Dadada avait été élu « album sensation de l’année » aux Victoire du Jazz 2018. Avec le même trio, augmenté d’un quatrième musicien, Roberto Negro revient dans les bacs. Son très brillant Papier Ciseau est sorti il y a quelques semaines. Fruits de ses compositions, les plages déroulent sa musique profondément personnelle, ancrée dans l’histoire du piano mais surtout très inventive. Et les trois amis qui la mettent en forme avec lui partagent totalement sa conception musicale.
Dès le premier morceau, Lime, Roberto met ses doigts dans les traces de la musique contemporaine, construite sur des mélodies fortes. On entend très clairement l’influence des œuvres du début du XXe siècle, Ravel ou Debussy, ce jeu complexe entre main gauche et main droite, entre balancement rythmique qui le rattache au jazz et mélodie qui peut être simple, mais très écrite dans ses développements. On connaît son attachement à l’œuvre de Ligeti.
Le quartet dans le montage vidéo de Jean Pascal Retel
Les amis, trublions magnifiques
Mais Roberto devient vraiment lui même en perturbant cette belle sagesse. Et les amis qu’il a réunis autour de lui dans ce quartet le lui rappellent rapidement. Emile Parisien bien sûr, son complice pour Ligeti entre autres, qui adore pousser la mélodie très loin, la faire tournoyer et lui adjoindre des sons étranges de machines de cuisine, pourquoi pas ? Ou trafiquer le son de son soprane en l’éloignant, dans Toot, comme s’il sonnait du cor au fond des bois. Michele Rabbia à la batterie, ami fidèle lui aussi, truffe tout cela de sons légers venus d’ailleurs, ramenés de l’espace, des bulles sonores de science fiction. Valentin Ceccaldi, le quatrième compère, est ici grave, très grave sur sa basse électrique, oscillant entre violence implacable et rythmique de base (Missa).
Une cohérence harmonieuse
Ils s’entendent à merveille. Telex par exemple offre une impeccable imbrication des instruments, une très belle construction à plusieurs voix d’une pièce de musique complexe, construite, prenante.
Le regard de braise de Roberto
Le piano de Roberto reste l’instrument dominant sur presque tous les morceaux, le leader s’autorisant même quelques moments de piano électrique. C’est vraiment sa musique à lui, magnifiquement partagée par le quartet. Ils sont tous les quatre à un niveau de technique musicale qui leur permet absolument tout. Et ils ne se privent pas d’explorer quand ils en ont envie, mais en gardant toujours à l’esprit et à l’oreille une certaine recherche du beau, de l’harmonieux, en tout cas de cohérence.
C’est une musique complexe même si elle peut s’écouter sans explication ; c’est une musique prenante aussi, parce qu’elle exprime simplement, va droit à son propos. Missa, formidable moment, en est un bel exemple. Le piano et la basse de Valentin structurent jusqu’au bout, le saxo d’Emile propose un parcours très spirituel, les « bruits » rythmiques bordent l’image. Et la remplissent d’oiseaux dans le morceau suivant, Solarels, où Roberto a peut être pensé à Messian.
Décidément, les émules du Tricot orléanais planent dans les nuages. Après Constantine des deux frères Ceccaldi et du grand orchestre dont nous rendions compte la semaine dernière, ce cd de Roberto ne trahit ni la qualité, ni l’inventivité, ni l’énergie dont ce collectif a été le creuset.
Bernard Cassat
Papier Ciseau
Roberto Negro : piano, electronics, composition
Emile Parisien : saxophone
Valentin Ceccaldi : bass
Michele Rabbia : drums, electronics
Label Bleu
Photos portraits : Flavien Prioreau
Photos illustration : Laurent Lelong, Jean-Pascal Retel