[Tribune]
Une récente chronique fait un réquisitoire caustique des circuits courts alimentaires (CCA) pourtant soutenus par nombre de collectivités et plébiscités par de plus en plus de consommateurs. Un plaidoyer s’impose.
Certains agriculteurs font le choix des circuits courts et vendent leurs productions sur les marchés alentours. ©Elodie Cerqueira
Les circuits courts alimentaire (CCA) participent à l’incontournable transition du système agricole vers des modèles durables, équitables, protecteurs de la santé et de la nature. Ils simplifient les modalités qui amènent un produit esculent du champ de l’agriculteur à l’assiette du consommateur. Ils libèrent la chaîne alimentaire de l’emprise de la grande distribution et de l’industrie agroalimentaire.
Combattre la désertification des campagnes
La production agricole dominante est productiviste. Ses conséquences sont désastreuses : appauvrissement des sols par les labours profonds, disparition des races rustiques régionales, contamination généralisée par les pesticides, dissémination rampante des OGM. L’agriculteur est réduit à n’être qu’un simple exécutant sous la coupe des firmes agroalimentaires. La mondialisation impose des prix toujours plus dérisoires. Elle entraîne la baisse des revenus agricoles, une désaffection pour le métier de fermier et une réduction de leur nombre. Ce phénomène est aggravé par l’artificialisation des terres en progression constante. En renouant le dialogue entre le monde rural et celui des villes, qui redécouvre la présence de paysans dans leur environnement proche, les CCA redonnent l’espoir et l’envie à de jeunes agriculteurs de reprendre le flambeau. Les CCA combattent la désertification des campagnes.
Reprendre le contrôle de son alimentation
En moyennes et grandes surfaces, les fruits et les légumes sont vendus couramment hors saisons. Ils subissent des traitements de conservation pour supporter les transports sur de longues distances. Ce ne sont plus les habitudes familiales, les saisons, les traditions culinaires qui dirigent les achats des aliments mais l’industrie agroalimentaire. Dans beaucoup de familles, le repas à la française, inscrit depuis 2010 au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, disparaît peu à peu au profit de nourritures industriellement transformées. En France, on constatent une diminution de la consommation des fruits et des légumes, avec des apports en sucre, en graisses et en calories qui augmentent. Le modèle alimentaire américain, à l’origine d’une véritable épidémie d’obésité, progresse. S’approvisionner en CCA contribue à retrouver des habitudes nutritives bien plus saines et à reprendre le contrôle de son alimentation.
Victime de leur succès
Le mode de production pour les CCA doit répondre aux labels Bio qui s’inscrivent au cœur du développement durable. La démocratisation des achats en CCA Bio est nécessaire mais elle n’est pas sans risque. Alors que l’État souhaite que chaque semaine 100 % de la population consomment au moins 20 % de leurs de fruits et légumes, produits céréaliers et légumineuses en produits Bio, la capacité actuelle des CCA bio est encore trop limitée. Si le chiffre d’affaires des CCA bio s’accroît, la grande distribution va vouloir sa part du gâteau. Elle essaiera de revoir à la baisse les exigences des critères Bio, de récupérer le concept avec des produits d’appel séducteurs. Déjà le leurre du greenwasching sévit. Ce maquillage mercantile peut disqualifier le Bio. Les promoteurs des CCA bio doivent être vigilants afin de ne pas être victime de leur succès.
De nouveaux modèles bénéfiques pour la santé et l’environnement
Les CCA sauvegardent des emplois et des fonciers agricoles qui risquaient d’être perdus. Ils dynamisent la consommation locale et réinstallent l’aliment dans son territoire d’origine et les saisons. Ils stimulent les identités des aires régionales et entraînent des changements de pratiques culturales, protectrices de la biodiversité et moins polluantes. Ils participent à l’apprentissage d’une cuisine naturelle plus saine, moins américanisée et valorisant les produits saisonniers frais. Les CCA sont un levier social pour que la répartition des plus-values de la production agricole soit équitable. En facilitant les échanges, ils engendrent une meilleure prise en compte, par les producteurs, des attentes des acheteurs et diminuent ainsi le gaspillage. A partir d’une alimentation qui répond aux aspirations nutritives du présent et des prochaines générations, ils favorisent de nouveaux modèles bénéfiques pour la santé et l’environnement.
Une démarche éclairée et solidaire
Choisir entre santé publique ou aliments industriels, entre production agricole intensive ou durable, entre marché local ou grande distribution, oppose des intérêts divergents. Les pionniers défenseurs des CCA ont déjà pris parti. Ils ont choisi la défense du monde agricole, la protection de la santé et de la nature, la sauvegarde de l’identité des territoires et le bien-être des générations futures. Loin d’être une foucade marginale, c’est une démarche éclairée et solidaire qui s’inscrit dans le temps…
Louis Henri Espach