Boutiques de musique : ces lieux qui ont une âme et une histoire #1 A la ville de Crémone

Au plein cœur des quartiers anciens d’Orléans, rue de Bourgogne, se trouve une boutique discrète et atypique. Son nom « À la Ville de Crémone » figure sur un store entre les colombages récemment rénovés, mais c’est la vitrine qui attire l’œil. Quelques instruments, ouvrages ou accessoires encadrent les petits mots de la propriétaire. Le dernier en date, actualité oblige, manuscrit sur papier à musique, donne le ton : « La Ville de Crémone est heureuse de vous retrouver. Vous lui avez manqué. »

À la Ville de Crémone, boutique de musique situé au 268 rue de Bourgogne à Orléans (Loiret). ©Anne-Cécile Chapuis

En poussant la porte du 268 rue de Bourgogne à Orléans, nous nous retrouvons dans un univers musical et esthétique. Les violons, violoncelles, contrebasses, soigneusement rangés pour optimiser au maximum l’espace restreint de la petite boutique, toute en longueur, offrent un cadre apaisant. Et non sans mystère ! Tout au fond, un petit couloir étroit laisse entrevoir l’atelier, avec ses établis et outils de toute sorte. Le visiteur admis dans l’antre du luthier est saisi par l’atmosphère du lieu, les odeurs, les instruments, les objets (à noter, une guirlande de chevalets usagés qui déborde d’une étagère), mais aussi les coupures de journaux, photos ou dessins qui ornent les murs. À travers tout ceci, s’esquisse l’histoire de cette boutique hors du temps et hors du commun.

Aimé Chanteloup, un personnage haut en couleurs

Les Orléanais connaissent bien ce lieu qui existe au même endroit, avec le même mobilier, et le même esprit de convivialité depuis bientôt 70 ans. Catherine Héau, propriétaire actuelle depuis 1980, excelle à en raconter l’histoire. Et pour cause ! Le fondateur n’est autre que son grand-père maternel, Aimé Chanteloup (1901-1980).

Fils d’un ébéniste mort à la guerre en 1914, il apprend le métier de son père avant de s’orienter vers la lutherie auprès de Léon Tinceau qui tenait un atelier place du Châtelet à Orléans. Il y exerce entre 1928 et 1938.

Après la guerre, il rachète une maison du XVIe siècle, la sauvant d’une menace de destruction pour alignement, et fonde « A la ville de Crémone » en 1950. Il fabrique des violons -plus de 40 à son actif- dont on trouve trace dans un petit cahier d’écolier soigneusement conservé, avec le détail de la vente, photos, coupures de presse, courriers…une mine d’information sur la vie du magasin et, au-delà, celle du commerce et de la cité !

Le magasin est un lieu animé et convivial. Aimé Chanteloup joue du violon, travaille à l’atelier de lutherie, tient la boutique. Sa femme est couturière au premier étage et ses clientes passent par le magasin pour les essayages. Au deuxième étage, c’est un professeur d’accordéon qui dispense ses cours.

A la ville de Crémone, boutique de musique orléanaise. ©Anne-Cécile Chapuis

Aimé suit ses clients, et quand l’un d’eux obtient son prix de conservatoire, il lui offre un archet. Il est connu dans le quartier, rencontre ses collègues commerçants. Tout le monde connaît sa Simca orange qu’il gare devant le magasin !

Et quand, l’âge venant, il songe à se retirer, il passe la main à sa petite fille Catherine Héau, qui vient de terminer ses études de musicologie, et non sans lui procurer aide et conseils. Ce tuilage durera huit mois et Catherine, qui connaît bien le magasin où elle a passé des heures dès son enfance à regarder son grand-père travailler, se lance dans l’aventure de la Ville de Crémone. Elle s’associe avec un luthier. Il y en aura trois successifs en 40 ans.

Des générations de musiciens

La musique est une histoire de famille : les trois enfants du fondateur ont appris le violon, comme la petite fille, (elle a fait partie de la Société des Concerts du conservatoire d’Orléans pendant 40 ans), sa propre sœur joue de l’alto, ses trois filles ont appris, dans l’ordre, le violon, le violoncelle et la contrebasse. Mais la chaîne générationnelle se rencontre aussi parmi les clients, fidèles à la Ville de Crémone jusqu’à trois générations.

Le salon où l’on cause musique

On trouve beaucoup de choses à la ville de Crémone : un instrument à louer ou à acheter, des partitions, des objets (le collectionneur s’y régale!) mais aussi des informations sur les concerts ou festivals à venir, des billetteries de concerts, des adresses, des conseils…

 

A la ville de Crémone, son atelier. ©Anne-Cécile Chapuis

Continuité et adaptation sont les maîtres mots de la propriétaire actuelle. Elle aime faire exister ce lieu de rencontre où sont accueillis sans distinction les professionnels, les enfants en apprentissage ou les amateurs les plus atypiques. Tout le monde a sa place à La Ville de Crémone. Et quand la porte est ouverte, il n’est pas rare d’entendre les notes d’un instrument essayé par un client voire par la propriétaire qui prépare son prochain concert entre deux clients, de percevoir des éclats de rire ou les bribes d’un débat partagé entre les clients. C’est un lieu vivant !

L’âme et la corde sensible : tout une résonance

Aujourd’hui, l’aventure se poursuit. Et « pour longtemps », nous dit la propriétaire. « La musique m’a tellement aidée que j’ai envie de la partager » confie-t-elle. Elle est très sensible à la pédagogie, sait que l’apprentissage de la musique peut être très rébarbatif pour un enfant. Ou pas, si l’on accompagne la découverte, si on désacralise l’instrument, si l’on permet de « jouer avec » avant même de savoir en jouer.

« Ici entrent tous ceux qui ont envie de toucher un violon ou de parler musique » dit-elle encore en soulignant qu’elle aime à sortir des clivages et caricatures pour se consacrer à une « clientèle très large » qui est celle de la Ville de Crémone.

Le message est reçu. Une association a trouvé son origine et son siège à la ville de Crémone sous l’impulsion de Catherine Héau qui en est la présidente. « Les amis de l’Institut » ont pour vocation de propager la musique auprès de ceux qui en sont le plus éloignés, enfants des écoles ou publics d’établissements spécialisés.

À la Ville de Crémone a une âme et sait faire vibrer la corde sensible, celle de la musique, de la rencontre, du partage. Tout ceci dans une bonne humeur communicative qui fait de la visite à la Ville de Crémone un véritable ressourcement.

Anne-Cécile Chapuis

 

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