Elle aurait pu être lauréate du prix Renaudot. Elle figurait parmi les quatre derniers récipiendaires possibles. Le Jury lui a préféré Marie-Hélène Lafon. Par contre, l’Interallié a couronné ce jeudi 3 décembre la romancière Irène Frain qui réside souvent près de Vendôme où elle possède une maison familiale pour « Un crime sans importance ».
Publié aux éditions du Seuil en août 2020, « Un crime sans importance » est un récit construit autour du meurtre non élucidé de la sœur de l’écrivaine. La romancière transforme sa sœur victime d’un crime qui n’intéresse personne en héroïne romanesque.
Irène Frain 2013
L’histoire débute sur un fait divers. Une vieille dame meurt à l’hôpital des suites de ses blessures, quelques semaines après avoir été sauvagement agressée dans sa maison dissimulée au fond d’une impasse dans un quartier pavillonnaire d’une ville qui pourrait être de banlieue, d’Eure-et-Loir ou du Loir-et-Cher, de n’importe quel département, une ville comme il y en a tant, avec ses banlieues « moches ».
. La victime, Denise, est la sœur aînée de la narratrice qui aimerait savoir ce qui s’est passé ce jour-là au fond de l’impasse. Mais elle se heurte au silence des autorités et de sa famille. Quatorze mois après les faits, le policier chargé de l’enquête n’a toujours pas rendu son rapport et ses neveux ne prennent pas contact avec elle… Alors Irène Frain décide de prendre la plume « pour penser le crime ».
Un crime sans importance, une victoire sur le silence
La romancière raconte comment elle a tenté de mettre en branle la justice, qu’elle nomme « Le mastodonte ». En vain. Mais en cherchant la vérité sur ce crime en auscultant sa propre route, sa propre image, celle d’une petite fille aux cheveux courts s’impose, charriant une foule de questions à élucider : qui était vraiment sa sœur Denise ? Que représentait-elle à ses yeux ? Quelle place occupait-elle dans son cœur ? Qu’est-ce qui a bien pu produire l’éloignement et la rupture avec cette grande sœur adorée ?
Avec son talent et sa sensibilité, la romancière donne chair à la vieille dame que Denise était devenue, la faisant passer du statut de victime anonyme à celui de personnage central de sa propre vie, et d’héroïne ce livre sépulture.
Les mots, les phrases d’Irène Frain font cheminer le lecteur dans cette redécouverte du passé, dans cet oubli qui peu à peu s’effiloche et disparaît. Pas un mot de trop, pas d’erreur dans la progression. Froide et distanciée au début, l’écriture se fait de plus en plus sensible et intime au fur et à mesure qu’apparaissent les profondeurs d’une vie, ses secrets, ses douleurs, ses doutes, ses espoirs. Une vie se dessine, fortement liée à celle de la narratrice, qui passe du “elle” au “je” pour remonter le fil du temps, et éclairer ce qui, pour elle, demeurait dans l’ombre.
Le crime toujours non élucidé s’obstine à rester mystérieux, et seule la vie, formidable victoire sur le silence, en adoucit la violence. Le lecteur découvre que cette “victime sans importance” aux yeux de notre société mercantile, asphyxiée par les panneaux publicitaires à l’entrée des villes est en réalité un pilier fondateur dans la vie de la narratrice. Il comprend aussi combien cette relation si particulière est une des clés de la vocation littéraire d’Irène Frain .
Françoise Cariès
« Un crime sans importance».
Irène Frain
Le Seuil , 256 pages 19 euros
En scrutant “l’envers de nos vies”, la romancière observe une société mercantile, utilitaire, qui plante aux lisières des villes des alignements d’enseignes, “gigantesques caisses en tôle où nous nous bousculons, appâtés par les vaines promesses de bonheur que nos télés nous dégueulent dessus jour et nuit”, un “monde marchand qui nous étrangle dans son licou comme l’autoroute en bas du lotissement où Denise avait cru pouvoir abriter son idée du bonheur”.
Comme elle l’égrène dans un poème final, Irène Frain “recolle”, “rafistole”, “raboute” “rapièce” “les guenilles des histoires du passé”, pour en “faire du neuf” faisant de ce livre, une éblouissante “victoire sur le silence.”