[Tribune] Par Jean-Paul Briand*
La crise sanitaire a amplifié les changements de comportements vis-à-vis des chaînes d’approvisionnements alimentaires. Les circuits courts sont considérés écologiquement et socialement salutaires et sont de plus en plus médiatisés et plébiscités par une minorité de la population.
Certains agriculteurs font le choix des circuits courts et vendent leurs productions sur les marchés alentours. ©Elodie Cerqueira
Aucune notion de distance pour les circuits courts
« Un circuit court est un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire », selon le ministère de l’Agriculture et de la Pêche. Force est de constater que cette définition est uniquement commerciale. Mais que sont les circuits courts alimentaires (CCA) de proximité “à la mode” ? Qu’est-ce que la proximité ? Aucune notion géographique, de distance, ni de territoire ne sont présents dans cette définition. L’agriculteur vendeur peut être proche ou éloigné de son client. Pour le consommateur, la proximité peut être évaluée à travers la distance, le temps ou la commodité d’accès aux points de vente. Les CCA sont classiquement représentés par les « paniers paysans » ainsi que par les producteurs présents sur les marchés locaux, en plein air, de villages ou de quartiers. Les paniers ont l’avantage de provenir habituellement d’une zone de production très proche du domicile des acheteurs et sont constitués essentiellement de produits de saison. A contrario, les commerçants qui pratiquent les CCA et présents sur les marchés font parfois de très longues distances et peuvent compléter leur offre par un approvisionnement effectué chez des grossistes.
Deux labels « bio » officiels
Très souvent les produits des CCA sont proposés par des agriculteurs ou des associations de producteurs qui se revendiquent « bio ». Là aussi le bio a une définition bien précise, encadrée par une réglementation européenne depuis 1991, l’agriculture bio a pour objectifs le respect de l’environnement, de la biodiversité et du bien-être animal. Après certification, les produits qui en sont issus peuvent porter un logo bio spécifique. Il existe deux logos officiels en France : celui d’AB, vert et blanc et le logo européen, avec son épi de blé cerné d’étoiles. Cette certification, garantie par l’Etat, est contrôlée par des organismes indépendants agréés par les pouvoirs publics (Aclave, Agrocert, Ecocert SA, Qualité France SA, Ulase). Brouillant le message porté par le bio, d’autres labels existent (Nature et Progrès, Demeter, Cosmébi, etc). Ils relèvent de chartes non gouvernementales et sont vérifiés par des organismes privés.
Des avantages incertains
Les laudateurs des CCA énoncent qu’ils créent du lien entre clients et producteurs, qu’ils sont profitables pour le consommateur en proposant à meilleurs prix des produits sains et d’excellente qualité. Privilégiant les produits français, ils promettent des économies en s’approvisionnant à des agriculteurs locaux.
Un matin d’avril, à Olivet (Loiret), l’agriculteur récolte ses asperges pour le marché l’après-midi. ©E.Cerqueira
Ces derniers, n’ayant pas d’intermédiaire, pourraient vendre à des prix leur autorisant la création d’emplois. L’argument ultime des partisans des CCA est qu’ils sont éco-responsables et qu’ils protègent l’environnement par la réduction des émissions de polluants. Tous ces avantages sont pourtant bien incertains.
CCA n’est pas synonyme de « bon pour la santé »
Toutes ces considérations vantant les mérites des CCA sont peu probantes et parfois loin de la réalité. Faire du lien social, notion difficilement quantifiable, n’est pas l’apanage des CCA. Avoir un mot gentil, s’inquiéter de la santé d’une caissière de grande surface, lui sourire, participent tout autant aux liens sociaux. Affirmer que les produits des CCA sont de meilleure qualité et plus sains reste à démontrer. Les maraichers et paysans qui font de la vente directe n’appliquent pas nécessairement le cahier des charges de l’agriculture biologique. Ils vendent rarement avec un étiquetage précis. Ils peuvent très bien faire de la production intensive et recourir massivement aux pesticides. Pour traiter leurs cultures, en se revendiquant bio, certains utilisent des produits dits naturels mais hautement toxiques et polluants tels que la bouillie bordelaise. Aussi longtemps que les produits alimentaires locaux achetés en CCA ne seront pas soumis à vérification, ils ne pourront pas prétendre aux mêmes qualités sanitaires que des produits de grandes surfaces qui sont extrêmement contrôlés. Il convient de ne pas idéaliser ce que l’on se procure en CCA et qui n’est pas toujours synonyme de « bon pour la santé ».
Les CCA ne font pas faire des économies
Les études comparatives indépendantes indiquent que le prix reste le premier facteur cité par les non-acheteurs en CCA. Une enquête nationale démontre que « le budget alimentaire global des acheteurs en circuits courts est supérieur aux non-acheteurs : 42,3% déclarent dépenser plus de 100 euros hebdomadaires contre 31% seulement des non-acheteurs en CCA ». Les adeptes des CCA sont le plus souvent issus des classes financièrement privilégiées. En comparant ce qui est comparable (qualité, quantité, labels, diversité de l’offre, saisonnalité, provenance, territoire) les CCA ne font pas faire des économies.
Les émissions de GES sont plus élevées en CCA
Les disciples des CCA sont persuadés que le bilan carbone d’un fruit cueilli à moins d’une cinquantaine de kilomètres est nécessairement meilleur que celui provenant d’un autre continent. Or, les émissions de gaz à effet de serre (GES) dépendent du mode d’acheminement utilisé et de l’optimisation logistique. Avec les CCA les transports sont routiers, fréquents et répétés car ils concernent de petites quantités. Si la saisonnalité n’est pas respectée, les fruits et légumes produits localement mais « hors saison » (sous serre chauffée), consomment plus d’énergie à effet de serre que des produits cultivés en plein air importés de pays éloignés. Ramenées au kilogramme, les émissions de GES sont souvent plus élevées en CCA.
Les adeptes des CCA appartiennent à un groupe social élitaire
Les études montrent que le profil socioculturel des utilisateurs des CCA est constitué de ménages disposant des revenus les plus élevés et/ou appartenant aux catégories socioprofessionnelles supérieures (cadres, professions intellectuelles supérieures et dans une moindre mesure les professions intermédiaires). De même les producteurs en CCA sont plus diplômés que la moyenne des agriculteurs. Les données de la Draaf dévoilent que « les bac+2 et plus constituent 29 % des exploitations pratiquant les CCA, soit plus du double que l’ensemble des exploitations agricoles ». Par ailleurs, il existe une convergence de valeurs culturelles et sociales des producteurs travaillant en CCA avec leur clientèle. Les adeptes des CCA appartiennent à un groupe social élitaire et minoritaire.
Les CCA aggravent les inégalités de l’accès à l’alimentation
Alors que les grandes et moyennes surfaces proposent des produits en circuits courts, facilement accessibles par tous, respectant étiquetage et normes bio, les CCA demeurent des marchés de niche, limités en choix, faisant l’impasse sur les produits transformés et l’épicerie. Ne pouvant pas répondre à des demandes à grande échelle, ils restent confidentiels. Ils augmentent la charge de travail des exploitants agricoles, obligés à assurer en même temps la production, la commercialisation et la distribution. Bien que bénéficiant très largement de subventions étatiques et d’exemptions fiscales, ils profitent essentiellement à une population opportuniste déjà socio-culturellement avantagée.
Rustine tendance sur la crise du monde agricole, marqueur de classe, alibi écologique, l’émergence des CCA aggravent les inégalités de l’accès à l’alimentation et « ubérise » l’activité des petits producteurs.
*Jean-Paul Briand a exercé comme médecin généraliste pendant près de 40 ans dans le quartier de l’Argonne. Il fut l’un des responsables de la formation post universitaire des médecins généralistes de la région Centre Val de Loire et représentant de sa profession au sein de l’ARS et de l’URPS.