Journal d’un confinement #47 Le Livre d’avril

Sophie Deschamps © GP

Chères lectrices et chers lecteurs de Magcentre,

Face au confinement imposé à la France depuis le 17 mars, j’ai décidé d’écrire un journal de bord pour y exprimer, jour après jour, mon ressenti face à cette situation inédite qui nous oblige à réfléchir et surtout à revoir nos priorités. Vous y trouverez au fil de l’eau des infos pratiques en tous genres, selon l’humeur des conseils de sites, de lecture ou de cuisine ainsi que des coups de cœur ou des coups de gueule selon l’actualité du coronavirus. Mais surtout restons solidaires et zen les uns envers les autres.

Paul Auster © DR

#restez chez vous

Pas facile de trouver un bon bouquin à lire pendant le confinement. Comme on a pas mal de temps devant soi, il faut bien choisir. En m’orientant vers un titre de Paul Auster, l’un des écrivains américains les plus talentueux  de sa génération, j’avais toutefois peu de chance d’être déçue. En fait, je dirais plutôt que c’est même ce gros pavé de 1016 pages, sobrement intitulé 4321 publié chez Actes Sud, qui m’attendait tranquillement depuis trois ans sur une étagère. Curieusement, je m’étais toujours dit que j’attendrai une occasion spéciale pour le lire et le moment était tout simplement venu.

Je dois reconnaître que ce magnifique ouvrage a été le compagnon idéal de ce (long) mois d’avril confiné. D’emblée, on sent que Paul Auster s’est fait plaisir avec ce roman fleuve. Le pitch est original et simple à la fois, puisqu’il s’agit de l’histoire d’un jeune juif américain Archibald Fergusson, de la naissance à l’âge adulte, dans l’Amérique des années 50 et 60, sur fond d’émancipation de la jeunesse et de guerre du Vietnam.

4321, roman Paul Auster, 2017 © DR

Jusqu’ici rien de spécial sauf que Paul Auster a choisi de raconter ce parcours… 4 fois d’où ce titre 4321. Une idée géniale qui nous donne à voir ce qui peut faire bifurquer une vie dans une voie ou une autre sans que l’on sache jamais, si l’on a choisi le bon chemin ou pas. Une question que l’on s’est tous posée au moins une fois dans sa vie.

Là réside, selon moi, l’une des forces de la littérature, à savoir pouvoir imaginer et surtout raconter ce que l’on ne peut pas faire dans la vraie vie, avec une liberté inouïe.

C’est évidemment l’œuvre majeure de Paul Auster et il lui a fallu trois années pour la coucher sur le papier. Et l’on se demande, avec angoisse d’ailleurs, s’il pourra écrire un autre roman après celui-là tant on a l’impression qu’il y a rassemblé tout ce qu’il avait à exprimer. En effet, tous les thèmes qui lui tiennent à cœur depuis son premier livre en 1982 sont là : la littérature, la musique, la poésie, le cinéma (avec un bel hommage à Laurel et Hardy), la photographie (le métier de Rose, la mère de Fergusson), le sport, le sexe, New-York, Newark (sa ville natale), Paris, la politique, la ségrégation raciale, l’impact de  l’assassinat de Kennedy et bien sûr les treize années de la guerre du Vietnam qui, selon Paul Auster « a coupé une nouvelle fois le pays en deux ». De plus, il fait des clins d’œil à ses anciens  romans avec l’apparition furtive de personnages comme Quinn ou David Zimmer.

Il y aborde aussi la difficulté de se construire en tant qu’être humain, de choisir sa voie et dans son cas et celui de Fergusson, de se frotter au processus complexe de l’écriture sous toutes ses formes. Un exercice exigeant et solitaire qui demande parfois de se confiner dans un bureau ou une chambre durant de longues semaines ! Il s’offre même le luxe d’inclure des récits dans le récit comme Frères en lacets qui raconte l’histoire de deux chaussures, Hank et Franck. Une nouvelle plaisante et plutôt drôle, mais avec des allusions cachées à l’esclavage et à la Shoah.                                                                                                            

Paul Auster et François Busnel, Théâtre du Rond-Point, Paris 2017 (capture d’écran) © DR

Les éléments autobiographiques sont aussi nombreux, mais comme l’expliquait Paul Auster à la sortie du livre, en 2017 au théâtre du Rond-Point à Paris à François Busnel : « Ce livre vient de ma vie, mais il n’est pas sur ma vie. Fergusson partage ma chronologie et ma géographie. Pour le construire, j’ai puisé dans mes émotions mais ce n’est pas moi. »

Enfin, pour ceux qui se demanderaient ce que représente la photo qui illustre la couverture et le dos de 4321, sachez qu’il s’agit d’un cliché de 1945, pris par Herbert Gehr pour le magazine Life, qui montre la foule célébrant la fin de la seconde guerre mondiale à New-York, devant l’Hôtel Astor. 

Bonnes lectures et à demain !

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