[Enquête] L’éclosion de l’écotourisme

Enquête réalisée par Lucas Bouguet, Émilie Chesné et Marie Désévédavy, journalistes en formation à l’École publique de journalisme de Tours.

Faut-il encore prendre l’avion ? Doit-on voyager autrement ou même peut-on encore voyager ? En ce début d’été, après la crise sanitaire, on parle beaucoup d’écotourisme. En Centre-Val-de-Loire, il se développe tranquillement. Mais pas facile de changer ses habitudes.

Jardin du château royal d’Amboise. Lucas BOUGUET/EPJT

La Touraine est connue pour son patrimoine historique et naturel, notamment ses nombreux châteaux. Ce voyage commence dans les jardins de l’un d’entre eux. Depuis les terrasses du château d’Amboise, la vue sur la vallée est à couper le souffle. Au Sud, s’étend le lit de la Loire. À l’Est, les remparts surplombent la ville d’Amboise. À l’Ouest, le château qui abrite bien plus que deux siècles d’histoire. Faune et flore cohabitent dans les espaces verts qui entourent la royale demeure.

En septembre 2019, le parc de 1,5 hectare, déjà labellisé Jardins remarquables, a été inscrit aux refuges de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Ce nouveau projet est né de l’envie des jardiniers du château de renforcer la protection des animaux présents sur le site. La LPO a alors réalisé une étude en vue de la labellisation, à la suite de quoi, elle s’est prononcée favorablement.

Hirondelles, merles ou encore rouges-gorges…, ce sont près de 82 espèces d’oiseaux qui habitent le site. Des perchoirs et une vingtaine de nids artificiels ont donc été installés afin de les préserver. Cette labellisation entraîne aussi le respect de consignes spécifiques. Par exemple, la taille des arbustes est réglementée afin de ne pas détruire des nids.

Calme, découvertes et concerts…

Fier de cette valorisation, le château incite ses visiteurs à profiter du calme et de la nature : des salons de jardins sont à disposition, les pique-niques sur les pelouses sont autorisés et des parcours pédagogiques vont être mis en place pour la rentrée de septembre. Ces derniers instruiront les touristes quant aux plantes et aux oiseaux du site.

En plus de faire découvrir son histoire et ses espaces naturels toute l’année, le château organise ponctuellement des événements de plus grande ampleur. Par exemple, en septembre 2019, pour la première fois, le château royal d’Amboise a accueilli un concert électronique sur ses terrasses. Près de 700 spectateurs y ont assisté. Les musiciens étaient installés sur une scène, face aux façades Nord et Est du château. Alors que c’est sur celles-ci que nichent les hirondelles qui vivent sur le site.

Samuel Buchwalder, chargé de la communication du château royal d’Amboise. Lucas BOUGUET/EPJT

Des concerts, comme le Château machine, ne sont-ils pas de nature à déranger la tranquillité de la faune locale ? À cette question, Samuel Buchwalder, chargé de communication du château répond : « Il y a eu des études de bruit. Bien sûr que nous nous sommes posés la question. » 

La LPO estime, au contraire, que de tels événements dérangent la tranquillité des hirondelles. L’association s’est donc rapidement rendu compte que le château présente des manquements sur la gestion de la faune.

Après la tenue du concert, la LPO a cherché à trouver un compromis avec les gérants du château pour limiter l’impact des spectacles. Mais les conseils donnés en janvier 2020 par l’organisme n’ont pu être appliqués à cause du confinement national, lié à la Covid-19. Loin de s’en attrister, la LPO espère que la baisse de fréquentation du site patrimonial aura un impact positif sur le nombre de nids d’hirondelles occupés.

Avec sa labellisation LPO, l’attractivité du château d’Amboise a connu un rebond. Des ornithologues viennent observer les espèces rares qui vivent sur le site. Par exemple, en novembre dernier, ils ont eu la chance d’apercevoir et de photographier des Tichodromes échelettes.  

Ce que nous apprend l’histoire du château d’Amboise, c’est que la protection de la nature par les acteurs du tourisme comporte des limites : celles des enjeux économiques et politiques. Toute la difficulté pour les hommes et les femmes qui développent ce modèle est de rendre leur projet rentable tout en respectant la nature.

Ecotourisme VS tourisme de masse

À trente minutes d’Amboise, Tours est la principale porte d’entrée des touristes internationaux dans la région. Son aéroport reçoit des subventions de la métropole pour développer des liaisons aériennes. Cette ambition est en complète opposition avec la promotion d’un tourisme plus vert dans la région.

Benoît Faucheux, conseiller régional et consultant en transition

écologique et environnement. Lucas BOUGUET/EPJT

Plutôt que de financer le tourisme de masse, Benoît Faucheux, en sa qualité de conseiller au service de la région Centre-Val-de-Loire, propose que le territoire se concentre principalement sur les touristes français. Il souhaiterait que les réseaux de transports nationaux et régionaux se développent plutôt que les lignes internationales. Tout en favorisant des mobilités plus douces, cela permettrait aux Français de (re)découvrir le patrimoine de l’Hexagone.

Pour les Parisiens, par exemple, il est possible de se rendre à Tours en train en moins de deux heures. Pour les plus courageux, une piste cyclable de 800 kilomètres, nommée La Loire à vélo, permet de traverser la région à vélo. Un modèle touristique plus respectueux de l’environnement est donc possible.

La loire à vélo, aménagements de pistes cyclables qui longent le Cher dans l’Indre et Loire près de Villandry. DR

C’est sur cette même voie que s’engage l’office du tourisme de Tours. Carole Archambault y est chargée du développement de l’écotourisme. Plusieurs collaborations ont alors été créées pour sensibiliser à cette alternative.

Par exemple, depuis 2016, cet office de tourisme est le seul de France à avoir un partenariat avec l’association Teragir, maison mère du label Clef verte. Ce label est considéré comme le premier en matière de tourisme durable. Il est attribué aux hébergements touristiques et aux restaurants. Le partenariat avec l’office de tourisme permet alors de sensibiliser et d’accompagner les hébergeurs de la région jusqu’à la labellisation.

Office de Tourisme de Tours, Carole Archambault, chargée du développement de l’écotourisme. Marie DESEVEDAVY/EPJT

Pour aller plus loin dans cette démarche, l’office de tourisme a mis en place un instant Clef verte, en mars 2020. L’objectif de cet événement est de valoriser et de mettre en avant des hébergeurs respectueux de l’environnement et les bonnes pratiques des acteurs touristiques de la région. À cette occasion, la presse et les élus sont conviés pour porter la bonne parole du tourisme vert.

Sensible au respect de la nature, Carole Archambault veut aussi encourager les locaux à se tourner vers « une démarche verte, plus éco-responsable, dans un environnement moins énergivore ». De fait, elle a lancé, en 2018, une collaboration avec Grégoire Paquet, écoguide de l’association Val-de-Loire Écotourisme, basée à l’île Bouchard, au sud de Tours.

Trois sorties nature ont été mises en place. L’une pédestre, la deuxième à vélo et la troisième en bateau. Ces balades, animées par l’écoguide, alliaient contenus pédagogiques, géologiques et patrimoniaux. Mais en 2019, les sorties à pied et à vélo ont été annulées faute de participants. Elles n’ont donc pas été reconduites.

Seule l’activité bateau, qui a attiré plus d’une vingtaine de personnes, a été conservée pour l’année 2020. Six balades sont prévues entre le 13 juin et le 5 septembre. Cette escapade comprend une visite de la ville à pied, suivie d’une heure en bateau traditionnel sur la Loire, avant de terminer par un apéritif sur l’embarcation. Les inscriptions sont limitées. En effet, les groupes de petite taille permettent de s’intégrer plus facilement à la nature, de l’observer sans la détériorer.

En mai, l’office de tourisme de Tours a aussi rejoint le réseau des Acteurs du tourisme durable (ATD). Sur son site internet, cet organisme, qui regroupe 109 membres, se définit comme le représentant français des acteurs du tourisme durable. Pour l’office de tourisme, faire partie de la famille ATD lui permet de mieux faire connaître ses actions écotouristiques.

Grégoire Paquet devant les locaux de Val de Loire Ecotourisme Lucas BOUGUET/EPJT

Dans la forêt de Chinon, Grégoire Paquet privilégie l’éducation à l’environnement et sa protection à la rentabilité. Il y organise des week-ends brame du cerf entre le 15 septembre et le 15 octobre, période de reproduction de cet animal. Les participants sont accueillis le samedi à 14 heures et sont libérés le dimanche à 10 h 30.

Pour profiter de ces vingt heures en pleine nature, il faut débourser 179 euros par personne. L’originalité de cette activité, qui mêle découverte de la nature et pédagogie, attire : les réservations sont complètes depuis plus d’un an.

Grâce à la demande, Grégoire Paquet pourrait facilement augmenter le nombre de participants à chacune de ces sorties. Économiquement, cela serait beaucoup plus rentable pour son association Val-de-Loire Écotourisme. Mais l’écoguide martèle sa volonté de réduire l’empreinte de l’homme sur la nature.

Il restreint donc les groupes à quatre personnes. Et enfonce le clou : « Si demain un groupe de vingt personnes m’appelle pour me dire qu’il veut faire un week-end brame du cerf, je refuse. » C’est aussi le meilleur moyen, pour les touristes, de partager un moment totalement unique.

Grégoire Paquet est sceptique quant à l’évolution de l’écotourisme qui pourrait n’être, selon lui, qu’un effet de mode. « Tout le monde parle d’écologie. C’est un business vidé de son sens », se désole-t-il. De fait, l’écologie est parfois instrumentalisée à des fins marketing. Le tourisme n’échappe pas au greenwashing.

Certains voyageurs essaient cependant de faire du tourisme vert par leurs propres moyens. Se lancer dans un voyage à pied ou à vélo est un bon moyen pour réduire son empreinte écologique. 

Anne-Laure Lemener, étudiante rennaise, s’est lancée dans l’expérience Saint-Jacques-de-Compostelle, du 1er mai au 16 juillet 2019. Ce voyage de plus de deux mois l’a changée. Pour la première fois, elle a pris son temps, tant dans ses échanges avec les autres que dans ses déplacements. « Ça m’a montré qu’un pays se visite autrement qu’à travers ses grandes villes, que les rencontres sont d’autant plus profondes », raconte-t-elle.

Olivia Kölher – connue sur les réseaux sociaux comme leptitreporter – est une photographe-reporter globe-trotteuse française. Lors de ses voyages, dont plusieurs au sein de la tribu Massaï, en Tanzanie, elle s’inscrit dans une démarche engagée et responsable. Toutefois, la jeune femme reconnaît ne pas être écologique à 100 %, du fait de ses modes de transport. « Le but, c’est de faire de son mieux, mais sans forcément être parfait. Il ne faut pas culpabiliser si on ne peut pas tout bien faire ni tout le temps », concède-t-elle.

Des déchets jonchent parfois les bords des chemins empruntés par les touristes. Emilie Chesné/EPJT

Mais tous ceux qui arpentent les sentiers naturels ne sont pas sensibles à l’environnement. Les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en sont un bon exemple. En 2018, ils ont vu leur fréquentation augmenter de 20 %. Ce pèlerinage millénaire devenu à la mode a un impact négatif sur les paysages traversés : ils subissent le même sort que les bords d’autoroutes. Lors de son périple, Anne-Laure Lemener a été très surprise de constater qu’en Espagne, sur la voie du Nord qui relie Hendaye (côté français) à Gijón (côté espagnol), «on peut s’amuser à compter les canettes de coca cola dans les fossés et celles qui flottent au bord de la mer. Sans oublier les papiers de barres énergétiques ».  

Les voyageurs sont ambivalents dans leur démarche écotouristique. Grégoire Paquet se souvient de ces touristes qui un jour ont visité Disneyland Paris et qui, le lendemain, participaient à son weekend brame du cerf. Sans aucune logique évidente. Ce n’est pas parce qu’il réserve un écogîte que le touriste partage les valeurs des acteurs du tourisme vert. Il est juste curieux et attiré par la découverte d’expériences différentes.

Du coup, le souhait des acteurs du tourisme de limiter l’empreinte écologique de leurs activités et de leurs prestations ne s’accorde pas toujours avec les envies des voyageurs. En 2016, quand le couple Perronin a réaménagé une maison troglodyte de viticulteurs pour en faire un gîte, il s’est clairement inscrit dans une démarche écologique. Tous les matériaux ont été choisis en ce sens : chaux, liège, panneaux solaires… En ouvrant Le Point de vue Léonard, il pensait sa démarche claire.

Point de vue Léonard, Franck Perronin, gérant de l’écogîte Terrasses Royales, à Amboise. Lucas BOUGUET/EPJT

Pourtant, quelle ne fut pas sa surprise de voir que certains de leurs clients prenaient leur voiture pour aller visiter le château d’Amboise pourtant situé à 500 mètres de leur gîte. Franck Perronin a dû se rendre à l’évidence : ses clients étaient davantage attirés par le côté insolite de la maison troglodyte que par l’écologie. Il lui a fallu pas mal de patience et de pédagogie pour convaincre ses pensionnaires de consommer local et de se déplacer à pied ou à vélo.

Pour certains, découvrir l’écotourisme, c’est l’adopter. Pour d’autres, l’expérimenter ne signifie pas pour autant l’embrasser définitivement. La Touraine est un lieu propice pour ce genre d’expérience. C’est en août 2019, qu’Anne-Sophie et Guillaume, du blog Voyageurs français, ont participé à un week-end nature écotouristique, organisé par l’office de tourisme de Tours. Accompagnés de Grégoire Paquet, les deux blogueurs ont visité, pendant deux jours, la région, à vélo.

Depuis, le couple admet être désormais plus attentifs au label Clef verte. Ils reconnaissent cependant que ce séjour n’a pas changé radicalement leur manière de voyager. Les travers du tourisme de masse reprennent progressivement le dessus.

Parmi tous les obstacles pour adopter une démarche plus verte quand on voyage, le principal est financier. Pour Mallaury Bordier, pourtant étudiante en licence d’écotourisme à Saumur, les hébergements dits écotouristiques restent encore trop chers. « C’est destiné à une population plus aisée », regrette-t-elle. Elle ne pourrait pas s’offrir un week-end au Point de vue Leonard à Amboise : le prix de la semaine oscille entre 700 euros et 900 euros, pour un gîte pour six personnes. Franck Perronin justifie ses prix par sa clientèle française et internationale, qu’il qualifie de « bobo »

Chédigny (Indre-et-Loire), La rue du lavoir. Lucas BOUGUET/EPJT

A Chédigny, petit village d’Indre-et-Loire de 560 âmes, fleurir les rues ne répondait à aucun but lucratif. L’initiative de planter rosiers et vivaces était avant tout locale et destinée aux Chédignois. Les habitants ne parlent pas d’ailleurs pas d’« écotourisme » même s’ils le pratique, comme M. Jourdain avec la prose, sans le savoir.

Il y a vingt-et-un ans, Chédigny n’avait pas le même visage. C’est après un séjour à Grignan (Drôme) que Pierre Louault, maire de 1977 à 2017, a eu l’idée de fleurir sa ville. La démarche a conquis ses concitoyens. Et l’actuel maire, Pascal Dugué, a pérennisé cette initiative.

Pascal Dugué, le maire de Chédigny. Lucas BOUGUET/EPJT

Les labellisations Villes et villages fleuris, sa fleur d’or et le Festival des roses attirent bien au-delà de l’Hexagone. À en croire la mairie, pas moins de 15 000 touristes visitent le village chaque année. Cet afflux est une manne pour la commune qui peut ainsi financer de nombreuses infrastructures comme un bar communal dont l’ouverture est prévue pour 2021.

Obnubilés par la fragrance des roses, les visiteurs ne font pas toujours attention où ils mettent les pieds et écrasent parfois les plantes qui couvrent les rues de Chédigny. Certains se permettent de cueillir des fleurs, ce qui dégrade des bordures et des parterres. Par conséquent, Pascal Dugué soutient la proposition de loi de Simon Jolivet, maître de conférences en droit à l’université de Poitiers. Il souhaite redonner plus de pouvoir aux maires pour la préservation des espaces verts.

Comme à Chédigny, il n’est pas forcément nécessaire de dépenser une fortune pour faire de l’écotourisme. Accueil Paysan propose ainsi une expérience écotouristique à ceux qui le souhaitent sans avoir un gros budget. Fondée en 1987, cette association loi 1901 est avant tout sociale. Agriculteurs, paysans et producteurs de toute la France accueillent chez eux des touristes afin de leur offrir un cadre de séjour différent. 

Accueil Paysan, buffet des paysans lors d’une AG d’Accueil Paysan. Lucas BOUGUET/EPJT

En Centre-Val-de-Loire, ils sont une cinquantaine d’adhérents – hôtes et clients réguliers – à militer en faveur d’un tourisme durable, équitable et solidaire. Jean Seigneur est le propriétaire du gîte de la Pissonière, situé dans l’Indre. Ce désormais retraité a réaménagé une ancienne étable pour y accueillir les touristes. Pour lui, l’accueil à la ferme sert à « maintenir le lien entre urbains et ruraux ». C’est pour cette raison qu’il a rejoint l’association. En ce sens, ses tarifs sont donc accessibles : environ 350 euros pour une semaine dans le gîte ; 35 euros la nuit pour la chambre d’hôte.

Faut-il repenser notre manière de voyager aujourd’hui ? Très certainement. L’écotourisme, aussi vertueux soit-il, reste encore peu pratiqué par des touristes. Les alternatives écologiques sont proposées.

Le secteur du tourisme a aujourd’hui encore des difficultés à proposer une démarche véritablement verte et permet rarement de réaliser un voyage écotouristique de A à Z. Il existe des projets entièrement conçus autour du local et du respect de l’environnement.

La crise sanitaire a mis en avant l’impact environnemental de l’activité humaine. L’été 2020 portera peut-être un coup de projecteur sur ces initiatives parfois peu connues.

Retrouvez cette enquête et ses enrichissements multimédias sur le site de l’EPJT : Magazin.

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