Une der’ pour Christian…

Pour clore la longue et émouvante série des témoignages après la disparition de notre confrère Christian Bidault, fondateur de Mag’Centre, voici l’hommage que lui rend Régis Guyotat, journaliste, longtemps correspondant du journal Le Monde à Orléans. Il rappelle que Christian était un journaliste engagé, au noble sens du terme.

Pour Christian,

Le journaliste parle des autres, il est peu disant sur lui-même. Christian ne pouvait imaginer la vie sans « faire un papier » et ne plus en faire signifiait pour lui cesser de vivre.

Sa palette de journaliste était étendue. La politique avait sa préférence et il s’y délectait avec gourmandise. Il convient de rappeler la situation de la presse orléanaise, lorsque venant de la « locale » de Dreux de La République du Centre au début des années 1980, Christian commence à travailler rue de la République à Orléans. Roger Secrétain est l’ancien patron du quotidien, mais aussi l’ancien maire de la ville. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle de Marseille ou de Toulouse où pouvoir politique et presse ont été concentrés entre les mains d’un même homme ou d’une même famille pendant des décennies après la Libération. La Nouvelle République, dont le siège social est à Tours, maintient un bureau à Orléans, mais la diffusion de cette édition orléanaise est loin de concurrencer celle de La République du Centre. Un hebdomadaire, joyeusement impertinent, Les Nouvelles d’Orléans, survit difficilement. Les radios locales sont encore quasi inexistantes. Et France 3 est étroitement surveillé par la Préfecture.

Christian amène avec lui son professionnalisme. La façon dont il travaille va modifier bien des habitudes au sein du quotidien. Désormais l’opposition politique peut s’exprimer sous une autre forme que celle du « communiqué », ce qui permettait à la direction d’affirmer auparavant que le journal ouvrait ses colonnes à tous les « courants de pensée ». Christian interviewe à droite comme à gauche, adopte avec tous les responsables politiques une distance plus grande.

Mais c’est surtout en multipliant les enquêtes, c’est-à-dire en introduisant le journalisme d’investigation, que La République du Centre va gagner en crédibilité et en intérêt. Christian sillonne de haut en bas la Loire que le Savonarole de Tours, Jean Royer, veut bétonner avec des barrages pharaoniques et qu’EDF confisque finalement pour construire ses centrales.

Le Cercil-Musée Mémorial des enfants du Vel d’Hiv est un centre de recherche et d’histoire qui se consacre à l’histoire des camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, l’internement et la déportation de 16 000 Juifs, et le camp de Jargeau où ont été internés 1 200 Tsiganes. Musée de la Région Centre.

Dans la seconde partie des années 1980, bien avant la création du CERCIL (dont il sera un des membres fondateurs), Christian s’intéresse surtout à l’histoire des camps du Loiret dont la mémoire se limite à l’époque à une simple commémoration annuelle à Pithiviers et à Beaune-la-Rolande. Les historiens ont commencé à soulever le couvercle, mais timidement. Serge Klarsfeld, lui de chasseur de nazis, s’est transformé en historien de la Shoah. Il s’interroge notamment sur le rôle tenu par le sous-préfet de Pithiviers en 1942, Michel Junot, devenu adjoint de Jacques Chirac à la mairie de Paris et a sollicité Christian et moi-même pour enquêter. Serge Klarsfeld a conseillé au journaliste Eric Conan d’enquêter sur la tragédie des enfants, à peine mentionnée par les historiens à l’époque. Eric Conan s’est enfermé plusieurs mois discrètement dans les Archives du Loiret. L’enquête qu’il publie dans L’Express en avril 1990 provoque une énorme émotion en France. Trois mois plus tard, en juillet 1990, La République du Centre, dirigée à l’époque de façon bienveillante par Marc Carré, ancien résistant, publie l’enquête que Christian et moi-même avons signée sur la sous-préfecture de Pithiviers en 1942. Ce qui vaut à La République du Centre une assignation en justice pour diffamation par la 17° chambre correctionnelle de Paris, et une condamnation. 

Photographie des baraques du camp de Beaune-la-Rolande, 1942 (Arch. dép. du Loiret, 138 W 25859)

En effet évoquer au tout début de la décennie 1990 les camps de concentration de Vichy est un exercice journalistique périlleux. Mettre en cause ces antichambres de la mort, c’est-à-dire jeter le soupçon sur la haute administration française de l’époque dans le génocide, peut vous envoyer au tribunal pour diffamation. Depuis que Le Canard Enchaîné a révélé l’affaire Papon en 1981, des cohortes de journalistes ont été traduits et condamnés par la désormais célèbre 17° chambre correctionnelle. Il faudra attendre le discours de Jacques Chirac en 1995 pour que la responsabilité de la France de Vichy dans le génocide soit reconnue.

En juillet 1989, un an avant « l’affaire Junot », Christian a publié dans La République du Centre une remarquable enquête sur le camp de Jargeau. Les Orléanais découvrent l’existence d’un troisième camp de concentration dans le Loiret, où végétèrent, mais échappèrent à la déportation, des centaines de familles tziganes, comme chacun sait. L’enquête fait l’objet d’une « série », ce qui constitue une innovation dans le journal. Réactions et témoignages s’enchaînent durant plusieurs semaines. 

Les enquêtes de Christian sur les trois camps du Loiret furent ensuite innombrables et facilitèrent la reconnaissance et le travail du CERCIL, animé avec une grande énergie par Hélène Mouchard-Zay. La surprise fut grande également lorsqu’en 1992 les Orléanais découvrirent dans La République du Centre, sous la plume de Christian, et Le Monde que le patron du FN du Loiret, Paul Malaguti, conseiller régional du Centre, alors jeune milicien, avait été condamné à mort par contumace à la Libération.

Christian n’était jamais en manque de « sujets », traquant l’injustice là où elle se nichait, celle frappant par exemple les travailleurs immigrés. Christian avait assisté notamment dans les anciens pays de l’Est à la chute du communisme, décrivant la misère régnant dans la Roumanie de Ceausescu. Il avait vu aussi l’horreur au Rwanda, lors d’un reportage en 1994. Visiblement éprouvé – on ne sort jamais indemne d’avoir été au plus près de l’abomination – il en parlait très peu.

Christian revendiquait un journalisme de « terrain », pestait, bien que parisien, contre les journalistes « parisiens », qu’il surveillait du coin de l’œil, lorsqu’ « ils » venaient chasser sur ses terres. C’était un journaliste « généraliste », parce qu’il voulait tout savoir. Il ne supportait pas qu’une actualité lui échappe. Parce qu’il voulait tout comprendre.

Régis Guyotat

Commentaires

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  1. Merci à Régis (Guyotat) d’avoir rendu ce bel hommage à Christian (Bidault). Avec eux, la presse a su montrer qu’elle pouvait remplir sa mission : faire comprendre le monde dans lequel nous vivons. Ces deux journalistes s’informaient pour informer. Beaucoup d’autres à la télévision, à la radio et dans la presse écrite feraient bien de retenir leurs leçons.

  2. Magnifique et brillant hommage de Régis GUYOTAT à Christian. Ces gens-là forcent le respect aux journalistes. Chapeau les artistes. Et surtout merci à vous deux de nous avoir éclairés au fil du temps notamment pour ne jamais oublier l’horreur de la Shoah et savoir ce qu’il se passe à l’extérieur de nos frontières sans prendre position, juste en décrivant et racontant les faits, tous les faits, rien que les faits.

  3. Grâce à RG, j’ai appris que MC avait été résistant. Je savais qu’il avait servi en Algérie. N’était-ce pas plutôt Roger Secrétain? Que RG dont je ne mets pas en doute le papier me permette, quand même , d’en evoir un léger quant à la chronologie de l’histoire de la Rep’.
    Merci de ses précisions s’il y en a et que j’accueillerai avec plaisir.
    Rien à rajouter, pas un ligne à son hommage émouvant à CB. Chapeau. Et merci, un grand MERCI. Vraiment.

  4. En hommage à Christian Bidault, immense journaliste orléanais à l’esprit humaniste et caustique, en hommage à son bébé « Mag Centre »,  je dédie mon dernier petit dessin (que vous trouvez sans mal sur ma page Facebook)..

    Cher Christian, merci d’avoir prêté ta plume à certaines de mes idées ou créations…

    ÉCÅ

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