L’Orléanais, terre de juristes. Ici, c’est le droit #1 Cormenin

Cormenin : fondateur du droit administratif, engagé et pamphlétaire au XIXe siècle (1788-1868)

Pierre Allorant, doyen de la faculté de droit d’Orléans et historien

Parmi les pères fondateurs du droit administratif français figurent plusieurs éminents juristes issus de l’Orléanais, cette province du domaine royal divisée en 1789 en 3 départements (Eure-et-Loir, Loir-et-Cher, Loiret). Alors même que l’université d’Orléans, prestigieuse de 1306 jusqu’à Pothier, a été fermée par la Convention révolutionnaire en 1793, et ne bénéficie d’un « recommencement » qu’avec la République gaullienne des années 1960, comment expliquer cette persistance d’un foyer aussi brillant, d’un vivier de juristes formés principalement à la faculté de droit de Paris ?

 

Louis Marie de Lahaye de Cormenin

Au sein des pionniers du droit administratif, aux côtés de Gérando, Isambert et Macarel, Louis Marie de Lahaye de Cormenin occupe une place singulière et attachante. Bien que né et mort à Paris, le baron puis vicomte (1826) reste attaché à l’est du Loiret (Gâtinais) et à l’Yonne par ses « intérêts privés » comme par sa carrière élective de maire et de député.

Issu d’une vieille famille de robe de la Bresse installée dans l’Orléanais, riche en magistrats, administrateurs et soldats, il a pour parrain le duc de Penthièvre, Grand Amiral de France, et pour marraine la princesse de Lamballe, amie de Marie-Antoinette. Né en 1788, à la veille de la Révolution française, Cormenin est reçu avocat stagiaire sous le Premier Empire en 1807, puis auditeur au Conseil d’État à la section du contentieux en 1810 et maître des requêtes en 1814, début de la Restauration de la monarchie Bourbon. Lors des Cent-Jours, il s’engage comme volontaire.

Un juriste engagé au service des libertés

En 1828, à 40 ans, Cormenin est élu député de l’arrondissement d’Orléans et siège dans l’opposition libérale, intervenant sur des sujets très variés, de l’organisation de la justice administrative, sa spécialité, à l’instruction primaire qui se développe alors dans chaque commune, ou au budget. Il fait partie des 221 parlementaires qui protestent contre les mesures liberticides du roi Charles X et de son principal ministre Polignac.

Brillamment réélu par les électeurs censitaires orléanais en juillet 1830 (491 voix sur 692), Cormenin démissionne du Conseil d’État et de la députation au lendemain du changement de régime constitutionnel, en 1830 avec la révolution de Juillet qui installe le « roi bourgeois » Louis-Philippe. Sa lettre de démission met en avant qu’il n’a « pas reçu du peuple un mandat constituant. Je suis absolument sans pouvoir de faire un roi, une charte, un serment. […] Puisse ma patrie être toujours glorieuse et libre ! » 

Candidat toutefois aux législatives d’octobre 1830, il est battu dans le Loiret par de La Rochefoucauld, fortement aidé par le concours de l’administration orléaniste, mais est élu dans l’Ain, et prend sa revanche en juillet 1831, élu par 4 départements.

Sauveur du Conseil d’État et un des pères du droit administratif

Avec le Consulat napoléonien, l’administration avait obtenu ses propres juges : conseillers de préfecture dans chaque département, Conseil d’État au sommet. Mais avec la Restauration, le rôle du Conseil d’État est menacé, pas même cité par la Charte et amoindri selon Cormenin en « petite jugerie compétence disputée, établissement sans forme et sans légalité », occupé par « quelques personnages brodés et emplumés qui viennent statuer sur la mise en jugement d’un garde-champêtre ou sur le curage d’un simple ruisseau ». C’est Cormenin qui vient sauver la Haute assemblée en publiant annuellement ses décisions les plus importantes, leur donnant ensuite une forme doctrinale dans ses Questions de droit administratif, ouvrage réédité 5 fois entre 1822 et 1840, qui pose clairement les règles de ce droit : les droits des particuliers à l’égard de l’administration et les responsabilités des agents de l’État.

 Un juriste orléanais au combat contre la monarchie orléaniste

Il devient dès lors un redoutable pamphlétaire sous le pseudonyme de « Timon », misanthrope athénien. Pourfendeur de la dynastie…d’Orléans, Cormenin jette le ridicule sur la royauté bourgeoise dans ses Lettres sur la liste civile en 1831, publication qui contribue à faire réduire d’un tiers, de 18 à 12 millions, le poste budgétaire dévolu à la cour. Réélu par l’Yonne et la Sarthe en 1834, Cormenin récidive dans ses Très humbles remontrances de Timon contre la gabegie de la liste civile, puis s’insurge en 1840 contre une demande de dotation en faveur du duc de Nemours dans ses Questions scandaleuses d’un jacobin : « Le peuple écrasé d’impôts trouve que les princes coûtent trop cher. »

Personnage politiquement complexe, Cormenin éloigne de lui ses admirateurs républicains en défendant les Jésuites contre l’Université dans sa brochure Feu ! Feu !, provoquant sa défaite électorale de 1846. Il se tourne alors vers la philanthropie dans ses Dialogues de maître Pierre et les Entretiens de village et multiplie les fondations d’œuvres de bienfaisance à destination des jeunes filles des campagnes, des femmes âgées et des ouvriers.

Un président de section au Conseil d’État spécialiste de l’art oratoire et des formes d’éloquence

Avec la révolution de février 1848 et l’avènement de la Seconde République, le suffrage universel masculin l’envoie à l’Assemblée constituante, à nouveau élu représentant du peuple par 4 départements dont la Seine. Proche du neveu de l’Empereur, Louis-Napoléon Bonaparte, Cormenin préside le comité de constitution et vote pour le bannissement de la famille d’Orléans (le « premier vol de l’Aigle ») et pour l’abolition de la peine de mort en politique. Élu par l’Assemblée parmi les sages du Palais-Royal, il revient naturellement au Conseil d’État dès avril 1849 et y préside la section du contentieux, puis à la section de l’Intérieur quand le Second Empire s’installe.

Il est même couvert de distinctions par le régime impérial qui le fait entrer par décret à l’Académie des sciences morales et politiques en 1855, et l’élève au grade de commandeur de la Légion d’honneur en 1865. Il meurt à Paris en mai 1868, moment de transformation du Second empire en régime à vocation parlementaire et à évolution libérale (René Rémond).

Parmi ses très nombreuses publications émerge son magnifique Livre des orateurs, galerie flamboyante de portraits qui distingue les types d’éloquence : parlementaire, de la presse,  de la chaire, du barreau, délibérative des conseils d’État, officielle, en plein air, militaire, et les illustre d’exemples incarnés : Mirabeau, Danton et Napoléon, bien sûr, mais également ses contemporains Guizot, Thiers, Lamartine, et son voisin du nord de l’Orléanais, le grand avocat légitimiste Berryer, défenseur des Républicains dans le « Procès des Treize » de 1863.

Profondément attaché aux libertés, « Cormenin n’a jamais été sérieusement légitimiste, ni démocrate, ni bonapartiste. Il est du parti de la France ». (Eugène de Mirecourt)

À l’heure où foisonnent, surtout chez les jeunes, étudiants et bien au-delà, les concours d’éloquence et joutes de plaidoirie, la région d’Orléans peut être fière de Cormenin alias Timon, amoureux de la langue française, ce patrimoine immatériel dont la capitale du Val de Loire escompte bien redevenir le joyau avec le projet porté par Gabriel Bergounioux.

Pierre Allorant

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