Le projet de loi confortant les principes républicains français examiné ce mercredi 9 décembre 2020 en conseil des ministres suscite déjà de nombreux commentaires. L’Orléanais Patrick Banon, expert en Sciences des Religions et Systèmes de Pensée, nous apporte son éclairage sur la question.
Patrick Banon, spécialiste des religions nous éclaire sur la future loi confortant les principes républicains © DR
Après son fameux discours des Mureaux du 2 octobre 2020 contre les séparatismes, le Président de la République avait annoncé une loi pour tenter d’y mettre fin. D’abord intitulée « Loi de lutte contre l’islam radical et les séparatismes », le texte examiné ce mercredi 9 décembre en Conseil des ministres s’intitule finalement « Loi confortant les principes républicains ». Avant d’arriver en février 2021 devant les députés, Magcentre a sollicité l’avis de l’essayiste orléanais, Patrick Banon, expert en Sciences des Religions et Systèmes de Pensée, chercheur associé et membre du Comité de pilotage de la Chaire Management, Diversités & Cohésion sociale de l’Université Paris-Dauphine.
Pensez-vous qu’Emmanuel Macron a eu raison de changer le nom de cette future loi qui ciblait un peu trop les Musulmans ?
Patrick Banon : Oui, parce que lorsqu’on parle de séparatisme, on a l’impression que cela ne concerne que l’islamisme et donc par ricochet l’islam, alors qu’en réalité c’est un sujet beaucoup plus large. C’est une question d’organisation de la société dans un monde qui est devenu pluriculturel et donc qui a changé.
Est-ce que l’on peut dire que c’est une réaffirmation du principe de laïcité à la française ?
P.B. : Ce qui est sûr, c’est que c’est un éclaircissement par rapport à certains aspects. Par exemple, les personnes qui refusent de se faire soigner par des femmes ou par des hommes ou qui refusent l’enseignement d’un professeur, un sujet sur la Shoah ou autre [récente affaire Samuel Paty, NDLR] il faut leur expliquer jusqu’où va la laïcité. Ce n’est pas simplement la séparation des églises et de l’Etat. C’est aussi un comportement, une culture. C’est pourquoi». Il est aussi intéressant de rappeler que le mot de laïcité apparaît officiellement en France en 1887 mais qu’il n’est pas cité dans la loi de 1905. Cette loi ne parle que l’espace de neutralité qui répartit l’espace d’expression. Il faut donc l’éclaircir pour que les gens la comprennent mais il ne faut pas la changer. C’est une question de principe, c’est-à-dire que pour que l’on puisse avoir une égalité de conscience entre les religions et entre les personnes qui croient et qui ne croient pas, il faut que l’État soit neutre. Mais la question c’est : jusqu’où doit-il être neutre ?
Est-ce important de vouloir renforcer la neutralité de l’espace public ?
P.B. : Ce n’est pas une nouveauté mais un éclaircissement puisque la loi de 1905 sépare les Églises de l’État, donc tout ce qui dépend de l’État est neutre. La réaffirmation, par exemple, que les entreprises privées, qui ont des missions de service public, peuvent aussi être soumises à un principe de neutralité. D’ailleurs, il y a déjà eu un arrêt de la cour de cassation en 2013, à la suite du cas d’une femme voilée qui travaillait dans une caisse primaire d’assurance maladie, qui stipule qu’une personne qui n’est pas un agent du service public mais qui travaille dans une mission de service public doit respecter cette neutralité laquelle est liée à la mission de la personne et non à son statut.
Vous dîtes que cette loi est inégale…
P.B. : Chaque proposition est justifiée mais elles ne me semblent pas complémentaires et donc ne créent pas de dynamique. Par exemple je trouve dommage que les personnes qui vont obtenir la citoyenneté française ou même une carte de séjour n’aient pas de formation obligatoire à la laïcité. Or, les gens ne comprennent pas notre modèle français et donc lorsqu’on reproche à des personnes de continuer à se comporter comme dans leur pays d’origine, si on ne leur a pas expliqué avant comment cela fonctionne, elles ne peuvent pas le savoir. Je pense notamment à l’égalité hommes-femmes, aux droits des enfants. D’ailleurs pour l’Europe, les droits des enfants datent des années cinquante, c’est assez récent.
Pourquoi notre modèle de laïcité n’est repris par aucun pays au monde ?
P.B. :Tout d’abord je ne vois pas de volonté française d’exporter notre modèle de laïcité, c’est-à-dire de l’expliquer à l’étranger. C’est un vrai sujet parce que les autres pays ont le sentiment que nous sommes d’immenses racistes et qu’ils détiennent la vérité. Je ne crois pas qu’il s’agisse aujourd’hui d’une guerre de religions ou entre des religions, pas plus que d’une guerre entre religions et laïcité. Il s’agit d’un affrontement démocratique entre deux systèmes : le système français de laïcité et de neutralité de l’État, donc l’universalisme qui s’oppose à un autre système dynamique qui veut s’imposer partout, le multi-culturalisme anglo-saxon et son corollaire le communautarisme. C’est-à-dire qu’ils reconnaissent le droit à des communautés de s’auto-gérer en respectant des valeurs qui ne sont pas collectives.
Pourquoi deux modèles ?
P.B. : D’abord parce que les histoires sont différentes, notamment celle de l’édification des états. Mais il y aussi des questions de principes. Le modèle anglo-saxon privilégie la liberté quand le modèle français privilégie l’égalité. Donc l’universalisme du modèle français c’est de considérer que chaque personne quelle que soit son origine a les mêmes droits. En revanche, si on met en avant la liberté, ça veut dire aussi la liberté des personnes de ne pas être égales. Donc le modèle anglo-saxon va donner des droits au nom des libertés qui à terme peuvent être défavorables aux personnes. Par exemple, établir un tribunal communautaire pour gérer les conflits familiaux des Anglais d’origine étrangère. C’est ce qui se passe en Angleterre. Ce sont donc deux systèmes incompatibles.
Propos recueillis par Sophie Deschamps