Pour sa troisième intervention télévisée depuis le début de la pandémie, le chef de l’Etat s’était affirmé en chef de guerre. Pour la quatrième, ce lundi soir, il est apparu en chef paternaliste de camp de vacances, social et emphatique pendant presque une demi-heure pas moins. On ne se refait pas même lorsqu’on opère une tête à queue contraint et forcé. Qu’il est loin le premier de cordée ! On est passé du martial au social. Emmanuel Macron, l’œil ému, la voix compassionnelle, le ton emphatique s’est déclaré « fier des Français ». Il les a énumérés tous y compris, « les familles pauvres, les personnes handicapées, les malades chroniques, les anciens délaissés et confinés ». En vrai « père de la patrie », il a prodigué au peuple un savant dosage de compliments et d’interdictions, de châtiments, ( « la France n’était pas à l’évidence assez préparée ») et de félicitations.
Emmanuel Macron, allocution du 13 avril ©SD
Son discours a au moins un point positif essentiel dont nous, tous les confinés, avions infiniment besoin. Il a fixé un horizon au confinement. Rien d’absolument certain mais un point fixe et fixé. Le 11 mai. Cette date résonne dans nos esprits comme le jour d’une libération. Du covid 19 ? Pas sûr.
Le chef de l’État ne s’est pas enfermé dans une date butoir qui ne sera sans doute pas facile à tenir. Il lui a donné des paramètres. Il a annoncé une rentrée scolaire pour les petits, crèches, écoles, collèges, lycées « à partir du 11 mai, progressivement » qui laisse entrevoir un dé-confinement scolaire décidé région par région, en fonction de la courbe épidémique locale. De quoi se laisser le temps d’ajuster car il reste au moins deux grandes inconnues, des masques pour tout le monde et des tests généralisés pour évaluer le taux de contamination dans chaque région.
Les oppositions montent au créneau
Les oppositions sont immédiatement montées au créneau, par principe et parce qu’elles sont dans l’obligation d’attendre. Christian Jacob le président des Républicains a ouvert le bal des observations : « Les mots ne suffiront plus. Il faut maintenant anticiper le redémarrage de l’économie, secteur d’activité par secteur d’activité », a-t-il pronostiqué. Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste a enchaîné : « Sur le 11 mai, il faut des garanties de faisabilité, nous verrons, c’est un objectif ambitieux qu’il faut partager, il faut avoir la logistique qui va avec ». Jordan Bardella , vice-président du RN, comme on pouvait s’y attendre , a jugé « extrêmement dangereux le déconfinement progressif des écoles ». Le patron des Insoumis, Jean-Luc Mélenchon, a pour sa part trouvée « extrêmement dangereux le déconfinement sans planifier les conditions du déconfinement. Ma première réaction est de dire aux gens, restez confinés ! » Nicolas Dupont-Aignan, le patron de Debout la France a lui vu « un danger dans ces annonces sans frontières nationales, sans masques ni tests suffisants ». Julien Bayou à la tête des Verts s’est écrié : « Pourquoi Macron a-t-il pris seul la décision de prolonger le confinement jusqu’au 11 mai. Pourquoi prendre seul une décision si lourde, pourquoi l’Assemblée n’a-t-elle pas son mot à dire ? ».
Changements politiques ?
Au-delà des décisions de circonstances, le président de la République a esquissé l’avenir et d’abord le sien. « Sachons nous réinventer, moi le premier », a-t-il glissé à la fin de son intervention. Cette humilité affichée dissimulait à peine l’envie de solder le passé, de passer l’éponge sur les erreurs de la première partie du quinquennat qui ont snobé les corps intermédiaires, provoqué le mécontentement des citoyens, la colère des « oubliés » et mis le pays sans dessus dessous.
Et si le Covid 19 était une nouvelle chance pour le pays et le président de la République ? Indéniablement une nouvelle période que nous n’avions pas vu venir s’ouvre. Tous les dogmes, toutes les situations sont bousculés. Emmanuel Macron en a pris acte. Après « l’argent magique », s’ouvre l’ère « l’ardoise magique ».
En dévoilant les grandes lignes de son programme pour l’après-crise, il en a appelé à tous les partis politiques. En direction des Verts, il a insisté sur « la sobriété carbone ». En direction de la France insoumise, il a repris « la planification », une idée très chère à Jean-Luc Mélenchon. En direction de la droite, il a assuré qu’il veut sauvegarder notre « indépendance financière ». En d’autres mots, cela veut dire faire attention à ne pas trop s’endetter. Il a trouvé des accents qui peuvent satisfaire le Rassemblement national en rappelant « l’indépendance française ».
Du reste, la relocalisation des industries, l’Étatisme, voire le dirigisme économique, peuvent plaire (au moins pour une période) à toutes ces formations politiques. Hier soir, Emmanuel Macron a brûlé son programme de 2017. Libéré de la contrainte des 3% de déficit, il se rêve en président de la reconstruction, le maître-d’œuvre du chantier de demain comme au temps des « Jours heureux » du Conseil national de la résistance. La promesse du bonheur après l’effondrement et le souhait « bâtir un autre projet dans la concorde », « avec toutes les composantes de notre Nation », exactement comme la reine d’Angleterre dans son discours au peuple britannique. De la part d’Emmanuel Macron serait-ce un début d’appel à l’Union nationale, où tous les partis se rassembleraient sur des grands projets communs ?
F.C