L’Orléanais, terre de juristes. Ici, c’est le droit #2 Macarel

Macarel, le droit administratif, le Conseil d’État et l’École spéciale des sciences administratives et politiques (1790-1851)

Pierre Allorant, doyen de la faculté de droit d’Orléans et historien

Évoquant en 1895 les pionniers de l’enseignement et de la doctrine du droit administratif, Léon Aucoc, lui-même président de section au Conseil d’État, estime que la plupart des jeunes juristes de talent se groupaient sous la monarchie de Juillet « autour de MM. de Gerando et Macarel qui étaient les maîtres incontestés de la science administrative, M. de Cormenin s’étant exclusivement voué à l’ardente polémique des pamphlets politiques ». Deux des trois fondateurs de cette discipline, Cormenin et Macarel, se rattachent à l’Orléanais. Après les talents et avatars de Cormenin, portrait d’un Orléanais, Louis-Antoine Macarel.

Défenseur de l’agriculture et jardinier de l’Orléanais

Charles Bazin, Gravure représentant Louis-Antoine Macarel et sa
participation à l’Ecole égyptienne de Paris, 1831 (BNF, photographie de Simon Gilbert)

À son décès, c’est le grand savant Becquerel, son ami, également Loiretain, qui fait son éloge pour la Société nationale et centrale d’agriculture. Macarel a hérité de sa famille en 1825 une propriété composée de 200 hectares, appelée les Petits-Boulands, située dans le Loiret, aux confins de la Sologne et de la forêt d’Orléans, entre Montargis et Gien. Domaine largement en friche et livré au pacage des moutons, et à la culture du seigle et du sarrasin. Macarel consacre ses économies à planter pins maritimes et pins de Riga ainsi que des chênes, donnant l’exemple du reboisement à son pays et livrant des milliers de perches de toute dimension à l’administration des télégraphes électriques. En parallèle, il assainit les parties marécageuses, cure le cours du ruisseau qui traverse sa propriété familiale et réussit même à se livrer à la culture de la vigne, du noyer et du tulipier.

Un jeune juriste orléanais d’autrefois

Né à Orléans le 10 janvier 1790, au début de la Révolution constituante, Louis-Antoine Macarel est issu d’une famille « honorable, mais sans fortune », son père est un magistrat instruit et respecté qui dirige son éducation, avant de le laisser quitter le lycée d’Orléans pour les facultés de droit de Paris puis de Turin.

Deux tremplins : chef de cabinet de préfets et secrétaire de ministres

À la période charnière de la chute de l’Empire et des débuts de la Restauration, Macarel occupe des « postes de début », apprentissage administratif formateur et riche en réseaux en tant que chef de cabinet des préfets de l’Eure et des Basses-Pyrénées, puis de secrétaire particulier du ministre de la Marine et du directeur général des Postes. Précisément, son amitié avec Cormenin lui donne confiance en son talent et vocation pour le droit administratif.

Une vocation, le droit administratif

 En 1818, Macarel publie ses Éléments de jurisprudence administrative à partir des grandes décisions du Conseil d’État, ouvrage immédiatement salué par le public des juristes. Il transforme ce succès en réussite professionnelle dès l’année suivante en achetant une charge d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de Cassation, ce qui le met une décennie durant au contact des meilleurs jurisconsultes français.

La tentation de l’exercice du pouvoir.

Directeur de l’administration départementale et communale au ministère de l’Intérieur

Maître des requêtes puis conseiller d’État au lendemain de la révolution de Juillet 1830, Macarel refuse les places éminentes que lui offre le nouveau pouvoir, de la députation à la Préfecture de la Seine en passant par le gouvernement général de l’Algérie. Toutefois, il accepte en 1837, moment clé de la décentralisation modérée opérée par le gouvernement orléaniste de prendre la direction de l’administration départementale et communale au ministère de l’Intérieur occupé par le comte de Montalivet. Deux années durant, Macarel seconde le ministre, fort de son entière confiance, réorganise les services de l’administration intérieure, prépare les nombreux projets de lois et leur exécution : garde nationale, chemins vicinaux, aliénés, administration des départements et des communes, comptabilité des établissements de bienfaisance, régime des établissements répressifs. Démissionnaire en 1839, il rentre au Conseil d’État où l’Assemblée constituante de la Seconde République le maintient à la quasi-unanimité, et le porte à la présidence de la section d’administration.

Le professeur de droit administratif à l’école de droit de Paris

Source BNF

Pons de l’Hérault, conseiller d’État, prononce sur sa tombe le 26 mars 1851 l’éloge funèbre du président de section. Il insiste sur sa force de travail, « développement fécond d’une expérience prématurée » qui lui permet d’entrer « en athlète dans la carrière si épineuse de l’enseignement ». En parallèle à toutes ces activités, Macarel assume durant plus de vingt ans de 1828 à 1849, l’enseignement du droit administratif, d’abord en tant qu’adjoint de Gerando, puis comme titulaire de la chaire. Il y fait naturellement le lien entre les applications jurisprudentielles du Conseil d’État et les principes qu’il expose dans ses cours et ses ouvrages sur le contentieux administratif. Il publie ainsi Des tribunaux administratifs qui présentent les caractères distinctifs de la juridiction administrative, ses fondements et ses organes. Dans un style plus pratique, il publie en 1829 un Manuel des ateliers dangereux, insalubres et incommodes, puis un ouvrage majeur de Droit politique et un traité financier, avec son disciple Boulatignier,  De la fortune publique en France et de son administration, dans un esprit de progrès et de perfectionnement méthodique.

De la formation d’élites modernes égyptiennes au projet d’École spéciale des sciences administratives et politiques

Son succès dépasse largement les frontières, au point que Méhémet-Ali, réformateur de l’Égypte, lui accorde sa confiance pour donner une instruction politique et administrative à une colonie de jeunes Égyptiens envoyés en France pour être initiés,  aux sciences administratives et  politiques. L’un de ses élèves, Artim-Bey, est nommé à son retour conseiller d’État et ministre des Affaires étrangères, et une école d’administration civile est créée, à l’instar de celle de Paris.

Source BNF

Le projet sans doute le plus novateur de Macarel est celui d’école spéciale de formation aux sciences administratives qui fait une sorte de pont entre les géniales intuitions de Cuvier et de Stendhal et les réalisations républicaines de 1848, avant le projet Jean Zay et l’ENA de 1945. Le saint-simonien Duveyrier, inspirateur direct de l’expérience d’École d’administration de 1848, reconnaît sa dette à l’égard du « professeur le plus élégant, le plus lucide, le plus dévoué qu’ait produit encore la science administrative […] le premier à sentir le besoin de donner des racines à ce noble enseignement ».

Au lendemain de 1830, à partir de son expérience d’enseignement à des élèves administrateurs étrangers, Macarel établit un plan global institutionnel, pédagogique et didactique, comprenant des cours pratiques mais aussi des visites d’établissements publics. Dans sa note, Macarel estime indispensable des leçons de droit naturel, droit international, droit public général, économie politique, statistique, enfin théorie et pratique de l’administration générale, avec un regard de législation comparée pour embrasser « la science sociale » et offrir aux ministres des « auxiliaires beaucoup plus éclairés », dotés de compétences pluridisciplinaires et pratiques.

Macarel ajoute à ses enseignements aux jeunes égyptiens des cours de procédure administrative, d’éloquence parlementaire, d’histoire du droit public français et d’administration comparée, le tout étalé sur trois années, et éventuellement prolongé par un doctorat. Macarel conclut sa note en préconisant une expérimentation avant évaluation car « l’essai qu’on en en ferait éclairerait définitivement sur l’utilité de la création subséquente d’une faculté. Elle aurait aussi ce grand avantage de former des professeurs habiles. L’intérêt du pays réclame ces mesures. La société française est en progrès d’amélioration ; celle-ci importe à son avenir ». Tant il n’est « pas moins utile de former des administrateurs et de préparer des hommes d’État » que des savants et des ingénieurs X-Ponts

Remise du rapport Thiriez © @EPhIIIppePM

À l’heure de la mise en œuvre des préconisations du rapport Thiriez sur la démocratisation de l’accès à la haute fonction publique et la remise en cause de l’endogamie très parisienne des Grands corps de l’État, Macarel est bien notre contemporain. Un nom tout trouvé pour la future classe préparatoire prioritairement destinée aux étudiants boursiers du Berry et de l’Orléanais, voire pour le Sciences Po Orléans qui manque tant aux deux régions ligériennes.

Pierre Allorant

Pour aller plus loin :

  • Vida AZIMI, « De la formation des administrateurs égyptiens à un projet pionnier. Sur la nécessité de créer une École spéciale des sciences politiques et administratives, ou du moins une École spéciale à Paris, Louis-Antoine Macarel, 1932 », La Revue administrative, n° 386, mars-avril 2011, p. 79-85.
  • Guy THUILLIER, « Les Lettres politiques de Charles Duveyrier et l’École nationale d’administration », La Revue administrative, n° 112, juillet-août 1966, p. 369-379.
  • Guy THUILLIER, « Stendhal, Cuvier et l’École nationale d’administration », in Témoins de l’administration. De Saint-Just à Marx, Berger-Levrault, 1967, p. 96 et s.

 

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