“Aria da capo”, de Séverine Chavrier : un très beau montage théâtral sur des jeunes musiciens

Mercredi soir, Séverine Chavrier, directrice du Centre Dramatique National d’Orléans et metteuse en scène de spectacles, présentait son Aria da capo. Une sorte de grand témoignage sur quatre jeunes apprentis musiciens transmis dans une forme originale, riche d’éléments actuels qui construisent une expression entre cinéma et théâtre, rajoutant la force de l’image au texte dit.

Photo France 3

Sur scène, deux cages grillagées avec de grands miroirs sur certains cotés, un drap blanc au-dessus et quelques touches de couleurs, un piano sur le côté. On découvrira plus tard que derrière, il y a des chaises alignées comme en attente de spectateurs. Dans les cages sont allongés, ensemble ou par deux, trois ou seuls, quatre grands adolescents qui bien sûr ont sous la main tous les moyens modernes de communication, donc plusieurs possibilités de se filmer et de regarder les films des autres. Ils discutent sur leur lit, ils répètent puisque ce sont tout quatre des élèves musiciens, bien avancés quand même.

Un monde plein d’images

Séverine Chavrier dit de son travail avec eux : « Ils ont tenu un journal de répétition ; chaque jour, ils devaient raconter ce qu’ils avaient vécu. »  Avec leur langage de tous les jours, souvent des mots crus, des injures ou des interjections obscènes qui ont envahi toutes les classes sociales, ils parlent aussi bien de la drague (et de la drogue) que de la musique, de leurs soucis que de leurs plaisirs, de l’avenir que de leurs profs. Très cultivés en musique, ce qui se comprend de par leurs études, mais pas seulement. Très doués en tout cas. Et très sollicités par le monde plein d’images qui les entoure et qu’ils manient avec dextérité.

Photo CDNO

Sur scène, un dispositif complexe et beau

La metteuse en scène récupère ces ouvertures en les projetant sur toutes les parties du décor qui forment écran. Ils se filment entre eux et leur visage en très gros plan est projeté sur toute la largeur de la scène, ou en plusieurs images au bord de leurs chambres-cages. Ils regardent leur téléphone et on voit en grand ce qu’ils voient en petit. Ce dispositif complexe de projection fonctionne à merveille. On l’a vu apparaître il y a quelques années, dans des utilisations parfois systématiques plus agaçantes qu’expressives. Mais là, tout trouve sa place et son rôle. Et correspond complètement au propos tenus par ces jeunes, par ce spectacle.

Vers où, vers quoi ?

Qui, au-delà des narrations de la vie quotidienne, pose quelques grandes questions de la société, de ses jeunes en construction à la fois inquiets, concentrés mais souvent sollicités ailleurs, réfléchissant à leur manière au sens de tout ça, aux efforts à donner pour devenir de grands musiciens et à tout ce qu’ils loupent à cause de ces difficultés. Parfois perdus, ils se tournent vers les grands aînés de la musique. Et de temps à autres, couverts du masque de la vieillesse, ils imitent (en vrai, sur scène, comme en images filmées) les grands chefs d’orchestre, les grands solistes, qui pourtant très vieux, ont les mêmes contraintes qu’eux ! Et qui affirment, dans des sentences implacables, de grandes « vérités » terrifiantes. C’est ça qu’ils vont devenir ? C’est ça leur modèle ?

Photo CDNO

Intelligence du propos

En fait, ils sont terriblement touchants, ces quatre jeunes qui brillent par leur intelligence, leur culture et leur impressionnante lucidité. Amis dans la vraie vie (et tous les quatre élèves au conservatoire d’Orléans) ils ont gardé leur vrais prénoms dans le spectacle. Et cela contribue à l’authenticité : manifestement, ils parlent d’eux, ce n’est pas un texte écrit par un dramaturge et récité par un acteur. D’où une profonde émotion théâtrale.

Ce spectacle inscrit dans son temps domine magnifiquement ses propres ressources et parvient à en tirer une force créatrice totalement au point. Il y a des docu-fictions, on pourrait dire ici docu-montage théâtral. Cette forme mise en place par Séverine Chavrier relève du montage cinématographique : les masques de vieillesse qui reviennent, les images qui rappellent un moment précédent, les mises en exergue de certains propos, certains visages. Tout ce travail avec un souci de cohérence et d’esthétisme. Et avec l’aide – mais ça va de soi – de ces quatre jeunes qui se sont investis et qui crèvent l’écran.

Bernard Cassat