École à la maison: le numérique pour maintenir le lien scolaire

Loin d’être la panacée, la continuité scolaire mise en place par le ministère de l’Education nationale dès le 16 mars permet de maintenir le droit à l’éducation et aux élèves de rester mobilisés. Tour d’horizon d’une formule qui semble pourtant renforcer les inégalités sociales.

Les quelques douze millions d’élèves fréquentant les écoles, collèges et lycées publics ou privés de notre pays ont pu se croire un instant en vacances. C’est pourtant loin d’être le cas. Les 870 000 enseignants, personnel d’administration et de direction se sont très vite mobilisés pour mettre en place l’école à la maison. Avec comme mot d’ordre, la continuité pédagogique en mobilisant notamment les plateformes numériques (Ma classe à la maison du Cned, Zoom, Skype …) et autres outils comme le logiciel de gestion scolaire Pronote.

A Blois, au collège Saint-Charles (1), dès le 16 mars, le conseil de direction de l’établissement, dont 1/3 des élèves sont boursiers, a pris les choses en mains pour organiser la poursuite des cours. Tous dotés d’ordinateurs portables et de connexions internet, les enseignants ont répondus présents pour accompagner la mise en place de l’école à distance. Pour assurer la continuité des parcours pédagogiques, ces derniers utilisent le logiciel de gestion scolaire Pronote dont la messagerie permet de fournir cours et exercices aux élèves et de suivre le travail accompli.

Comme partout, des courriers sont aussi adressés aux familles, qui pour une raison ou pour une autre, ne peuvent utiliser une boîte mail. Sur le plan du volume de travail, les enseignants conseillent aux collégiens de travailler 3 heures par jour, soit une quinzaine d’heures dans la semaine contre 26 heures habituellement. Un suivi par téléphone, réparti entre tous les professeurs et la vie scolaire, est organisé chaque semaine.

Nous n’étions pas préparés

« Nous n’étions pas préparés. Ce n’est pas simple. Notre collège possède un indice de position sociale faible et l’on s’interrogeait sur la capacité des familles à suivre la scolarité des enfants » développe Alain Le Pivain, directeur de l’établissement. Pourtant, malgré pression et surcharge parfois constatées, les parents jouent le jeu. Prenant à cœur leur rôle, ils ont bien compris que le confinement, ce n’est pas la dolce vita. Quant aux collégiens, la majorité est assidue, malgré quelques cas isolés.»

Il reste que la classe à la maison ne fait pas l’unanimité. « Cela ne peut pas fonctionner. Tout simplement parce que les parents ne sont pas des enseignants. Faire du télétravail et, dans le même temps, accompagner ses enfants, ce n’est pas possible… » déclare un syndicaliste souhaitant rester anonyme.

Alain Le Pivain n’élude pas qu’une fraction de ses élèves est en difficulté et pointe l’absence d’outils numériques dans certaines familles : « la situation est difficile quand l’accompagnement familial n’est pas optimal. Je pense aux parents qui ne maîtrisent pas bien la langue française, à ceux d’enfants handicapés et, bien sûr, à ceux qui n’ont pas accès au numérique. Et là, ce n’est pas qu’une question de classe sociale. Même les cadres le découvrent : quand on habite dans une zone blanche, impossible d’accéder au site du CNED par exemple » développe Alain Le Pivain.

Le coronavirus ne créerait donc pas d’inégalités scolaires et sociales mais serait plutôt un immense révélateur des fractures béantes de la société française. « Cette crise montre bien que l’école à la française est d’abord faite pour les enfants qui vont bien. Et cela va devoir changer ! À l’avenir, il faudra d’abord prendre en compte les plus fragiles » s’insurge la FCPE, association de parents d’élèves.

5% en dehors des radars

Les chiffres semblent corroborer cette position puisque les décrocheurs sont les plus nombreux dans les lycéens professionnels ou les SEGPA. Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation les évalue à 5 % à être « en dehors des radars. » Professeur d’espagnol au lycée Jean Moulin de Saint-Amand-Montrond dans le Cher, Aurore Ansermino confirme ce décrochage. « En 3e prépa professionnelle, malgré nos appels aux familles, seuls quelques élèves participent aux visio conférences. C’est différent dans les autres classes où globalement les élèves n’ont pas lâché » concède la jeune femme.

Pour ces élèves, le confinement dans un contexte social fragilisé met en lumière l’absence de projet professionnel et la perte de confiance dans l’enseignement. « L’absence de cours en atelier ou de stages en entreprises pose problème car ces élèves ont besoin de concret » évoque ainsi Isabelle Guillamo, proviseure de ce même lycée Jean Moulin (800 élèves et 80 enseignants).

Classe virtuelle et système D

Pour cette dernière, les outils numériques sont un bon moyen d’assurer la continuité des apprentissages, « de limiter l’éparpillement ». Aurore Ansermino qui les utilise au quotidien considère pour sa part qu’ils sont utiles : « Je fais des cours en visio avec Ma classe à la maison du CNED. Cela m’a permis de terminer mes séquences et de maintenir une dynamique pédagogique ». Dans l’une des classes de terminale de ce LEGT rural du sud du Cher, ils sont ainsi 22 élèves sur 24 à participer aux cours à distance de cette enseignante. Férue de technologie, elle a même créé des évaluations (coefficientées o) en ligne. (2)

Chacun s’accorde pour dire que le contexte du COVID-19 demande aux enseignants d’être encore plus proches de leurs élèves. « Il ne suffit pas de donner des devoirs ou des dissertations à faire distance. Les outils numériques ne remplacent pas la présence de l’enseignant. Ils sont seulement un appui dans une démarche pédagogique qui doit être globale et individualisée » insiste bien Aurore Ansermino.

Isabelle Guillamo confirme : « il importe de déculpabiliser les enseignants moins à l’aise avec le numérique. C’est souvent une question de génération et d’intérêt personnel. L’important est plutôt de proposer des supports variés pour que tous les élèves continuent à travailler. La relation humaine ne doit pas s’étioler malgré la crise sanitaire ».

Si Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation estime que le confinement est propice au développement de l’autonomie des élèves, beaucoup de pédagogues rappellent qu’apprendre à travailler par soi-même n’est pas automatique et que cela demande un accompagnement par des professionnels.

Se pose alors la question de la formation des profs. « Ce qu’il faudrait c’est engager un grand programme de formation à l’usage des outils numérique. Aujourd’hui, même si des dispositifs de formation académiques sont proposés, beaucoup de profs ne ressentent pas la nécessité de les utiliser » précise Aurore Ansermino.

Car, c’est une autre grande leçon de la crise du COVID-19, les enseignants aussi ne sont pas égaux face aux TIC et à l’emploi des nouvelles technologies. Au lycée Jean Moulin de Saint-Amand-Montrond comme au collège Saint-Charles de Blois, ils ne sont qu’une poignée à les exploiter pleinement pour la réussite des élèves.

Jean-Luc Vezon

  1. Collège Saint-Charles, 43, rue de la Garenne, 41000 Blois. Tél. : 02 54 56 20 60 direction.college@saintcharles41.org

  2. Avec l’application Quizinière

Commentaires

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  1. je suis étonnée que cet article n’évoque pas le manque d’equipement informatique des jeunes qui est pourtant une des clefs du problèmes..

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