Victor Hugo et le ni-ni

En cette période de confinement à durée indéterminée, Magcentre vous propose un petit tour dans ses archives, à la recherche des pépites du quotidien qui ont fait notre info en ces temps bénis de l’avant Covid-19.

Plus de 14.000 articles à revisiter au hasard de ces 8 années d’existence pour trouver le papier de l’actualité d’un jour de cette décennie d’information sur un autre ton. Bonne lecture !

Article paru le 30 avril 2017 dans la rubrique Billets

Le débat actuel autour du vote blanc se déroule à gauche à l’abri des sondages sur le mode: inutile de se salir les mains avec un bulletin Macron puisque nous le combattrons une fois élu… je ne sais si ce raisonnement aurait encore cours en cas d’inversion de ces pronostics par ailleurs tant décriés ?

Victor Hugo par Nadar 1884

Cette question d’une sorte de vertu morale, ou plutôt de la responsabilité individuelle en politique me remémore une anecdote historique relatée par Victor Hugo dans “Histoire d’un crime”, récit  d’un témoin du coup d’état de Napoléon III, publié en 1877:

Quand celui qui n’est pas encore Napoléon III mais qui est déjà élu (au suffrage universel direct) président de la république depuis 1848, lance son coup d’état en 1851 en faisant arrêter tous les députés de gauche de l’Assemblée et exécutant les récalcitrants, Victor Hugo, député de gauche lui aussi, qui a traité devant l’assemblée ce Napoléon de “petit”, échappe à ces arrestations et tente d’organiser une résistance qui ne durera finalement que quatre jours. Traqué dans Paris, facilement reconnaissable, alors que des barricades s’érigent dans les faubourgs, Victor Hugo et quelques députés loyalistes se réunissent clandestinement et rédigent décrets et affiches appelant au respect de la constitution de la république, textes totalement vains puisque les imprimeries sont déjà contrôlées par la police…

A la fin de ce récit tragique d’un épisode qui fit, l’a-t-on oublié plusieurs milliers de morts parmi les insurgés parisiens, Victor Hugo raconte une rencontre qu’il eut secrètement avec le neveu de Louis Napoléon, Lucien Bonaparte, qui lui propose de faire arrêter le futur empereur par quelques gardes qu’il peut commander. Hugo, le grand Hugo, lui répond que c’est au peuple de se soulever pour défendre la république et non pas de commettre un acte factieux contre un factieux. Malheureusement, malgré l’héroïque résistance des barricades vite écrasées par la troupe restée fidèle au futur empereur, le peuple se résigna à voir disparaître cette république qu’il avait si vaillamment imposée en 1848.

Et Hugo partit à Jersey, et Napoléon III eut la bonne idée de provoquer la guerre de 1870 qui fut ce désastre stupide de la défaite de Sedan et la perte de l’Alsace-Lorraine qui conduisit inéluctablement à deux guerres mondiales et quelques dizaines de millions de morts.

“[Lucien Bonaparte] s’arrêta encore, puis continua :

— C’est pourquoi je suis venu cette nuit chez vous ; je veux secourir cette grande gloire blessée. En vous conseillant ce que je vous conseille, si vous le faites, si la gauche le fait, je sauve le premier Napoléon ; car si un second crime est déposé sur sa gloire, cette gloire disparaît. Oui, ce nom s’effondrerait, et l’histoire n’en voudrait plus. Je vais plus loin et je complète ma pensée. Je sauve aussi le Napoléon actuel, car lui qui déjà n’a pas de gloire, n’aurait que le crime. Je sauve sa mémoire du pilori éternel. Donc arrêtez-le.

Il était vraiment et profondément ému. Il reprit :

— Quant à la République, pour elle, l’arrestation de Louis Bonaparte, c’est la délivrance. J’ai donc raison de dire que, par ce que je vous propose, je sauve ma famille et mon pays.

— Mais, lui dis-je, ce que vous me proposez est un coup d’État.

— Croyez-vous ?

— Sans doute. Nous sommes la minorité et nous ferions acte de majorité. Nous sommes une portion de l’Assemblée, nous agirions comme si nous étions l’Assemblée entière. Nous qui condamnons toute usurpation, nous usurperions. Nous porterions la main sur un fonctionnaire que l’Assemblée seule a le droit de faire arrêter. Nous, les défenseurs de la Constitution, nous briserions la Constitution. Nous, les hommes de la loi, nous violerions la loi. C’est un coup d’État.

— Oui, mais un coup d’État pour le bien.

— Le mal fait pour le bien reste le mal.

— Même quand il réussit ?

— Surtout quand il réussit.

— Pourquoi ?

— Parce qu’alors il devient exemple.”

Victor Hugo “Histoire d’un Crime” quatrième journée

J’admire beaucoup Hugo et la noblesse de sa pensée, mais l’histoire des hommes est cruelle et sans pitié et j’ose croire que si Hugo avait, par une sorte de prémonition, eu connaissance des souffrances indescriptibles que sa louable décision allait entraîner, il l’eut révisée.

GP

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