“L’ombre de Staline”: une lueur dans la nuit soviétique

22C’est à l’initiative de l’association Franco-Polonaise Loire Vistule que fut organisée ce lundi 9 mars, l’avant première du film “A l’ombre de Staline”, en présence de la réalisatrice Agnieszka Holland, invitée à venir présenter son film au public orléanais par la direction du cinéma des Carmes.

Michel Ferry et Agnieszka Holland

“L’ombre de Staline”

Agnieszka Holland a travaillé pendant des années au scénario de son film historique sur l’holodomor*. Sujet terrible qu’elle a essayé d’éviter sans le pouvoir. Elle en a fait une somptueuse épopée d’un journaliste anglais, Gareth Jones, qui découvre avec horreur cette terrible tragédie historique orchestrée par des politiques soit disant communistes, en fait totalement inhumains.

Après avoir interviewé Hitler, un jeune journaliste anglais, Gareth Jones, proche de Lloyd George, se fait envoyer en URSS pour interviewer Staline. Arrivé à Moscou en 1933 dans le milieu des journalistes étrangers, il se rend compte que tous servent la soupe au pouvoir. Sauf peut être Paul Kleb, qui est assassiné. Par l’intermédiaire d’Ada Brooks, une journaliste ayant fui l’Allemagne, il arrive à dénicher sur quoi travaillait Paul : l’Ukraine. L’hypothèse est que la richesse soviétique, malgré des caisses vides, vient d’Ukraine, grenier à blé réputé. Il arrive à s’y rendre et découvre une situation pire que catastrophique. Tout le blé ukrainien est exporté à l’étranger, et une famine sans précédent décime la population tenue en quasi esclavage. C’est ce que l’histoire a appelé l’Holodomor, d’un mot valise ukrainien désignant la famine. Jones arrive à en réchapper et rentre à Londres où personne ne veut faire écho à son enquête.

“L’ombre de Staline”, l’homme face au loup

Une reconstitution réaliste

Réalisée par Agnieszka Holland, une réalisatrice polonaise qui a été l’assistante de Andrzej Wajda et de Krzysztof Kieslowski , cette fresque somptueuse emprunte quelques recettes à ses maîtres. La reconstitution du Moscou de 1933, des grands hôtels pour étrangers, des cafés et lieux publics, des réceptions, est éblouissante. Qualité des décors, de l’image, soin particulier aux couleurs, ces tons bistres des boiseries, du cuir, du mobilier, qui donnent vraiment la couleur du temps. Et à l’opposé social, la « descente » en Ukraine, dans la neige, le froid et l’horreur, est elle aussi cinématographiquement maîtrisée. L’épopée ira jusqu’au cannibalisme et à la menace de loups, mis en scène avec finesse.

La difficulté du biopic historique

Agnieszka Holland étant Polonaise, elle a bien sûr vécu sous l’emprise soviétique et sait de quoi elle parle. En romançant cet épisode, elle s’offre aux critiques possibles d’interprétations historiques différentes, aux accusations de lacunes d’analyse. L’holodomor aurait tué environ 5 millions de personnes, c’est dire son importance. Et certains historiens accusent Staline de génocide contre les ukrainiens. Dans le film, l’argument principal est la richesse dont Staline avait besoin pour armer son pays face à la montée du nazisme. Admettons. Le côté romanesque du film, l’entrée dans cette histoire par le personnage de Jones, est en tout cas réussi. Beaucoup grâce à James Norton, absolument formidable dans le rôle de Gareth Jones. Enthousiaste au début, lui qui était plutôt socialiste, atterré ensuite par ce qu’il découvre, jusqu’à la quasi folie de son retour où il n’est pas cru. Norton joue tout cela en douceur, avec une économie efficace. Sa présence à l’image, impressionnante, suffit à faire passer du sens.

De la sympathie à la condamnation

La narration, en revanche, part un peu dans tous les sens au début. Les personnages, dans la première partie du film, sont mal définis. La présence de George Orwell, auteur en 1944 de “La Ferme des Animaux” satire sans faille du communisme stalinien, est assez étrange. Tous deux sont journalistes d’investigation fouillant le socialisme mondial, frères idéologiques passant tous les deux de l’enthousiasme à l’effarement. Mais ils n’ont jamais dû se côtoyer dans la réalité. Et malgré la logique du rapprochement, il n’est pas certain que cette évocation éclaircisse le récit.

Cette période de l’histoire soviétique n’a quasiment jamais été traitée dans les productions artistiques, ce qui rend ce film passionnant. Sa maîtrise technique et son envergure de grosse production en font une très belle réussite.

BC

*Holodomor: (ukrainien : голодомо́р, littéralement « extermination par la faim ») désigne la grande famine qui eut lieu en Ukraine et dans le Kouban en 1932 et 1933 et qui fit, selon les estimations des historiens, entre 2,6 et 5 millions de victimes.

“L’ombre de Staline”

1h 59min
Sortie en salle le 22 juin

 

Originally posted 2020-06-07 17:33:35. Republished by Blog Post Promoter

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