Municipales 2020 : Le Rayon vert

[Tribune] Par Pierre Allorant*

Lumière à l’horizon de la plage de Biarritz dans le film éponyme d’Éric Rohmer de 1986, Le Rayon vert est-il devenu dimanche le nouvel horizon indépassable de la vie politique hexagonale ?

Inédite par des bien des aspects, cette « drôle de campagne » municipale se clôt sur une modification profonde des rapports des forces partisanes : une débâcle de la République en marche, singulièrement à Paris, un succès isolé et en trompe-l’œil du Rassemblement national à Perpignan, un maintien de la droite dans les villes petites et moyennes, mais une déprise des métropoles, de Bordeaux à Marseille ; enfin une gauche globalement requinquée, avec des socialistes confortés dans leurs bastions et souvent tirés en avant par la poussée verte.

La démocratie confinée : local vide, citoyenneté en berne

Bien qu’attendue et partiellement liée aux incertitudes quant aux risques sanitaires, l’abstention record doit inquiéter tous les démocrates. Quand des quartiers entiers, des générations, des catégories sociales désertent très majoritairement les urnes pour un scrutin de proximité, aux enjeux quotidiens et palpables, le signal d’alarme républicain devrait être tirée. Il n’y a pas de baguette magique pour rétablir la confiance des électeurs envers leurs représentants, mais le projet de loi « 3D » (Décentralisation, déconcentration, différenciation) sera particulièrement attendu sur ses aspects de facilitation de la participation citoyenne, des conseils de développement aux consultations référendaires.

Marcher hors-sol. L’ancrage manqué du parti présidentiel

Précisément, l’échec de la majorité présidentielle porte bien sur ce point : la promesse de renouvellement de la vie démocratique n’a pas été tenue, tout au contraire. Le mépris affiché des corps intermédiaires et, dans un premier temps, des élus des territoires, a aggravé le fossé entre les décideurs et les orphelins des services publics. La limitation très stricte du cumul des mandats a eu pour effet pervers de couper les parlementaires des territoires, et annonce des lendemains qui déchantent aux élus de la vague macroniste de 2017. La tentative d’ancrage municipal, encore rêvée il y a un an au lendemain des Européennes, se termine sur un fiasco impressionnant, un vote sanction et une pantalonnade à Paris avec le passage à la lessiveuse de trois anciens ministres (Griveaux, Villani, Buzyn), alors que la capitale semblait à portée de victoire, sans parler du pataquès bordelais et de la piteuse fin de vie du système Collomb à Lyon. Bref, un beau gâchis électoral.

Au secours, la gauche revient !

Miracle issu de cette débâcle de la majorité présidentielle, la gauche, en miettes en 2017 et encore en 2019 aux Européennes, à l’exception des Verts, ressort nettement la tête de l’eau. Non seulement le Parti socialiste conserve ses bastions nantais et rennais et, sur le fil, sauve Martine Aubry de son dangereux et solitaire entêtement, mais il gagne Nancy et, dans la métropole orléanaise, Fleury-les-Aubrais, banlieue cheminote de gauche mais que la division maintenait au centre-droit aux municipales. Toutefois, l’avenir proche n’est pas simple ni dégagé pour l’ancien parti dominant à gauche, car la locomotive semble désormais conduite par son ancien copilote écologiste. Comment faire une plus large place à cet allié encombrant sans perdre la main sur les conseils régionaux ?

La droite à qui perd gagne. La chute de Bordeaux et la partie de cartes marseillaise

Quant à la droite, soulagée d’une menace lepéniste moins asphyxiante que dans les scrutins précédents, elle avait déjà fait un deuil de Perpignan, minée par la misère et les divisions sociales et communautaires. En revanche, alors qu’elle craignait de perdre la « ville rose » haut-garonnaise, c’est Bordeaux qui s’effondre, Alain Juppé n’ayant pas réussi sa succession. En dépit du maintien au second tour de Philippe Poutou, le militant écologiste de toujours Pierre Hurmic remporte la cité d’Adrien Marquet, de Chaban-Delmas et de Juppé. Quel tremblement de terre politique !

Sans doute un effet de la métropolisation qui accroît les tensions sur le marché immobilier, expulse du centre les catégories populaires au détriment de l’équilibre des territoires et de la fluidité des mobilités, sur le modèle repoussoir de l’Île-de-France. Nice, Toulouse, Orléans font désormais exception en résistant à la vague nationale verte, qui n’a pas atteint les quais de Loire, embellis par Serge Grouard, au come-back impressionnant et totalement inédit.

Enfin Marseille, le Naples français, dernière grande ville populaire, si attachante, rénovée dans ses atouts touristiques, mais scandaleusement délaissée dans l’entretien de ses écoles, de ses logements sociaux et des pratiques républicaines élémentaires – la sincérité du scrutin – il serait dramatique que le souffle nouveau apporté par le « Printemps marseillais » du docteur Michèle Rubirolla soit étouffé par des combinazione d’appareils au 3e tour, qui ont fait tant de mal à la cité phocéenne depuis la Libération.

Le compte-à-rebours électoral du quinquennat Macron

Face à ce paysage politique verdi, avec un air persistant de dégagisme, que peut faire désormais le Président de la République ? Bien sûr, tenir compte du message clair adressé par les – trop rares – électeurs, prendre enfin le tournant de la transition écologique, avec cohérence et incarnation. Or c’est bien toute la difficulté pour Emmanuel Macron : comment être crédible sur ce terrain après avoir perdu en route Hulot et de Rugy, puis multiplié les alliances à droite pour barrer le chemin et faire digue à la montée des eaux vertes ?

Comment ne pas faire du maire du Havre un adversaire potentiel, sur le modèle de Pompidou remercié en juin 1968 ou de Michel Rocard en 1991, en écartant de Matignon un Premier ministre populaire, mais qui aura bien du mal à incarner un tournant vert ? Il faudra plus qu’une convention pour cela. Un référendum ? Pourquoi pas, en gardant bien à l’idée qu’après juin 1968 vint pour le général De Gaulle le 28 avril 1969 : le rejet du référendum et la démission. Un tour de passe-passe du calendrier électoral ne suffira pas à conjurer ce risque de détournement d’une consultation directe du peuple en contre-plébiscite. Bref, il lui faut plus que tenir un cap, fixer un nouvel horizon.


*Pierre-Allorant est historien et juriste, doyen de la faculté de droit, économie et gestion d’Orléans, vice-président du CESER Centre-Val de Loire, chargé de l’Ensei
gnement Supérieur, de la Recherche et du Sport.

Commentaires

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  1. Dans cette campagne électorale, je suis frappé qu’aucun candidat ne mette à son programme l’examen du problème du mille-feuilles administratif avec ses 36 000 communes, quand l’Allemagne n’en compte que 8 000 ! Par ex. que signifient cette poussière de communes qui encerclent la ville d’Orléans, et qui maintiennent leur dispositif administratif et représentatif comme si elles se situaient isolées au milieu de la Sologne. Leurs sorts sont étroitement liés en dépit d’une “Métropole” qui n’est qu’un échelon de plus ! Quand est-ce qu’on va se mettre à simplifier notre organisation…, générer des économies, et apporter de nouvelles ressources, quand l’Etat diminue sa participation. Et éventuellement alléger nos impôts locaux ?

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