Comme dans le film de Robert Redford de 1992, Au milieu coule une rivière, la région Centre-Val de Loire est dessinée par le bassin fluvial de la Loire et de ses affluents, le Cher et l’Indre, même si le Loing et l’Eure lui tournent le dos, snobent le fleuve royal comme pour mieux se tourner vers la Seine.
Carte des « Pays de la Loire » Paul Fénelon, Flammarion, 1978.
Un lieu de mémoire national longtemps décrié par ses propres dirigeants
Quelle région « de programme » aura été davantage dédaignée, moquée que ce pauvre « Centre » si longtemps confondu avec le Massif ancien qui la borde au sud ? Que de légendes sont colportées sur sa naissance de hasard, son prétendu manque d’identité et d’unité ! Et cette rumeur, évidemment d’Orléans, a été bien souvent alimentée par les habitants de cette région mal aimée d’elle-même, et pas seulement par les thuriféraires de la souveraine Touraine, blessés du choix initial de sa capitale et à nouveau touchés dans leur orgueil par la confirmation de « l’usurpation orléanaise » par la loi NOTRe.
Extrait du Tour de la France par deux enfants de G. Bruno, dernier chapitre sur « l’Orléanais ».
Mais qu’a-t-elle donc fait pour mériter cela, cette petite Belgique au cœur du Bassin parisien devenue désormais la région la moins peuplée de l’hexagone ? Chérie des rois, même du pauvre « Dauphin si gentil », du roi de Bourges, bénie du Dieu des cathédrales et des bâtisseurs de châteaux, berceau de la langue et vivier de la pléiade, de Ronsard à Proust, de Christine de Pisan à Christine Angot, en passant par George Sand, comment peut-elle être taxée de région artificielle voire dépourvue de caractères originaux ?
C’est sans doute que ses écrivains et ses héroïnes, Claude de France ou Jeanne d’Arc, ses incarnations politiques, Jean Moulin ou Jean Zay, ne se réduisent jamais à un folklore régionaliste, et préfèrent incarner la nation tout entière.
Critiquée d’emblée, la « région Centre » a pourtant montré une capacité de résilience impressionnante, n’en déplaise à ceux qui ont voulu la quitter (André Laignel), favoriser ses forces centrifuges (Jean Germain), l’ont dédaigné au moindre maroquin ministériel (Michel Sapin) ou ont prôné son redécoupage à des fins électoralistes (Éric Dolligé).
L’association du Berry, de l’Orléanais et de la Touraine présente toutefois le mérite de la simplicité et de la cohérence, même si l’extension de la région au Nivernais aurait conforté sa cohérence. Certes, une fusion avec sa voisine ligérienne au sein d’un grand Val de Loire n’aurait pas manqué de panache, mais cette union panligérienne aurait rapidement refroidi les espoirs de leadership de la Loire moyenne, Nantes s’imposant comme la métropole capitale naturelle de cet ensemble tourné vers sa façade océanique.
Berry, Orléanais, Touraine. La BOT de sept lieues, les « Champs- Élysées de la France »
Demeure un mystère : pourquoi l’Orléanais, province rayonnante jusqu’à la Révolution de Chartres à Blois et Montargis, reste-t-elle la clef-de-voûte masquée de cette région, alors que la fierté tourangelle et l’esprit de corps de ses élites contrastent avec l’autocensure permanente des ambitions orléanaises, pendant que le Berry est encore à la recherche du temps perdu de son unité et de son dynamisme démographique ?
Jean Royer, maire de Tours, René Thinat, maire d’Orléans, et Pierre Sudreau, maire de Blois, place du Martroi lors des fêtes de Jeanne d’Arc du 8 mai 1972.
Le préfet Pierre Sudreau et le Président de la République Vincent Auriol à Chambord pour le 1er spectacle son et lumière.
Pour transformer définitivement l’essai régional, au moment où s’annonce le tournant régionaliste et décentralisateur du présent quinquennat, le sursaut du Centre-Val de Loire nécessitera de laisser de côté le stérile serpent de mer du redécoupage et de la revanche sur le choix de la capitale, pour rechercher les voies de la complémentarité urbaine des métropoles et des chefs-lieux, des espaces urbanisés et de territoires péri-urbains et ruraux intégrés à un développement harmonieux.
Pour qu’enfin Pierre Sudreau, le « Petit Prince » de Blois, résistant, grand préfet reconstructeur du Loir-et-Cher puis premier président de la région Centre, soit comblé dans son souhait de voir vivre et prospérer le Val de Loire, pour mieux « illuminer les Champs-Élysées de la France ».
Pierre Allorant
Pour aller plus loin :
- Joël Mirloup, Le Centre, la naissance d’une région aux portes de Paris, Bréal, 1984.
- Jean-Paul Carrière, « La Touraine », in Pierre Allorant (dir.), 250 Lieux, Personnages, Moments. Patrimoine en Beauce, Berry, Gâtinais, Perche, Sologne, Touraine, coll. « Patrimoines en Centre-Val de Loire », PUFR de Tours, 2018, p. 222-225.
- Christophe Speroni, « L’Orléanais », in Pierre Allorant (dir.), 250 Lieux, Personnages, Moments. Patrimoine en Beauce, Berry, Gâtinais, Perche, Sologne, Touraine, coll. « Patrimoines en Centre-Val de Loire », PUFR de Tours, 2018, p. 190-191.