Depuis 1992, l’Organisation des Nations Unies (ONU) célèbre, le 3 décembre de chaque année, la Journée internationale des personnes handicapées. Elle vise à « promouvoir les droits et le bien-être des personnes handicapées dans toutes les sphères de la société et du développement ». Dans leur vie affective et sexuelle, force est de constater que les handicapés font partie des laissés-pour-compte. Or, des services d’accompagnement sexuel existent chez nos voisins européens tels que l’Allemagne, les Pays Bas, la Suisse, le Danemark. Alors pourquoi pas en France ?
Sorti en 2013, le film The Sessions traite de l’épineuse question de la vie affective et sexuelle des handicapés. Photo Magcentre
Le Comité interministériel du handicap (CIH) s’est tenu à Matignon, le 16 novembre dernier. Il a réuni, autour du Premier ministre, Jean Castex, et de sa secrétaire d’État chargée du handicap, Sophie Cluzel, une vingtaine de ministres ainsi que les représentants des associations. Parmi les décisions, annoncées par le premier Ministre après ce CIH, rien n’a concerné la création d’assistants à la vie affective et sexuelle.
Sophie Cluzel. Photo Wikimedia commons
Un sujet pourtant évoqué dans l’engagement N°10 de la dernière conférence nationale du handicap de février 2020. Sophie Cluzel, mère d’une fille trisomique, est favorable à l’assistance sexuelle pour les handicapés. Elle a saisi le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) afin qu’il réexamine cette possibilité.
En 2012, Roseline Bachelot, alors ministre de la Santé, avait déjà interpellé le CCNE pour le même motif. Dans sa conclusion alambiquée, le CCNE déclarait : « Il semble difficile d’admettre que l’aide sexuelle relève d’un droit-créance assuré comme une obligation de la part de la société et qu’elle dépende d’autres initiatives qu’individuelles. » À Orléans, en janvier 2016, le Planning Familial, l’ADAPEI 45 et l’APHL avaient organisé une soirée sur le thème de la vie affective et sexuelle des personnes en situation de handicap mental. Ce débat clivant, délicat et exigeant n’est pas nouveau.
Assistance sexuelle ou prostitution ?
L’assistance sexuelle peut être assimilée à de la prostitution. À partir du moment où il y a marchandisation des corps et tarification, nous sommes en présence de prostitution. En France, l’achat de services sexuels est illégal et réprimé depuis la loi du 13 avril 2016. Les associations, même humanitaires, qui proposeraient une assistance sexuelle seraient poursuivis pour proxénétisme. Dans tous les pays européens où l’assistance sexuelle existe, la législation y est très accommodante avec la prostitution. En Belgique, elle n’est pas illégale mais le proxénétisme reste sanctionné. L’assistance sexuelle n’est pas légale mais elle y est tolérée. Une société wallonne d’accompagnement à la sexualité, Aditi fonctionne.
Un personnage, qui a défrayé la chronique politico-pornographique française, avait tenté, en 2015, d’ouvrir une maison close pour handicapés à Tournai. Les services proposés étaient destinés uniquement aux hommes, les femmes étant oubliées. Ce n’était qu’un bordel, une opportunité dévoyée et indécente de faire de l’argent. De la prostitution compassionnelle en quelque sorte.
Jouir du toucher physique
Si avec l’ONU, on proclame se soucier de « promouvoir les droits et le bien-être des personnes handicapées dans toutes les sphères de la société et du développement », alors nos concitoyens souffrant de handicap doivent pouvoir jouir du toucher physique, de l’intimité et du plaisir sexuel. Toutes les personnes qui, à cause d’une infirmité mentale ou physique ne sont pas en mesure de vivre pleinement les joies de la vie de la même manière, doivent pouvoir être secourues. L’assistance sexuelle ne se résume pas à l’acte sexuel. Selon les définitions, elle peut inclure les caresses, les massages, voire le positionnement de deux personnes handicapées afin de faciliter leurs échanges. Cette aide devient thérapeutique. Elle permet aux personnes handicapées de se sentir épanouies et mieux dans leur être. C’est un soin à reconnaître pour toutes les personnes handicapées dans leurs interrelations humaines, quelle que soit la cause de leurs difficultés.
Les sexbots, une alternative ?
Une alternative à l’assistanat sexuel tend à faire son apparition : les sexbots ou robots sexuels. S’ils sont encore à l’étape liminaire de leur développement, ils deviennent néanmoins pour certain(e)s déjà d’authentiques partenaires . Ils seraient donc susceptibles d’apporter du plaisir et donc une forme d’épanouissement sexuel conduisant à une meilleure qualité de vie à celles et ceux qui souffrent psychologiquement et physiquement de misère sexuelle. Pour les promoteurs des sexbots comme assistant(e)s sexuels, le problème épineux de la prostitution est supprimé. Malheureusement les professionnels de la santé, travaillant dans le domaine de la sexualité, s’impliquent encore peu dans l’étude des produits sexuels pour handicapés.
Dans sa lettre au CCNN, Sophie Cluzel estime « indispensable de rouvrir la réflexion éthique en abordant le sujet de l’assistance sexuelle avec une vision renouvelée.(…) Sans aucune solution adaptée, certaines personnes handicapées sont condamnées à vivre dans une abstinence [sexuelle] non choisie, alors que la santé sexuelle fait partie intégrante de la santé, du bien-être et de la qualité de vie dans son ensemble ».
Sophie Cluzel attend l’avis du CCNE normalement prévu pour le premier trimestre 2021. Sa question ne devrait-elle pas être ainsi complétée : « Est-ce éthique d’avoir des relations sexuelles avec un robot ? »…
Jean-Paul Briand