Dr Jean Paul Briand
Une partie de mon enfance s’est déroulée Faubourg Bannier. Pas n’importe où ! Au nord, côté est. C’est à dire sur le trottoir appartenant à la commune de Fleury-les-Aubrais (Loiret). En face, c’était Saran et le quartier des Aydes, du nom de ces taxes et impôts que jadis le Roi pouvait exiger à titre exceptionnel.
Fleury-les-Aubrais doit son nom de Fleury, aux moines bénédictins de l’abbaye de Fleury située à Saint-Benoît-sur-Loire et qui possédaient cette terre. Anciennement Fleury les Orléans puis Fleury aux Choux, cette commune est devenue Fleury les Aubrais à la suite du passage du jeune roi d’Espagne. Alphonse XIII s’était mis à rire lorsque, son train spécial s’étant arrêté en gare des Aubrais, on lui avait présenté le maire de Fleury aux Choux. Ce dernier, vexé, avait alors demandé le changement de nom de sa commune, ce qui lui fut accordé en novembre 1905.
Au milieu coule deux Chilesse…
Sur le territoire des communes de Fleury-les-Aubrais, d’Orléans et de Saint-Jean-de-la-Ruelle coule une petite rivière : la Chilesse aujourd’hui souterraine et maçonnée. Plus exactement il existe deux Chilesse : la grande et la petite Chilesse qui se rejoignent vers le minuscule cimetière Notre-Dame-de-la-Consolation, également appelé cimetière des Aydes. La Chilesse s’écoule vers la Loire où elle s’y déverse. Sur la commune de Saint-Jean-de-la-Ruelle, à l’embouchure de la Chilesse, il existe aujourd’hui un déversoir, aménagé avec des bancs, et une promenade permettant d’apprécier un joli panorama sur le fleuve. La source de la grande Chilesse sortait devant la mairie de Fleury les Aubrais par la fontaine de Saint-Clair ou fontaine de la coqueluche, ainsi nommée pour ses vertus curatives vis-à-vis de cette infection bactérienne caractérisée par de violentes quintes de toux, évoquant le chant du coq.
Archives départementales du Loiret
La Chilesse drainait initialement vers la Loire les eaux de la forêt d’Orléans. Au fil du temps, elle était devenue une sorte d’égout récupérant les eaux usées des habitations riveraines. A l’époque de mon enfance, la Chilesse n’était que partiellement busée et coulait à découvert par endroits. L’été son cours était souvent quasiment à sec. L’eau stagnante fermentait et dégageait une odeur particulièrement fétide. Au printemps et à l’hiver, l’eau noirâtre courait sur un fond vaseux. Dans la traversée du Faubourg Bannier et dans la rue des Ecoles, la Chilesse était couverte puis redevenait à ciel ouvert.
Terrain de jeu des intrépides
Au moment des cerises, ce qui était extraordinaire pour les gamins les plus intrépides du quartier, c’était de parcourir les parties souterraines de la grande Chilesse puis de sortir à ciel ouvert dans les jardins pour chaparder. Longtemps trop petit, les grands ne m’acceptaient pas dans leurs randonnées méphitiques. Enfin, le jour arriva où je fus admis à y participer. Je n’étais pas très rassuré car les aînés avaient signalé l’existence de rats plus gros que des chats et particulièrement agressifs. Pour avancer, nous devions poser les pieds sur les versants de chaque côté de ce fossé juré, afin d’éviter de s’enfoncer dans la vase noire du fond. Ce qui devait arriver, arriva. Je glissai et basculai sur le dos dans la boue pestilentielle. Mon exploration dans la Chilesse était terminée. Je rentrai désemparé et crotté à la maison.
Dans ces années, un père, même protecteur et aimant ses enfants, avait des méthodes éducatives « rugueuses », qui n’ont plus cours aujourd’hui. Je savais donc que, vu mon état pitoyable, couvert de vase putride, ma réception risquait d’être douloureuse…
Archives départementales du Loiret
D’où viens-tu ?, cria mon père dès qu’il me vit. Il n’aurait servi à rien de mentir, aussi je lui avouai mon périple lamentable dans la Chilesse. Quelle ne fut pas ma surprise quand il me dit simplement, presque attendri, d’aller me déshabiller dans la buanderie et de m’y laver. Jamais je n’aurais cru mon père, pourtant très sévère et craint, capable d’une telle clémence.
Mon oncle me donna, de très nombreuses années plus tard, l’explication de l’indulgence paternelle. Mes grands-parents habitaient ce même quartier, mais du côté ouest du Faubourg Bannier, sur Saran. Au même âge, mon père, accompagné de son grand frère, avait subi la même mésaventure au cours d’une expédition dans la Chilesse, la rivière oubliée. Une tradition familiale en quelque sorte…
Jean-paul Briand