[Opinion] *Par Jean-Paul Briand
La mort de George Floyd à Minneapolis (Etat du Minnesota), citoyen noir américain asphyxié lors de son interpellation par un agent de police blanc, a déclenché un mouvement quasi planétaire, dénonçant racisme et violences policières. Malgré les interdictions de tous rassemblements, en rapport avec l’état d’urgence sanitaire lié à l’épidémie de coronavirus, de nombreuses manifestations se sont déroulées en France.
Manifestation du mouvement “Black Lives Matter” place du Martroi, Orléans, le 9 juin 2020. ©Gérard Poitou
Effacer une icône de l’ancien temps
Au-delà de la brutalité extrême de certains policiers, l’émotion ressentie à la vue des images montrant l’assassinat d’un civil noir par un policier blanc, justifie les mouvements de protestation et de dénonciation du racisme anti-noir. Le racisme naît lorsqu’un groupe dominant bénéficie, sur des critères ethniques, de monopoles ou de privilèges que le maintien d’inégalités protège, alors que les groupes subalternes endurent des discriminations qu’ils souhaitent ne plus subir. Le racisme se confond avec l’histoire de l’humanité et n’est pas spécifique à la France. Colonisation, esclavagisme, traite des noirs font partie de la saga nationale française. La prospérité et la fortune de villes telles que Nantes, La Rochelle, Bordeaux, Le Havre, Saint-Malo, Lorient, Marseille, Dunkerque, Rouen se sont construites sur ces indignités. Colbert et son fils ont initié le premier Code Noir en 1685 qui a entériné la traite des noirs dans les colonies françaises. L’esclavage était pourtant interdit depuis un édit signé par Louis X le Hutin en 1315. Colbert savait donc bien qu’il participait à une abjection réprouvée de longue date. Pour autant doit-on effacer le nom de cette icône de l’ancien temps et les effigies de personnages historiques illustres, ayant approuvé l’esclavagisme ou participé activement à la violente histoire coloniale française ?
Le silence exacerbe le ressentiment
Dans notre pays, les questions mémorielles ont un contenu émotionnel intense qui conduit à des tensions et des démarches parfois excessives qui ne solutionnent rien. Trop souvent l’évocation de notre passé colonial tombe dans la provocation instrumentalisée par des groupes communautaristes ou dans la récupération politique de démagogues en manque de notoriété. Notre communauté nationale est issue de l’association de destins divers qu’ils soient africain, métropolitain, ultramarin, transnational, local ou familial.
La société française est multiculturelle, fruit de vagues migratoires diverses, de métissages multiples constamment en interaction. Ce sont les mécanismes et l’historique de ces interférences qui sont interrogés par les mouvements protestataires antiracistes déclenchés par l’assassinat de George Floyd. La lutte contre le racisme et les discriminations passent par une remémoration critique du passé colonial national.
Il serait contreproductif de mettre à l’écart la participation active de la France à la traite des noirs, d’occulter les excès de sa période coloniale. Le devoir mémoriel et de transmission doit s’exercer à tous niveaux : dans l’enseignement, dans les cérémonies, les monuments et édifices, le noms des rues des villes et des quartiers, sans culpabilité ni componction, sans stigmatisation ou anathème, mais avec impartialité et rigueur. Le déni, le silence peuvent être interprétés comme du mépris, de l’arrogance et exacerbent frustration et ressentiment, générateurs de détestation voire de haine.
Le risque d’une résurgence des discriminations racistes
La mémoire nationale doit être intègre, juste, unifiée et unificatrice. Déboulonner des statues, débaptiser quelques lieux peuvent pacifier des souffrances et calmer momentanément des tensions. Si certains de nos compatriotes l’exigent alors, par justice mémorielle, il faut l’envisager pour les cas les plus emblématiques. Faire le tri sera néanmoins bien épineux et probablement très conflictuel. Ces actions d’apaisement simpliste risquent d’endormir les consciences et favoriser une amnésie sélective. Lutter contre les inégalités socio-économiques et politiques entre les groupes, analyser les stéréotypes et les préjugés pour les combattre, faire l’étude des phénomènes historiques d’inhumanité qui les ont construits et les nourrissent aujourd’hui encore pour les démonter et les expliquer seraient bien plus efficaces.
Vouloir faire disparaître les symboles des errements délétères de notre histoire, c’est les occulter, voire les nier et prendre le risque d’une résurgence insidieuse des discriminations racistes du passé. « Il a été décidé qu’on reparlerait, dès les petites classes, d’éducation civique, de courage, de refus du racisme et d’amour de la République. Il est dommage que l’école ne soit fréquentée que par les enfants », André Frossard.
*Jean-Paul Briand a exercé comme médecin généraliste pendant près de 40 ans dans le quartier de l’Argonne. Il fut l’un des responsables de la formation post universitaire des médecins généralistes de la région Centre Val de Loire et représentant de sa profession au sein de l’ARS et de l’URPS.