Sécurité oblige, le Ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin et sa déléguée à la citoyenneté, Marlène Schiappa sont les têtes d’affiche de la politique gouvernementale. Dans une interview donnée le 6 septembre dernier au journal Le Parisien, le Ministre déclare : « Nous allons nous attaquer aux certificats de virginité […] On va non seulement l’interdire formellement, mais proposer la pénalisation ». Qu’en est-il exactement de cette pratique effarante et humiliante ?
Un affichage médiatique
Dans le futur projet de loi contre les « séparatismes », essentiellement dirigé contre les dérives islamiques, il est proposé d’y faire figurer une sanction d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende pour les médecins qui délivreront des certificats de virginité.
Depuis 2003, le Conseil national des médecins considère qu’« un tel examen n’ayant aucune justification médicale et constituant une violation du respect de la personnalité et de l’intimité de la jeune femme, notamment mineure, contrainte par son entourage de s’y soumettre, ne relève pas du rôle du médecin. Le médecin doit refuser cet examen et la rédaction d’un tel certificat ».
Après plus de 35 ans d’activité dans un quartier orléanais qualifié de « difficile » et plus de 150 000 consultations, un médecin généraliste, aujourd’hui retraité, rappelle qu’il n’a recensé que deux démarches de ce type dans toute sa carrière. La Docteur Naïma Bouraki, généraliste orléanaise dans la maison médicale du quartier de l’Argonne assure : « Je n’ai eu pour ma part que très peu de demandes. » La gynécologue Parvine Bardon affirme : « dans ma longue carrière de gynécologue (40 ans), je n’ai eu que 2 ou 3 demandes de tels certificats de virginité. » Au Planning familial orléanais, la Présidente, Monique Lemoine, confirme l’absence de ces requêtes.
Si de telles démarches ineptes existent, elles restent extrêmement rares en pratique médicale. Cette annonce de sanction s’apparente plus à un alibi pour procéder à un affichage médiatique qu’à une authentique action de lutte contre un islam radical, aujourd’hui « ennemi public numéro un » de notre République.
Virginité et chasteté
Toutes les religions monothéiques font référence à la virginité féminine et exigent la chasteté avant le mariage. Les médecins interrogés signalent des demandes de certificats de virginité provenant de Tsiganes où la religion chrétienne et la virginité de leurs filles non mariées tiennent une place centrale. Dans la Ketouba juive, qui regroupe l’ensemble des obligations du fiancé vis-à-vis de sa future épouse, la virginité est un élément très important et codifié.
Le chapitre 22 du Deutéronome fait allusion aux nécessaires preuves de virginité féminine alors que ce livre appartient à l’Ancien testament des catholiques et à la Torah judaïque. Les moyens qui permettent de vérifier cette virginité existent dans tous les cultes. La virginité, érigée en norme religieuse, n’est pas spécifique à l’islam.
Le virginité, une norme sociale
C’est une membrane vaginale, l’hymen, qui est censé affirmer la virginité féminine. Or son anatomie est variable d’une femme à l’autre. Dans le Dictionnaire de l’Académie Nationale de Médecine, on peut lire : « À partir de la puberté, l’hymen peut être suffisamment souple et élastique pour permettre des rapports sexuels complets sans déterminer de lésion traumatique. Son intégrité n’est donc pas synonyme de virginité ». En dehors de tous contextes religieux, la virginité féminine est une norme sociale universelle alors que la virginité masculine n’est qu’exceptionnellement un sujet.
Dans certaines cultures, la jeune fille n’est pas seule en cause dans la garantie de sa virginité. C’est l’ensemble de la famille ou du clan qui se considère impliqué et revendique sa protection. Cette attitude anachronique est malheureusement encore à l’origine de prétendus « crimes d’honneur ». Ce sont des meurtres perpétrés sur de jeunes femmes refusant de se soumettre à l’autorité paternelle et déshonorant ainsi toute la structure familiale. Ces crimes illustrent dramatiquement un obscurantisme crasse et le fait qu’il existe encore un archaïque reliquat de la « patria potestas » chez certains pères, avec la complicité honteuse des épouses. La protection de la virginité de leurs filles est un pouvoir inique dont ils ne veulent pas être spoliés même au prix d’assassinats odieux. Ces scandaleux féminicides sont toujours pratiqués dans un climat de contrôle et d’appropriation du corps des femmes.
Domination masculine ancestrale
Les praticiens qui déclarent accepter de signer des certificats de virginité, même sans examen, argumentent qu’ils protègent ainsi les jeunes femmes victimes de ces demandes d’une pression familiale délétère et d’éventuelles représailles. La présidente du planning familial du Loiret juge qu’ils sont dans l’erreur. « C’est peut-être une marque d’empathie, de gentillesse mais ils encouragent et perpétuent ainsi cette pratique ».
La Docteur Bouraki pense qu’il faut discuter avec les mères car « la plupart du temps la maman comprend qu’il ne faut pas faire subir (à sa fille), ce qu’elle a subi ». La Docteur Bardon confirme : « Je reste ferme sur mon refus absolu de faire le certificat, en dehors évidemment de violences sexuelles subies. » La virginité féminine reste un symbole fort, une illustration d’une domination masculine ancestrale qui considère la femme comme un objet et non comme un sujet libre de disposer de son corps. Beaucoup d’hommes ne peuvent toujours pas admettre que les femmes soient des êtres libres et autonomes.
Éducation sexuelle et affective
Alors que faut-il faire pour en finir avec ces comportements discriminatoires, dégradants et attentatoires ? « Sanctionner les médecins ne résoudra rien, c’est l’éducation sexuelle et affective ainsi que l’apprentissage de la mixité et de la laïcité qui doivent être privilégiés », affirme la Présidente du Planning familial loiretain.
La gynécologue Parvine Bardon accepterait que les demandes de certificats de virginité soit signalées au procureur : « C’est la meilleure façon que cette demande déjà rare disparaisse complètement mais cela ne réglera pas le problème de fond ». La généraliste Naïma Bouraki pense que pour les musulmans « les imams ont leurs places pour faire évoluer les mentalités chez les migrants de première génération ».
Ces femmes, impliquées dans la vie sexuelle et génitale de leurs congénères, sont certaines que « le dialogue, l’information, la discussion, les groupes de parole, dès le plus jeune âge, dans les écoles, les collèges, les lycées et évidemment à chaque consultation médicale quel qu’en soit le motif » sont les meilleurs moyens. L’un des médecins déplore : « C’est bien du buzz médiatique dont les politiques sont friands sans s’attaquer aux vrais problèmes de fond » et l’autre de conclure : « D’une façon générale la place de la femme dans notre société au XXIe siècle fait malheureusement toujours débat… ».
Jean-Paul Briand