[Billet]
Monsieur le Président,
Ce 22 septembre, vous avez rendu visite aux résidents de l’Ehpad de la Bonne Eure, à Bracieux, en Loir-et-Cher. Je tiens à vous remercier chaleureusement de ne pas avoir invité Magcentre, qui a l’habitude de rendre compte des actualités de la région. Vous avez préféré contacter uniquement quelques « grandes » rédactions nationales, dûment sélectionnées, pour couvrir ce non-événement.
Merci de nous avoir prévenus si tard que nous n’avons pas pu nous accréditer. Si tard que nous n’avons même pas eu à réfléchir à cette éventualité. Car, en cas d’invitation respectueuse, nous aurions probablement dû faire des choix éditoriaux qui nous auraient certainement amenés à sacrifier de vrais sujets d’actualité. Pour notifier votre agenda et faire votre communication, nous aurions dû priver nos lecteurs d’informations. Car il va de soi que nous serions rentrés bredouilles, tant l’intérêt journalistique est mince de coller aux basques des politiques quand ceux-ci n’ont rien de particulier à dire.
Merci, donc, d’avoir pris soin de ne pas accentuer ma charge mentale. Vous m’avez épargné la tentation de remuer la « petite » équipe de notre « petite » rédaction régionale indépendante, pour envoyer sur place, quoi qu’il en coûte à notre organisation, un (ou une) pigiste avec des vraies questions. Vous savez, celles qui dérangent et informent. Ce pigiste serait en effet revenu sans réponse, désabusé voire déprimé… Et il aurait fallu lui remonter le moral, le rassurer quant à ses capacités journalistiques après un tel échec.
Merci aussi, au passage, de m’avoir épargné les remords, au cas où, dans la foulée du passage de votre cortège médiatique et politique dans cet établissement, un cluster émergeait et prenait la vie d’un p’tit vieux ou d’une p’tite vieille qui aurait attrapé la Covid. Je ne le souhaite pas mais si jamais… “à la Bonne Eure !”, ce ne sera pas de ma faute ! Vous imaginez, tout ça pour ça : des questions filtrées (voire pas de questions), de longues heures d’attente et de courtes minutes de discours pour ne rien apprendre à nos lecteurs !
Cela étant, je ne vous cache pas que quand on empêche un journaliste d’aller et venir ou de poser des questions, son imagination peut lui jouer des tours… « Macron n’a-t-il pas choisi de tester, dans le Loir-et-Cher, l’efficacité du tout récent Schéma national du maintien de l’ordre, celui qui prévoit de museler les journalistes. Après tout, avec des vieux en Ehpad, c’est moins risqué en phase de test qu’avec les Gilets Jaunes ! » « Non, il est sûrement venu montrer qu’il reste des Français, au moins parmi les vieux et les personnels soignants, soucieux de porter des tenues républicaines ! » « Ou alors… » Je vous prie de m’excuser si je mélange tout mais comme je n’ai pas pu poser de questions, j’ai bien du mal à contenir mes questionnements !
Bref, « Dieu merci !», votre mépris du droit d’informer n’entravera pas notre volonté de chercher de vraies informations. Tout juste nous amène-t-il, face aux politiques qui partout usent de tels abus de pouvoir, à nous reposer cette question essentielle : notre responsabilité journalistique est-elle de courir après le fauve ou de s’inquiéter de ses proies ?
Je vous prie de croire, Monsieur le Président, en ma sincère considération.
Elodie Cerqueira
Photo de Une : À défaut de pouvoir être présents, nous avons demandé une photo mais le service presse de l’Élysée « n’autorise pas la diffusion de photos pour de tels événements ». ©…