Alors que les coopératives funéraires tendent à se développer en France, mardi 27 octobre, l’association « Pour une alternative funéraire » a vu le jour, à Yèvre-le-Châtel (Loiret). Un préalable à la mise en place d’une coopérative funéraire dans notre région. Ecologie, économie circulaire, culture, budget… il s’agit d’être au plus près des familles pour leur proposer du sur-mesure en fonction de leurs besoins, possibilités et attentes.
Les membres de l’association “Pour une alternative funéraire” se sont donné rendez-vous au cimetière de Yèvre-le-Châtel, dans le Pithiverais (Loiret) le 27 octobre 2020 pour officialiser le lancement de leur projet de coopérative funéraire de l’Orléanais. Plus précisément devant la sépulture de l’artiste Denis Charignon sculptée par Jean Anguera. ©Elodie Cerqueira
L’après-midi est froid, venteux et pluvieux au cimetière de Yèvre-le-Châtel (Loiret), ce mardi 27 octobre 2020, dans le Pithiverais. Mais il en faut plus pour décourager les membres fondateurs de l’association « Pour une alternative funéraire ». Ils se réunissent en petit comité, conditions sanitaires obligent, pour lancer l’association qui est la première brique du projet ambitieux de la création d’une coopérative funéraire dans le Loiret. Cette dernière prendra la forme d’une SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif), d’ici un an.
L’assemblée générale constitutive se déroule dans la foulée, dans l’incroyable atelier de l’illustratrice du célèbre duo Tom-Tom et Nana, Bernadette Deprés, à Givraines, à dix minutes plus loin en voiture. Nathalie Grenon, administratrice d’associations d’éducation populaire, impliquée dans la conservation, la protection et la valorisation du patrimoine et ancienne directrice du Cercil (musée mémorial des enfants du Vel d’Hiv), est à l’initiative du projet. Elle explique que ces lieux n’ont pas été choisis au hasard : « Dans le cimetière de Yèvre-le-Châtel, il y a une sépulture qui est une sculpture de Jean Anguera, qui a été commandée de son vivant par Denis Charignon [décédé le 2 janvier 2017, NDLR], artiste et mari de Bernadette Després, maman de Tom-Tom et Nana, qui sera la marraine de toute cette histoire… »
Bernadette Deprès, illustratrice de Tom-Tom et Nana, avec sa fille Lucile, accueille les membres fondateurs de l’association “Pour une alternative funéraire” le 27 octobre 2020, dans sa maison à Givraines (Loiret). ©Elodie Cerqueira
« Cette histoire », Nathalie y pense depuis longtemps. Ses expériences personnelles et professionnelles l’ont amenée à s’interroger sur la question de la mort et des rites funéraires : « Aujourd’hui on constate un déni de la mort, elle est devenue un problème à résoudre. » L’idée est de déconstruire les idées reçues autour de la mort et des funérailles, lever les freins culturels et psychologiques, de « recréer un réseau de confiance et de valeurs au service des familles endeuillées, défendre ce qui est important pour elles. Un modèle d’entreprise de pompes funèbres qui favorise l’implication citoyenne ».
Elle démarre l’étude du projet avec 35 interviews en octobre et novembre 2019 auprès « de gens très différents : religieux, pas religieux, agnostiques, athées, des gens qui avaient été confrontés à la mort, d’autres pas du tout, des plus ou moins jeunes, des plus ou moins vieux… pour vérifier qu’il y avait un intérêt ». Et le constat est souvent le même : « Il y a un sentiment d’inachevé, d’avoir subi ou de n’avoir pas bien compris ni accompagner le défunt, ni l’entourage. De ne pas avoir fait “société” autour de cet événement. »
Un sondage de l’Observatoire de la laïcité à l’institut Viavoice, publié en février 2019, révèle qu’en France, il y a 37% de croyants, 31% de non-croyant ou d’athées, 15% d’agnostiques et 10% sont indifférents. « La religion sert à étayer le deuil, elle sert à dire à la personne qu’elle n’est pas seule dans le chagrin, que nous allons partager ce chagrin. Mais quand on est sans religion, comment on fait ? », s’interroge Nathalie. Et d’ajouter : « On a inventé le mariage civil mais la République n’a pas été capable d’inventer un rite républicain ! »
“A chacun sa croix”, celle des fondateurs de l’association “Pour une alternative funéraire” est de créer La Coopérative funéraire de l’Orléanais d’ici fin 2021. Ici au cimetière de Yèvre-le-Châtel (Loiret). ©Elodie Cerqueira
Ainsi l’idée naît de créer une coopérative funéraire, une alternative aux pompes funèbres privées. Mais la tâche est complexe et demande différentes étapes de fonctionnement et de réflexion pour sa mise en place. Alors avec Claire, Odile, Sylvie, Jacqueline, Nino-Anne, Philippe, Yves-Marie et bien d’autres, ils sont 27, Nathalie Grenon décide de fonder une association, dans le but « de s’assurer que les conditions nécessaires au fonctionnement de la coopérative funéraires soient réunies. C’est aussi le moyen de mesurer l’écho du projet sur le territoire en proposant en particulier une programmation culturelle en préambule du lancement de l’activité funéraire ».
L’un des fers de lance de l’association est aussi de proposer un lieu. Force est de constater qu’on ne meurt plus chez soi et que les veillées funèbres sont de plus en plus rares. Cela représente une des nombreuses raisons qui motivent les fondateurs à construire une “Maison des Adieux” au sein de la Métropole orléanaise, « une salle sobre et chaleureuse ». Nathalie insiste sur ce point car « hormis pour ceux qui souhaitent une crémation, les autres ne disposent pas de lieu pour se réunir, commémorer, honorer, se remémorer et accompagner ceux qui restent, sur le chemin de la séparation ».
Une démarche éco-responsable, sociétale et solidaire
Nathalie Grenon, responsable du développement au sein de l’association “Pour une alternative funéraire” présente non sans enthousiasme le colombarium du cimetière de Yèvre-le-Châtel. ©Elodie Cerqueira
Outre les questions d’organisation et d’accompagnement, il ressort des interviews menées par Nathalie Grenon que la majorité des gens s’interroge sur l’impact environnemental des funérailles et des mesures à prendre pour réduire l’empreinte écologique : crémation ? inhumation ? cercueil en matériau recyclable ? caveau en béton ou pleine terre ? favoriser les pierres locales plutôt que le granit venu de l’autre bout de la planète ? déployer les cimetières paysagers ? autoriser les forets cinéraires ? impact des soins de conservation ? Autant de questionnements malheureusement souvent sans réponse auxquels l’association (et la coopérative en devenir) ambitionne de répondre en portant à la connaissance du public les possibilités légales mais aussi en bougeant les lignes en étant force de propositions auprès des élus.
Dans cette dynamique, l’association lance une étude indépendante avec des institutions de la Région Centre-Val de Loire et des laboratoires pour analyser le cycle de vie de chaque type de cercueil, en fonction de leur destination (crémation ou inhumation), pour permettre de choisir en conséquence, voire in fine de relocaliser la fabrication des cercueils.
L’association s’inscrit aussi dans une démarche sociétale. Ainsi, des rencontres seront organisées avec les publics autour de conférences, d’événements culturels ou de cafés mortels, des visites de sites, des soirées autour des rites funéraires des autres cultures, pour échanger. Enfin, un groupe de travail sera dédié à l’étude des obsèques des plus démunis pour permettre ainsi aux familles les plus précaires d’organiser décemment les funérailles de leurs parents sans tomber dans la spirale de l’endettement ou dans la culpabilité.
La coopérative fonctionnera sous forme de SCIC « afin de pouvoir y intégrer en plus des bénévoles et des bénéficiaires, les collectivités territoriales, les associations, les fournisseurs…, explique Nathalie. L’association de préfiguration de la coopérative étant créée, nous accueillons maintenant toutes les personnes qui souhaitent nous rejoindre (…) pour se joindre à notre réflexion, pour apporter leur expérience, leur expertise, ou tout simplement pour apporter leur pierre à un travail collectif et participer ainsi au changement des pratiques funéraires ». À bon entendeur… La coopérative devrait voir le jour fin 2021, « si tout se déroule comme nous le souhaitons », conclut Nathalie.
Elodie Cerqueira
Photo de Une : Cimetière paysager de Frédeville à Saint-Jean-de-Braye (Loiret), un havre de verdure et de paix pour le repos éternel. ©Elodie Cerqueira
Les coopératives funéraires
À l’origine des coopératives funéraires, il y a le Québec. Elles s’y développent depuis les années quatre-vingt et représentent près de la moitié du marché funéraire canadien.
En France elles se multiplient. Aujourd’hui il en existe quatre : Nantes, la première née en 2016, puis Rennes, Bordeaux et tout récemment Dijon. À cela s’ajoutent les associations de Strasbourg, Angers, Caen et désormais Orléans, coopérative en devenir.
Leur modèle économique est désintéressé. Les familles deviennent sociétaires et prennent ainsi part au développement de l’entreprise. Un modèle coopératif qui assure la transparence sur les prix proposés, dans une démarche éthique. Un principe : une personne = une voix. Ainsi la coopérative œuvre avant tout dans l’intérêt des familles. Les gains sont réinvestis pour pérenniser la structure.
Pour plus d’information :
Coopératives funéraires : six bonnes raisons de leur confier des obsèques