La région Centre-Val de Loire et le Conseil Economique Social et Environnemental Régional (Ceser) ont organisé, ce 1er juillet 2020, conférences, tables rondes et ateliers autour de la relocalisation industrielle. Experts, acteurs économiques ou présidents d’associations ont participé à ces échanges, au sein de l’amphithéâtre de l’Université d’Orléans, ou pour ceux qui ne pouvaient être présent, via leur écran.
Première table ronde « relocalisons et innovons » sur les enjeux pour les grandes filières industrielles en région Centre-Val de Loire, la recherche et innovation, la transition énergétique et nouveaux matériaux – © Melissa Chenda Ang
« Le phénomène de délocalisation a montré ses effets dévastateurs au cœur de la crise. Représentants de l’Etat, représentants territoriaux et agents régionaux de la santé ont été obligés de chercher à l’autre bout du monde, des objets aussi élémentaires que des masques », introduit François Bonneau, Président de la région Centre-Val de Loire, lors du forum sur la relocalisation industrielle, organisé par la région et le Ceser, ce 1er juillet 2020. François Bonneau déplore « une dépendance trop difficile à comprendre et à accepter ».
« Il faut trancher ces affaires-là et vite. Les deux tables rondes d’ouverture et les ateliers permettront avec témoignages et expertises d’éveiller la sensibilité intellectuelle de chacun et des ateliers nous devront tirer des plans d’actions (…) il faudra traduire les actions dans les actes sans délai », ajoute Eric Chevée, President du CESER. Tout un programme…
Le Professeur El Mouhoub Mouhoud, Professeur d’économie à l’Université Paris-Dauphine met en garde : « la relocalisation ne se décrète pas. Ce n’est pas une bonne ou mauvaise idée mais un fait qu’on doit analyser avec les secteurs d’activités ».
Ce qui s’entend au travers des propos de Sébastien Rose, Vice Président R&D d’Axynthis : « la chimie d’hier qu’on a délocalisé en Chine est une chimie qu’on ne peut pas faire revenir d’un seul claquement de doigt ! ». La France ne peut opérer de retour en arrière de ses contraintes de qualité, de respect de l’environnement et de sécurité. La chimie n’est pas « réimportable ». Ce qui n’exclut pas, que l’industrie chimique se « réinvente ».
Un savoir-faire, une expertise et une incapacité à produire
Le Centre-Val de Loire, grande région de production pharmaceutique, est dotée de savoir-faire et d’expertise solides. Pourtant, comme le rappelle Sebastien Rose, la Région est beaucoup « trop limitée » dans sa production de principes actifs. Pour se réinventer, il souligne l’importance de changer les procédés. Notamment grâce à l’un des axes d’innovation : la bioproduction, production de médicaments thérapeutiques à base biologique.
Il appelle également à plus de coopération entre académiques et industriels, notamment en se référant aux ARD ( Ambition Recherche et Développement ) mis en place par la région : « on réunirait des équipes pluridisciplinaires qui nous permettraient d’accéder à ces nouvelles technologies, d’avoir une chimie compétitive et beaucoup plus verte sur le territoire. »
Sophie Renault, co-directrice de laboratoire Vallorem confirme les gains de la relocalisation mais tempère « créer de la promiscuité donc relocaliser d’accord mais quelle garantie offre-t-on en retour ? ». Les fournisseurs se délocalisent car ils peuvent gagner plusieurs parties prenantes. Pour exemple, « si Renault va mal et que son fournisseur, juste à coté de ses portes, ne fournit que lui, il est en condition de dépendance extrême ».
La robotisation pour endiguer les délocalisations
Selon le Professeur El Mouhoud, pour freiner la tendance à la délocalisation, « il faut robotiser les processus de production » dans les secteurs possibles. Si cela n’implique pas de facto la création d’emplois, la robotisation peut au moins inciter à ne pas délocaliser. Le retard français sur la robotisation est « quatre fois moindre qu’en Corée du Sud ».
Emmanuel Hallauer, Directeur des recherches Axess Vision Tehcnology qui s’occupe de la fabrication d’endoscope, retrace l’assemblage des pièces : « ce câble coûte moins de 10 euros en low-cost, alors comment concurrencer en France ? » soulève-t-il. Le directeur des recherches Axess ne semble pas très emballé par la robotisation : fabriquer en France oui, mais cela ne peut se faire dans la précipitation. Il faut prioriser.
Quant à Emmanuel Vasseneix, PDG LSDH (laiterie de Saint-Denis de l’Hôtel), s’agace de la légendaire lourdeur administrative française : « Il y a des choses qui nous font gagner de l’argent et qui ne coûtent rien à la collectivité, c’est le temps. Un projet en France il faut 3 ans et en Pologne ce serait déjà ouvert ! »
Inclure le consommateur grâce au storytelling
Si le made in France peine à exister, la stratégie marketing du storytelling * semble être un véritable atout pour inciter à consommer local. Sophie Renault donne notamment l’exemple de la marque C’est qui le patron ? Parce qu’elle se veut porteuse de valeur et d’une histoire, elle a réussi à séduire le consommateur. Egalement, parce qu’elle a donné du pouvoir à un consommateur, devenu trop passif, inspiré dans un monde surconsommant et surproduisant toujours plus. Il faut responsabiliser le consommateur.
Ce sur quoi Stéphane Foisy, Président de l’Union nationale des Entreprises adaptées, rebondit : « on est tous pareils. Quand on a commandé quelque chose et qu’on ne le reçoit pas le lendemain, c’est difficile. Et quand on passe sur un site un peu plus classique ça devient plus compliqué. Le consommateur est un peu schizophrène. »
Pour Jean-Louis Garcia, Président de Dev’up, « associer service et industrie est un enjeu majeur de compétitivité pour notre territoire ». Il relève que les entreprises utilisant le digital s’en sont mieux sorties que les autres pendant la crise.
Afin de renforcer la croissance des entreprises, la Région lance, avec Emmanuel Vasseneix, un club des Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI). Une croissance par le réseau qui doit favoriser l’entraide entre ces entreprises.
Le préfet, Pierre Roussel s’engage à ce que « les moyens soient au rendez-vous » en inscrivant ses actions « dans la durée ». Comme le rappel Emmanuel Vasseneix, à la suite de la vague verte qui a gagné les élections municipales, nous devons rester alertes pour ne pas envoyer « une série de mesures faites rapidement qui ne sont pas mesurées ni évaluées ». Il faut des experts pour construire une politique qui réponde aux nouveaux enjeux environnementaux.
Chenda
*Storytelling : art de raconter des histoires pour capter l’attention du consommateur et créer une connexion émotionnelle avec la marque