La chasse échappe au confinement

Les six préfectures de notre Région accordent depuis le 8 novembre 2020 une dérogation permettant de chasser sangliers et cervidés sur l’ensemble du territoire régional « pour des raisons d’intérêt général » ainsi que la chasse aux espèces dites « nuisibles ». Décryptage d’une autorisation obtenue par le lobby de la chasse en plein confinement, sous couvert de régulation.

Les chasseurs veulent sortir leurs fusils. Photo ASPAS

Des chasseurs voulant chasser doivent pouvoir chasser pendant le confinement. Et le puissant lobby de la chasse a pour cela plus d’un tour dans sa gibecière… Ils ont obtenu une dérogation sous couvert de régulation et peuvent donc, à l’exception du Doubs, chasser, sur l’ensemble du territoire français, sangliers, cerfs, daims, chevreuils et petits “nuisibles” (corneille noire, le corbeau freux, le ragondin, rat…) sans limite de temps ni de pas. Les chasses dites de “loisir” sont, elles, toutefois interdites, comme la chasse à courre et la chasse au gibier d’eau.

Un communiqué ministériel rédigé le 8 novembre dernier puis envoyé sous forme de circulaire à tous les préfets contenant « des dérogations à l’interdiction générale de se déplacer, sur demande de l’autorité administrative et pour des raisons d’intérêt général ». Une circulaire que beaucoup de préfets de département se sont empressés d’appliquer (voir arrêté préfectoral  Loiret), notamment dans notre belle région du Centre Val de Loire, qui abrite ne l’oublions pas la Sologne, juteuse terre de chasse française.

Une déclinaison de la circulaire dans chaque département

Pour bien comprendre cette situation inédite, un peu de pédagogie s’impose. En France, décentralisation oblige, la chasse est gérée par les départements, via la Commission Départementale de la Chasse et de la Faune Sauvage(CDCFS), présidée par le préfet. Mais si on regarde de près sa composition, on s’aperçoit très vite que les acteurs de la chasse sont omniprésents avec dix représentants quand les associations de défense de la nature et des animaux n’en ont que deux, ce qui les empêche de peser sur les décisions prises. Un déni de démocratie que n’a pas manqué de dénoncer Marc Giraud, porte-parole de l’ASPAS, Association pour la protection des animaux sauvages, le 7 novembre sur France 2 dans On est presque en direct en parlant de « strapontin ». 

La CDCFS du Loiret s’est ainsi réunie le 4 novembre à Orléans, suivie ensuite de cet arrêté préfectoral applicable dès le 7 novembre et d’un communiqué de presse qui justifie cette chasse de régulation en rappelant « que les sangliers et les cervidés détruisent annuellement dans le Loiret plus de 2 000 hectares de cultures ce qui équivaut à plus de 2 000 tonnes de denrées ». Toutefois si l’on examine la carte des zones correspondant aux dégâts causés par le grand gibier sur les cultures en octobre 2020 et produite chaque mois par la Fédération de Chasse du Loiret, on se rend compte que seul le Sud-Est (le Giennois) est concerné, la Beauce étant épargnée.

Le cas très particulier des sangliers

Les sangliers sont en première ligne des animaux à réguler avec la préconisation d’en prélever 15 000 d’ici la fin de l’année pour le seul département du Loiret, avec le chiffre de 500 000 sangliers à tuer en France (600 000 en 2019) ! Pourtant les sangliers ont failli disparaître en France dans les années soixante-dix… Pour les associations de défense de la nature et des animaux, les chasseurs sont eux-mêmes responsables de cette explosion à la manière du “pompier pyromane”.

Le naturaliste Marc Giraud, (ASPAS), explique qu’« au cours des siècles, ils (les chasseurs) ont fait disparaître leurs prédateurs (loup, ours, lynx, renard, NDLR). Aujourd’hui encore, poursuit-il, ils disposent des grains pour attirer les sangliers et les nourrir et ça fait exploser leurs populations. Il faudrait arrêter totalement l’agrainage en France ». Une pratique pourtant très encadrée par les départements, puisque soumise à certaines règles fixées par le schéma départemental de gestion cynégétique, rédigé par la Fédération Départementale des chasseurs…

Les sangliers sont en première ligne des animaux à réguler avec la préconisation d’en prélever 15 000 d’ici fin 2020 dans le Loiret.©A.Savin (Wikimedia Commons)

Par ailleurs, explique Marc Giraud, « ils les ont élevés pendant des années à partir des années soixante-dix ». Et les chiffres parlent d’eux-mêmes : seulement 60 000 sangliers en 1977, ils sont plus de 1,5 million aujourd’hui ! Les chasseurs ont coutume d’évoquer le réchauffement climatique pour expliquer cette prolifération en expliquant que les hivers plus doux auraient pour conséquence d’avancer l’âge de la première portée d’une laie parfois avant un an. Toutefois, aucune étude scientifique sérieuse et indépendante ne semble confirmer cette hypothèse.

De son côté, le naturaliste Pierre Rigaux, est plus catégorique. Dans son blog  Défi Ecologique, il n’hésite pas à qualifier la chasse au sanglier d’escroquerie nationale : « Cette explosion des sangliers en France est due à une cascade d’effets entre chasse et agriculture depuis les années soixante-dix ». L’agriculture intensive a fortement réduit le petit gibier de chasse et a « renforcé l’intérêt des chasseurs pour les sangliers ». Le naturaliste cite également l’impact du « développement des cultures intensives de maïs [qui] a profité aux sangliers qui en raffolent ». Des dégâts “acceptés” par les agriculteurs puisque les fédérations de chasse les indemnisent, depuis la loi du 26 juillet 2000, à hauteur de 20 à 30 millions d’euros par an ces dernières années, mais la facture a explosé en 2019, elle atteint 80 millions d’euros.

Un rapport a été rendu en 2019 par le député LREM Alain Péréa et le sénateur LR du Loiret Jean-Noël Cardoux dans le cadre d’une mission parlementaire « relative à la régulation des populations de grand gibier et à la réduction de leurs dégâts ».

Du gibier chassé aussi dans des lieux clos

Par ailleurs, si on lit attentivement la circulaire ministérielle, on se rend compte que cette chasse aux sangliers ne concerne pas seulement la forêt mais également les parcs de chasse et les enclos cynégétiques, « seuls ceux couverts par un document de gestion durable au titre du code forestier (plan simple de gestion agréé, règlement type de gestion approuvé et code des bonnes pratiques sylvicoles approuvé) pourront être chassés ». On comprend que dans ce cas, il ne s’agit pas de chasse de régulation mais de chasse privée qui peut s’exercer durant toute l’année.

La grogne des chasseurs

Ces dérogations ne font toutefois pas le bonheur de tous les chasseurs. Sur les réseaux sociaux, certains appellent à une grève des fusils en refusant d’opérer les battues exigées par l’État puisqu’ils sont privés de la pleine jouissance de leur loisir, notamment pour le gibier d’eau.

Une fronde qui prend de l’ampleur et qui oblige  Willy Schraen, patron de la FNC depuis 4 ans à sortir du bois comme dans cette vidéo du 11 novembre dans laquelle il manie la carotte et le bâton pour rassurer les chasseurs, et surtout éviter les divisions : « Être privés de nos passions, c’est extrêmement difficile (…) mais on est obligés de répondre aux demandes de l’État. (…) Ces missions de service public, c’est la raison d’être de nos fédérations »,concède-t-il, tout en ajoutant qu’il serait stupide de renvoyer les chasseurs de gros gibier à la maison (…). La chasse a besoin d’unité, elle doit être soudée. »

Des alternatives à la régulation

Mais force est de constater que la régulation des sangliers a bien du mal à produire ses effets depuis plusieurs années. Selon le rapport Cardoux-Péréa, les chasseurs auraient même une attitude ambiguë vis-à-vis de cette pratique : « Il est fréquent d’entendre des chasseurs exprimer qu’ils ne souhaitent pas tirer davantage durant la saison de chasse, pour que suffisamment d’animaux soient présents l’année suivante. »

L’ONF se retrouve aussi dans le viseur des parlementaires : « Louant le droit de chasse dans les forêts domaniales, l’ONF tire un bénéfice financier de cette location et peut être poussé de ce fait à veiller à ce qu’il y ait suffisamment de cervidés sur un territoire pour qu’il soit possible de l’exploiter durablement et de le rendre plus attractif. » Du coup, les rapporteurs préconisent « d’adopter une approche globale de la problématique, de manière à identifier et traiter les causes du problème, au lieu d’en soigner uniquement les symptômes. (…) Ce n’est pas la racine du problème qui est traitée (la surpopulation de sangliers en particulier), mais ses conséquences (les dégâts), via l’indemnisation. La logique suivie jusqu’ici n’encourage pas à trouver des solutions pérennes. »

Parmi les nombreuses solutions proposées dans ce rapport, il y a l’Interdiction du nourrissage et la nécessité de raisonner l’agrainage de dissuasion mais aussi la rationalisation de l’usage des clôtures. Une préconisation que l’on retrouve d’ailleurs dans l’arrêté préfectoral du Loiret : « Les déplacements réalisés en vue de procéder à la surveillance et la réparation des clôtures électriques protégeant les parcelles agricoles sont d’intérêt général. »

La stérilisation des laies, une solution pour éviter la prolifération des sangliers ? ©MarianSz

Toujours parmi les alternatives possibles, les associations de défense des animaux défendent le principe de la stérilisation des laies. Des pétitions circulent dans ce sens sur internet mais cette solution fait débat notamment chez les chasseurs qui n’en veulent pas. Un article de Faune Sauvage indique aussi que « différents spécialistes estiment que le recours au contrôle de la fertilité du sanglier ne devrait avoir lieu que dans des situations très particulières, en complément de la chasse. » Des animaux sauvages très nombreux donc mais que les urbains ne voient quasiment jamais.

Contrairement à Corinne Morel-Darleux, écologiste qui habite en lisière d’une forêt et elle a le “privilège” de voir passer très souvent des animaux sauvages, biches, chevreuils, renards…Ce qu’elle raconte dans sa chronique du 11 Novembre 2020 pour Reporterre en concluant : « On ne peut déjà plus s’embrasser, picoler tranquillement entre amis, flâner en librairie, ni fumer dans la rue. Alors les éclairs roux et les bonds dans la brume, sérieux, laissez-les nous. »

Sophie Deschamps

Photo de Une : Les chasseurs peuvent chasser pendant le confinement © Humanité et Biodiversité

Commentaires

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  1. Génial, je n’ai plus le droit de faire du vélo à la campagne. Je vais pouvoir pédaler de nouveau… avec un fusil de chasse sur mon porte bagage !
    Ce gouvernement est dans l’improvisation permanente comme si cette deuxième vague n”était pas prévue depuis le début.

  2. Très intéressant ce point de vue sur la chasse, MagCentre fait de bons articles, pas du papier chiffon comme on voit trop souvent ailleurs, bravo !

  3. Les fourberies cynégétiques ne trompent plus grand monde, du moins, de moins en moins, tellement elles sont construites sur des incohérences. Derrière les arguments justifiant la chasse, se cachent des pathologies que la médecine pourrait peut-être nous expliquer. En tout cas, je pense que M. Willy Schraen règle un vieux conflit de famille à vouloir se venger sur les sangliers ou plutôt cochongliers. Vous ne trouvez pas qu’il y a un petit air de famille ? Un probable dérapage de croisement…… Circonstances atténuantes ?

  4. oui ,il faut interdire la chasse en enclos ou les animaux n ont aucune chance,démanteler les grillages surtout le fait de grands propriétaires parisiens qui se croient tout permis ,ne plus écouter le lobby des chasseurs et supprimer nombre d animaux de la liste des nuisibles ;le pauvre renard est dit nuisible uniquement a cause de la pression des chasseurs car ils mangent du gibier pour se nourrir et eux veulent continuer à tuer pour leur simple plaisir ;

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