Bertrand Hauchecorne, Agrégé de mathématiques, Rédacteur en chef de la revue Tangente, l’aventure mathématique. Maire de Mareau-aux-Près (Loiret).
Dans cette période troublée par la pandémie de Covid-19, l’abondance de statistiques, fournie par la presse audiovisuelle comme écrite, est trop souvent assortie de commentaires peu en lien avec les chiffres avancés. Rappelons-nous que le maniement des pourcentages doit se baser sur des références précises et que leur interprétation nécessite un recul et une bonne connaissance du problème étudié.
Taux de surmortalité à manier avec prudence
Depuis l’épidémie de Covid-19, l’Insee publie chaque semaine un bilan par département de l’excès de mortalité par rapport au nombre de décès enregistré la même semaine, l’an passé. Ces données ont été relayées sans filet dans plusieurs organes de presse avec des titres évocateurs. Pourtant leur analyse nécessite bien des précautions. Ces données sont fournies en pourcentage d’augmentation de mortalité donc dépendent de la mortalité habituelle qui varie énormément d’un département à l’autre. Le taux de mortalité moyen français qui est de 9,2 ‰ varie en France métropolitaine entre 5,4 ‰ en Seine Saint Denis à 16,7‰ dans la Creuse, c’est-à-dire plus du triple ; ceci est dû bien sûr à une population très jeune dans le premier cas et au contraire âgée dans le second.
Y a-t-il une surmortalité en Seine-Saint-Denis ?
En interprétant mal ces données, certains médias en ont déduit une vision cataclysmique de la santé en Seine-Saint-Denis et en ont trouvé de multiples raisons. Un récent article du journal Le Monde s’émeut d’un excès de mortalité de 63 % par rapport à la même semaine de l’année précédente. C’est certes énorme mais, surprise, dans le même article, on lit qu’entre le 1er mars et le 2 avril 2020 le Val de Marne a connu une mortalité due au Covid-19 supérieure à son voisin de Seine-Saint-Denis pour une population inférieure. Plus généralement, d’autres sources nous informent que le nombre de décès dus à cette maladie pour cent-mille habitants, y est inférieur à celui des autres départements de la petite couronne, Paris compris. Cherchez l’erreur !
Un coup d’œil sur le taux de mortalité du 93 nous apprend qu’en 2019, il fut de 5,4‰ (soit 540 décès pour cent-mille habitants). Autant dire qu’un taux de surmortalité de 63% en Seine Saint Denis correspond à une augmentation de 3,3 points soit la même quantité environ qu’engendrerait un taux de surmortalité de 20 % dans la Creuse.
En effet la surmortalité pour cent-mille habitants serait de 340 personnes pour le premier contre 360 pour le second. Bien sûr, on pourrait dire a contrario qu’ayant peu de personnes âgées, la Seine-Saint-Denis devrait avoir beaucoup moins de décès que les autres mais ce seraient des données complémentaires (décès par classe d’âge par exemple) qui pourraient l’affirmer ou l’infirmer.
Du bon usage des données chiffrées
Ces remarques ne cherchent pas à prouver que tout va bien en Seine-Saint-Denis, elles visent à montrer que l’engouement à trouver que tout va mal dans ce département tient avant tout à du misérabilisme dont ses habitants se passeraient volontiers.
Les conditions de vie y sont certainement plus difficiles qu’ailleurs, les structures médicales y sont sûrement insuffisantes et une mortalité excessive y est certainement à déplorer, comme dans bien d’autres départements. Cependant, pour juger d’une surmortalité inquiétante par rapport à la moyenne de l’Île-de-France, il faudrait réaliser une étude plus fine, qui engloberait une analyse des décès par classe d’âge. Ceci permettrait d’en tirer des conséquences utiles pour réaménager la politique de santé territoriale.
Le maniement des données chiffrées est délicat et nécessite une bonne analyse du problème qui seule permet de choisir des références adaptées. Les statistiques peuvent alors devenir un réel outil prospectif pour les décideurs mais aussi concourir à une meilleure compréhension de notre société pour tous les citoyens.
Bertrand Hauchecorne