Il y a une sorte de paradoxe à reprendre indéfiniment cet élément de langage du “plus long fleuve sauvage d’Europe” à propos de la Loire. Ce bel aphorisme, mêlant promotion touristique et combat écologique, est pourtant si contraire à la réalité et l’histoire de ce fleuve dont l’endiguement commença dès le XIIe siècle, dans une volonté continue de dompter ce fleuve dévastateur. Cela crée sans doute le plus long ouvrage de génie civil d’Europe, dans l’espace et le temps, qui s’étend de Nevers à Angers, et dont on découvre au hasard des promenades, perdue dans les herbes folles, la beauté d’un travail oublié.
La trace humaine est omniprésente. Loin de l’image d’un fleuve sauvage, c’est bien l’œuvre des hommes qui a façonné au fil des siècles les paysages que nous connaissons aujourd’hui. Du Moyen-Âge, où les levées de la Loire étaient encore appelées turcies, aux digues actuelles, les techniques n’ont pas changé : dévier le courant, surélever les berges et contenir les flots pour éviter les inondations. L’histoire de la Loire et de ses aménagements est en effet rythmée par les crues. Dès le XIIe siècle, une grande crue pousse Henri II en 1150 à construire une digue. Un ouvrage repris par ses différents successeurs pour les siècles à venir.
Le XVIIe siècle est une période charnière. Les très multiples débordements de la Loire de la première moitié de ce siècle incitent Colbert à lancer un programme visant à multiplier et renforcer les digues pour les rendre insubmersibles. Le début du siècle suivant se poursuit avec de nouvelles crues catastrophiques (1707, 1709, 1710, 1711 et 1733, entre autres) et conduisent le pouvoir royal à mettre en place un nouveau programme de travaux visant une nouvelle fois à rehausser les digues.
D’ambitieux travaux …
Cependant ces travaux de protection sont abandonnés après la Révolution, priorité est faite à la survie de la navigation de la Loire. À tel point que le service des turcies et des levées qui s’occupait de la construction et de l’entretien des levées est dissous en 1790. Un service de la navigation de Loire est par contre créé. Il faudra trois inondations désastreuses (1846, 1856 et 1866) pour changer d’avis et remettre la question des levées comme étant prioritaire.
Les duits, barrages de pierre sur la Loire. ©Sébastien Dauxère
Elles ont, en effet, non seulement rappelé que les levées ne sont pas indestructibles mais aussi fait apparaître un nouveau problème : la hauteur des digues devient telle qu’au lieu de protéger la population, elle la met autrement en danger par les risques de rupture : plus on endigue, plus on réduit le lit du fleuve, le niveau de l’eau monte, prend de la vitesse et augmente la pression sur les digues ; celles-ci ont alors toutes les chances de se rompre.
Décision est ainsi prise de construire des déversoirs, solution la plus aisée à réaliser et aussi la moins coûteuse. Le programme de 1867 est d’une ampleur sans précédent avec 20 déversoirs de prévus. Seulement ceux-ci déclenchent l’hostilité des riverains et en un peu plus de 120 ans, seuls sept sont construits en 1891.
… jamais réalisés
La Première Guerre mondiale enterre ensuite les derniers projets envisagés, notamment ceux de l’après-crue de 1907. Les activités désertent les rives du fleuve, les villes se tournent vers les gares construites à l’opposé des quais de la Loire, cette dernière n’étant plus d’aucune utilité économique. L’État décide en 1925 l’abandon de tous les ouvrages du programme de 1867 qui n’ont pas encore été réalisés. Le système imaginé au XIXe siècle par les inspecteurs généraux de la Commission des Inondations de la Loire demeure donc incomplet.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la préoccupation énergétique va jouer un rôle majeur dans l’aménagement du bassin de la Loire. Après le choc pétrolier, quatre centrales nucléaires sont construites : Belleville, Dampierre-en-Burly, Saint-Laurent-des-Eaux et Chinon, qui vont elles-mêmes conduire à la construction des barrages de régulation. Parallèlement, en complément de la vocation d’écrêtement de crues du barrage de Villerest (Loire), est engagé début 1970 un programme général de renforcement des levées de la Loire associant l’État, les régions, les départements et les communes. Ce programme consiste à améliorer la stabilité des digues.
Il se poursuit encore aujourd’hui dans le cadre du « plan Loire Grandeur Nature » instauré lors d’un comité interministériel tenu le 4 janvier 1994. Mais force est de constater que la complexité de l’organisation administrative et les lenteurs qui en découlent n’ont pas facilité la réalisation de ce programme de renforcement des levées qui a accumulé d’importants retards.
A tel point que de nouvelles crues seraient encore plus désastreuses que les funestes précédentes, alors que les communes riveraines ont laissé s’urbaniser les zones inondables…
Delphine Toujas
Source Wikipédia