler en Europe, c’est grâce à ce statut ! Avant, nous n’étions rien puisque notre terre n’avait pas d’existence légale. »
(Voir plus bas l’article 2 de la loi du 29 juillet 1961)
Elle est Futunienne et porte le nom breton de son mari, un ancien fonctionnaire qu’elle a rencontré sur son île. Parce qu’elle parlait français, c’était rare au royaume de Sigave à cette époque, elle a servi de traductrice pour sa communauté.
Après 1961, tous les hommes forts ont alors été aspirés en Nouvelle-Calédonie par les mines de nickel qui avaient besoin d’une main d’œuvre peu qualifiée. Aujourd’hui, on estime à 27000 le nombre de Wallisiens.nes et Futuniens.nes sur le caillou. C’est 2,5 fois plus qu’au « fenua » (1). Ils sont implantés durablement et ils ont même constitué un parti politique représenté au Congrès calédonien. Les rugbymen qui ont intégré récemment l’équipe de France ont grandi dans les faubourgs de Nouméa.
Au fil des années, de nombreux jeunes ont saisi l’opportunité du Service Militaire Adapté pour tenter leur chance ailleurs. On ne compte plus ces soldats si vaillants engagés sur les points chauds du globe depuis 3 générations. Beaucoup restent en métropole et font venir leur famille, comme Petelo et Soane.
D’autres Wallisiens et Futuniens se tournent vers l’Australie, la Nouvelle-Zélande et même Hawaï pour construire un avenir. Inexorablement, la population est en baisse constante depuis le début des années 2000
En septembre 2019, l’INSEE recense 11600 personnes à Wallis-et-Futuna. L’économie locale reste basée sur les échanges coutumiers. Le taux d’activité des 15-64 ans est de 53%. Les jeunes qui sont scolarisés jusqu’à 18 ans, bac en poche ne veulent plus cultiver les tarots, ni élever les cochons. Mais ils restent fidèles aux traditions, même si les fils qui les attachent à leur histoire, leur coutume, deviennent de plus en plus ténus.
La coutume
Sous ce terme générique, on a l’habitude de regrouper l’ensemble des règles qui organisent la vie sociale du groupe. Elle constitue un code non écrit, respecté par tous les membres. La hiérarchie des pouvoirs est basée sur la famille et le souvenir de sa généalogie. Les échanges entre individus sont soumis à la place attribuée par la naissance. La chefferie incarne cette autorité avec un protocole rigide. A Wallis, elle est dirigée par un souverain (2), ses 6 ministres et les 21 chefs de village. Futuna, plus petite, est divisée en 2 « royaumes » : Alo et Sigave qui possèdent leur propre chefferie(3). Seules les familles Aliki 4) peuvent prétendre au trône.
Les trois rois de Wallis-et-Futuna (photo Mika Tui)
Chacun à sa place. Chacun a sa place !
Faute d’un accord sur une terminologie plus conforme au lexique polynésien, l’autorité coloniale a attribué le terme impropre de royaume pour désigner cette organisation territoriale que l’on retrouve dans les autres îles de la Polynésie occidentale, Fidji, Tonga, Samoa, Rotuma, Tuvalu.
Cette société non égalitaire et non démocratique, héritée du passé et de ses mouvements migratoires, est reconnue et même protégée par la Loi française sans définir la répartition de l’autorité exécutive. (Voir plus bas l’article 3 de la loi du 29 juillet 1961)
Ainsi, subsiste dans notre communauté nationale républicaine le vestige d’un ordre social ancestral contraire à nos principes fondateurs d’Égalité et de laïcité !
Le juriste en perd son latin. L’école primaire est administrée par l’église catholique, le secondaire est public. La gendarmerie cohabite avec la police coutumière. L’assemblée territoriale élue subit l’autorité d’un préfet. La majorité de la population locale ne parle pas français. Elle obéit au roi. Depuis 60 ans, des générations d’enfants grandissent dans cette confusion.
Les voisins de Polynésie-Française et de Nouvelle-Calédonie étaient de taille pour faire évoluer leur statut territorial vers une collectivité moderne aux compétences élargies. Les Antilles et la Réunion sont devenues des départements. Reste Wallis-et-Futuna, dernier territoire en panne institutionnelle, sans doute trop petit pour être entendu, « dernier confetti de l’Empire » selon l’expression de Mikaele Tui.
Voilà quel est ce peuple si uni et si éclaté, ce peuple si attaché à sa terre, à sa tradition et à sa langue qui vit en exil dans le souvenir mythifié d’un paradis lointain. Son fenua. Et voilà ce peuple qui voit devant lui son histoire s’échapper. Derrière lui, il imagine son avenir de moins en moins sur l’île natale devenue sanctuaire des anciens et des légendes.
Cette année, un nouveau sénateur a été élu. C’est le petit-fils de l’ancien Lavelua Kulimoetoke II (4). Une nouvelle preuve de la confusion dans l’expression de l’autorité locale. Mikaele Kulimoetoke est un ancien gendarme. Il déclare après son élection que son chantier prioritaire, c’est le toilettage du statut des 2 Îles. (5)
L’an prochain, pour le soixantième anniversaire de la promulgation de la loi de 1961, la question d’une réforme institutionnelle pourrait être posée. Le ministre de l’Outre-mer, Sébastien Lecornu, n’y semble pas opposé.
2021, l’année de l’émancipation de Wallis-et-Futuna ?
Philippe Voisin
Notes:
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Fenua = placenta, par extension, la vie et la terre natale.
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Lavelua = nom du roi de Wallis.
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Tu’i’agaifo = nom du roi d’Alo. Keleta’ona = nom du roi de Sigave.
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Tomasi Kulimoetoke II fut roi d’Uvea de 1959 jusqu’à sa mort en 2007.
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En fait, elles sont 3 : Uvea, Futuna et Alofi, plus petite, qui n’est pas habitée.
Loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d’outre-mer
Article 2
Les originaires du territoire des îles Wallis et Futuna ont la nationalité française. Ils jouissent des droits prérogatives et libertés attachés à la qualité de citoyen français et sont soumis aux mêmes obligations. Ceux d’entre eux qui n’ont pas le statut de droit commun conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas expressément renoncé.
Article 3
La République garantit aux populations du territoire des îles Wallis et Futuna le libre exercice de leur religion, ainsi que le respect de leurs croyances et de leurs coutumes en tant qu’elles ne sont pas contraires aux principes généraux du droit et aux dispositions de la présente loi.
Bibliographie :
Journal de la Société des Océanistes – 122-123 – 2006
Uvéa, préhistoire de Wallis de Christopher Sand – ed. grain de sable.
Au Pays des trois royaumes – ouvrage collectif – collection Pacifique
Wallis-et-Futuna de Philippe Godard – éd. Mélanésia
Des archéologues, des conquérants et des forts de Daniel Frimigacci – ASC pour la culture et l’art WF