Commémoration du 11 novembre 1918 : n’oublions pas l’Armée d’Afrique

par Chérif Lounès

[Tribune]

La commémoration du 11 novembre 1918 par le président de la République M. Macron qui a ranimé la flamme du soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe a été suivie en direct par des chaînes de télévision. 

A cette occasion, on aurait aimé entendre évoquer la participation de l’Armée d’Afrique et le sacrifice des soldats musulmans lors de la première guerre mondiale de 1914/18. D’ailleurs, il se peut que le soldat inconnu soit l’un d’eux. Mais cette partie de l’Histoire de France, tout comme les 600.000 ouvriers qui travaillaient dans les usines et dans les champs agricoles, reste largement méconnue par l’opinion publique. Pire, elle est même contestée depuis quelques années dans les réseaux extrémistes identitaires négationnistes et révisionnistes.

Ossuaire de Douaumont;l e carré musulman, tourné vers la Mecque.

A l’heure où les citoyens musulmans se sentent souvent malmenés par des chroniqueurs médiatiques et par des personnalités politiques notamment à la suite d’attentats terroristes auxquels ils sont étrangers, il n’est pas inutile de rappeler le rôle et le sacrifice des soldats méditerranéens. Ils étaient venus en masse des colonies “pour sauver la Patrie” et ils avaient à leurs têtes de grands officiers coloniaux. Et ce sont ces derniers dont le Maréchal Lyautey qui seront à l’origine de la construction de la Grande Mosquée de Paris inaugurée en 1926 en reconnaissance de des dizaines de milliers de morts Musulmans lors de ces hécatombes de cette guerre appelée “la Der des Ders”.

Auparavant, il avait été inauguré l’hôpital Musulman de Neuilly, voici des extraits de l’allocution prononcée par le président Poincaré le 9 juillet 1915 : « Je n’aurais pas voulu laisser s’ouvrir la première ambulance fondée sous les auspices des Amitiés musulmanes sans apporter à votre association, à tous ses collaborateurs et, en particulier, au personnel médical et hospitalier de cet établissement, l’expression de la reconnaissance et les félicitations du Gouvernement de la République, le vaste empire musulman est en même temps qu’un grand réservoir de richesse, un immense foyer d’énergie humaine […]. J’ai eu maintes fois l’occasion de voir sur le front des armées, des « indigènes » d’’Algérie, de Tunisie ou du Maroc. Partout, ils se sont signalés par leur dévouement et leur vaillance. Tout récemment encore, la division marocaine se couvrait de gloire au nord d’Arras. J’adresse à tous ces braves gens le salut de la France. Ils ont aujourd’hui une part dans nos deuils et dans nos sacrifices ; ils auront une part dans la victoire ; ils devront avoir aussi une part dans la gratitude du pays

Il importe de rappeler parlant de « gratitude » qu’on a attendu l’année 2006, soit 90 ans après la terrible bataille de Verdun, pour édifier un Mémorial Musulman non loin des centaines de tombes des soldats africains de l’ossuaire de Douaumont jouxtant celles de leurs frères d’armes chrétiens. 

Voici un bref historique de leur participation à ces combats (*):

A Verdun comme sur le Chemin des Dames les actions de l’Armée d’Afrique furent glorieuses. En 1916 nous assistons à la première défaite allemande : le Fort de Douaumont est repris par le Régiment d’Infanterie Colonial du Maroc, le 4ème Régiment de Zouaves, le 4ème Régiment Mixtes de Zouaves et Tirailleurs et le 8ème Régiment de Tirailleurs Algériens. Le Père Teilhard de Chardin, jeune brancardier au 8ème R.T.A a jugé cette bataille en se demandant : 

Je ne sais par quelle espèce de monument le pays élèvera plus tard en souvenir de cette lutte.”

Bien que les chiffres ne soient pas très précis, sur les 475.000 hommes de l’Armée d’Afrique près de 200.000 étaient des musulmans d’Algérie, 50.000 tunisiens, 35.000 marocains, 13.0000 sénégalais, 30.000 malgaches, 40.000 indochinois et 3.000 somalis. Pour les seules pertes algériennes, on parle de 56.000 morts, 80.000 blessés et 9.000 mutilés. Il se peut même que le soldat inconnu reposant sous l’Arc de Triomphe soit l’un d’eux. 

A la fin de la première guerre mondiale, à laquelle pris part l’émir Khaled officier saint-cyrien et petit fils de l’émir Abdelkader, les emblèmes de l’Armée d’Afrique, brillaient d’honneur bien gagnés. Sur les 21 régiments s’étant vus décernés 6 citations à l’ordre de l’armée, pendant la guerre 14-18, on trouve 9 corps de l’Armée d’Afrique.

Chérif Lounès

Ancien cadre de la fonction publique, ancien réserviste membre honoraire de l’Armée, fils d’un ancien combattant 1939/45 au sein de l’Armée d’Afrique et libérateur de la France après le débarquement de Provence. Universitaire diplômé de droit et de criminologie 

(*) chiffres donnés par l’ouvrage « L’Armée d’Afrique 1830-1962 » sous la direction du générai Huré, édition Lavauzelle 1977

Commentaires

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  1. Merci pour ce rappel ô combien utile et pour ce bel article. A ce propos puisque nous sommes sur l’actualité dela région Centre je vous signale que l’association interculturelle Diwan-Centre a publié l’an dernier sur son site un article très long et très documenté sur ce carré ” musulman” du Grand cimetière d’Orléans : 73 soldats maghrébins morts pour la France, dans les hôpitaux de la Métropole . Les recherches ont été menées en collaboration avec les archives municipales et l’article est en ligne sur leur site. N’hésitez pas à le lire et à le partager largement.
    https://www.diwan-centre.net/billet/2201/cinquante-huit-poilus-maghrebins-morts-pour-la-france-a-orleans/

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