Sophie Deschamps © GP
Chères lectrices et chers lecteurs de Magcentre,
Face au confinement imposé à la France depuis le 17 mars, j’ai décidé d’écrire un journal de bord pour y exprimer, jour après jour, mon ressenti face à cette situation inédite qui nous oblige à réfléchir et surtout à revoir nos priorités. Un journal dont vous lisez à présent la dernière page et c’est une bonne nouvelle puisqu’elle annonce le déconfinement. Alors, merci pour votre fidélité durant ces 55 jours, vos commentaires (tous !) et vos encouragements.
Eh bien voilà, nous y sommes enfin à ce dernier jour de confinement. Nous n’étions pas sûrs de tenir mais nous l’avons fait, dans des conditions, il est vrai, très différentes les unes des autres, la plupart du temps avec le souci de notre santé mais aussi du bien commun. 55 jours qui resteront dans notre mémoire collective comme un événement unique de notre histoire, française et mondiale. Bref, une drôle de période qui nous laisse déjà beaucoup de souvenirs.
Je me souviens de ce lundi 16 mars, lorsque notre président Emmanuel Macron a déclaré, la mine grave : « Nous sommes en guerre », puis nous a annoncé les deux premières semaines de confinement. Mais personne n’était dupe, nous savions, hélas, que ce serait beaucoup plus.
Je me souviens du dévouement incroyables de nos soignants et tous ces héros du quotidien qui ont fait tourner le pays pendant que nous nous tournions les pouces, mais avec angoisse pour ceux qui étaient seuls chez eux ou trop nombreux dans un petit espace.
Je me souviens aussi de nos applaudissements le soir à 20 heures, depuis nos balcons, nos fenêtres ou nos portes, pour dire merci, d’abord à ces soignants puis progressivement à tous ceux qui risquaient leur vie pour nous.
Je me souviens de tous ces médecins qui, jour après jour, sont venus nous expliquer dans les médias, l’évolution de l’épidémie de Covid-19 dans les hôpitaux, avec honnêteté et clarté, pour que nous tenions bon dans nos foyers. Des interventions qui n’en rendaient que plus criantes les hésitations (bien compréhensibles) et les mensonges (inexcusables, eux) du Président et du gouvernement, sur les masques notamment .
Je me souviens du décompte macabre, chaque soir, du nombre de morts à l’hôpital d’abord, puis également dans les Ehpad. En France, mais aussi dans d’autre pays plus touchés que nous, l’Italie, l’Espagne, les Etats-unis, puis le Royaume-Uni.
Je me souviens de cette créativité incroyable sur internet avec ces chorales virtuelles, ces chansons, ces petites vidéos rigolotes, car oui, il fallait rire aussi pour sécher nos larmes. Tous ces tutoriels aussi pour nous aider à occuper les enfants, à jouer avec eux, à leur faire classe (chapeau bas les enseignants !) à faire un jardin, même petit, puis nos propres masques.
Je me souviens d’avoir eu peur comme beaucoup d’entre vous pour un-e- parent-e confiné-e dans sa maison de retraite et qu’il ou elle meure autant de solitude et d’abandon que du Covid-19. Comme Jeanne, 97 ans, dont la détresse nous a tous ému-e-s le 21 avril.
Je me souviens de toute cette solidarité spontanée qui s’est levée dans le pays. Sans nul besoin d’une quelconque injonction gouvernementale, des personnes ont relevé leurs manches, pour cuisiner et apporter des repas aux soignants et aux personnes isolées (y compris dans la rue), pour fabriquer des masques et tant d’autres belles choses encore.
Photo : Dominique Chauveau
Je me souviens de ma tristesse en apprenant que des femmes, en plus des contraintes de l’enfermement, se faisaient tabasser par leur mari ou compagnon et que des enfants étaient maltraités.
Je me souviens de la fermeture des librairies ( nous sommes nombreux à penser que les livres sont un bien de première nécessité), des bars et des restaurants, et de l’annonce de la suppression d’événements, petits et grands, publics ou privés. De la vie arrêtée dans les rues, désespérément vides, avec les affiches de films ou de pièces de théâtre, qui devenaient obsolètes, et les rideaux métalliques lugubrement baissés sur les commerces.
Je me souviens de ma première sortie dans la rue après plus de 15 jours de confinement (merci le jardin !) parce que j’avais peur d’avoir été contaminée le 15 mars au soir à la mairie d’Orléans, alors que je travaillais pour rendre compte du premier tour des municipales, inconsidérablement maintenu.
Je me souviens de la Lettre de Vincent Lindon du 6 mai avec cette très belle phrase : « Exit les premiers de cordée, place aux premiers de corvée » et de sa proposition d’une taxe « Jean Valjean » pour prendre un peu aux riches afin que les salariés ne soient pas les seuls à faire les frais de la crise économique provoquée par le virus avec à ce jour, il est utile de le rappeler, plus de 12 millions de personnes au chômage partiel.
Je me souviendrai longtemps aussi de ce temps qui m’a permis de (re)lire La Peste de Camus, La ferme des animaux de George Orwell, 4321 de Paul Auster, Ainsi soit-elle de Benoîte Groult, Les Testaments de Margaret Atwood (la suite de La Servante écarlate), et Le pays des autres de Leïla Slimani.
Et demain ?
Non, la vie ne va pas reprendre comme avant le 11 mai. D’abord parce que nous devrons porter un masque, au moins dans les transports en commun. Ensuite, parce que nous devrons respecter des distances physiques entre nous, peu propices à la convivialité, et interdisant les embrassades et les accolades. Mais bon, nous allons retrouver la liberté de pouvoir sortir sans avoir à dégainer la fameuse attestation. Nous allons pouvoir nous promener sans regarder l’heure dans nos parcs et jardins publics (les départements rouges devront encore patienter). Et nous allons retrouver notre librairie préférée, le coiffeur et/ou d’autres boutiques.
Mais pour revoir mes enfants et mon petit fils de trois ans, qui vivent à Paris, je vais devoir attendre le 2 juin, (évidemment, je ne suis pas la seule dans ce cas).
Pour manger ou boire en terrasse, idem, pas avant le 2 juin, mais nous pouvons soutenir les restaurants en commandant des repas à emporter.
Bon déconfinement, bon courage à tous celles et ceux qui reprennent le travail ce 11 mai et à bientôt !
Parc Pasteur Orléans © DR