Dr Jean Paul Briand
Nous sommes dans une période où l’immédiateté règne, où l’on confond vitesse et précipitation, croyances et connaissances, bon sens et raison. Tout citoyen peut avoir, une conviction, une opinion, un avis, mais en matière de santé les croyances ne peuvent avoir cours. Dans le cadre de l’évaluation de médicaments et de traitements, les chercheurs peuvent aussi avoir des convictions et des interprétations personnelles et subjectives, mais ils ne peuvent imposer leur point de vue sans accepter une évaluation par leurs pairs et suivre une méthodologie éprouvée.
Les règles de l’évaluation thérapeutique
Un essai thérapeutique a pour but d’évaluer l’efficacité et/ou la tolérance d’un traitement. Dans ce cadre trois questions sont posées :
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Le traitement testé est-il meilleur qu’un autre traitement ou que de ne rien prendre ?
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Si une différence apparaît, est-elle statistiquement significative ou est-elle simplement due au hasard ?
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La différence des résultats éventuellement observée est-elle directement en rapport avec le traitement testé ou bien découle-t-elle de l’évolution spontanée de la maladie, d’un effet placebo, des caractéristiques des malades, de traitements concomitants, d’erreurs de mesure ou de l’effet Hawthorne (https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Hawthorne).
Pour répondre à ces questions, il faut définir au préalable des éléments d’appréciation très précis. Ils peuvent être :
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des événements médicaux tels que les décès, les intolérances, les réactions métaboliques, les effets secondaires, les symptômes signalés par les patients, etc ;
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des éléments thérapeutiques : durée d’hospitalisation, transfusions sanguines, etc ;
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des résultats d’examens complémentaires : dosages sanguins, prélèvements biologiques, examens radiographiques, pouls, tension artérielle, température centrale, etc.
Evaluation de l’effet authentique d’un traitement
Afin d’évaluer l’effet authentique d’un traitement et éventuellement de conclure à son efficacité,
il est absolument nécessaire de vérifier qu’il n’y a pas de facteurs ignorés qui peuvent expliquer la réponse au traitement. Pour cela, l’on doit comparer les réponses du groupe traité à un groupe qui ne reçoit pas le traitement essayé. Ce groupe est appelé « groupe contrôle ». La démarche scientifique permettant d’évaluer correctement l’effet thérapeutique d’un médicament est l’essai contrôlé randomisé (ECR). L’ECR est encore appelé essai comparatif randomisé ou encore essai contrôlé aléatoire (ECA).
L’ECR confronte l’amélioration dans un groupe traité à celle d’un groupe contrôle qui n’a pas reçu le remède expérimenté. Il est très important que les deux groupes soient strictement comparables, c’est à dire qu’ils ne diffèrent que par le traitement. Pour qu’il n’y ait pas de biais de sélection, qui pourraient fausser les résultats, tous les participants sont dans un premier temps incorporés dans l’étude à partir de critères prédéfinis rigoureux. Ils sont ensuite aléatoirement répartis (la randomisation) dans les deux groupes (groupe testé et groupe témoin). Quand l’étude est en aveugle (on dit aussi en insu), les patients ne connaissent pas à quels groupes ils appartiennent et les thérapeutes, comme les évaluateurs, ne savent pas à quel type de patients ils ont à faire. Ainsi, la seule différence est uniquement le traitement qui, selon les patients tirés au sort, peut être celui qui est l’objet de la vérification ou un simple placebo.
Seule l’administration du traitement en double aveugle garantit la comparabilité en cours d’essai et une égalité de l’appréciation des critères de jugement. L’ECR en aveugle permet d’éliminer les biais possibles tels que :
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le biais de sélection qui fait que 2 groupes ne sont pas comparables ;
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le biais de performance due à la connaissance par le patient ou par son thérapeute du traitement et des traitements concomitants ;
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le biais de mesure liée à des critères de jugement influencés par le traitement administré ;
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le biais d’attrition pour les patients perdus de vue ou sortis de l’étude.
Anomalies des essais hors ECR
Quand le patient connaît son traitement (ou l’absence de traitement) son comportement est influencé. Il arrive :
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qu’il ait envie de faire plaisir à l’équipe des expérimentateurs ;
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qu’il modifie son mode de vie, son régime alimentaire, l’observance des posologies ;
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qu’il change son jugement sur ce qu’il ressent et ainsi modifier les résultats (surtout chez les patients sous placebo).
Lorsque le médecin connaît le traitement pris, il peut :
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modifier, plus ou moins consciemment, la qualité de ses soins ;
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avoir une écoute et prodiguer des conseils différemment ;
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surveiller la survenue des effets indésirables plus ou moins objectivement ;
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évaluer les traitements avec un a priori favorable ou du scepticisme.
On n’évoquera pas ici les conflits et liens d’intérêts, les falsifications, les pressions, les luttes de prestige qui bien évidemment n’existent pas dans le monde de la recherche médicale…
La médecine n’est pas un art oratoire
Devant la puissance des moyens thérapeutiques d’aujourd’hui et les enjeux humains et financiers, il est apparu nécessaire que la pratique médicale se fonde sur des preuves. En présence de symptômes, de syndromes, d’une maladie, il est nécessaire d’évaluer les effets bénéfiques et délétères des différentes possibilités de traitements (médicaments, soins, dispositifs médicaux, chirurgie, etc.) et de les comparer les unes aux autres.
Cette pratique de médecine fondée sur les faits ou sur les données probantes nommée « Evidence-Based Medicine » (EBM) est apparue en 1980 au Canada. L’EBM est devenu la règle dans le cadre de l’évaluation des médicaments. Les essais cliniques randomisés (ECR) est l’outil méthodologique incontournable de l’EBM. Quelque soit sa notoriété, aucun chercheur, aucun thérapeute, aucun scientifique ne peut s’en affranchir. La médecine n’est pas un art oratoire.
« La vérité appartient à ceux qui la cherche et non à ceux qui prétendent la détenir »
Condorcet
JPB